Une araignée au plafond
J’avais déjà eu l’occasion de vous parler d’Arachné, cette jeune tisseuse lydienne qui ose rivaliser avec Athéna et finit transformée en araignée. Mais en lisant Les mythes grecs du poète britannique Robert Graves, je suis tombée sur une autre interprétation passionnante de ce mythe étiologique*.
Revenons d’abord sur le mythe un instant
C’est Ovide qui en fait le récit. Jeune fille de Lydie en Asie Mineure, Arachné provoque la colère d’Athéna quand elle affirme être la meilleure tisseuse du monde. Afin de lui prouver sa supériorité et la punir de son arrogance, Athéna organise un concours. Tandis que la déesse choisit d’illustrer sa broderie des dieux de l’Olympe et dans les coins les mortels présomptueux, la jeune fille, elle, représente les dieux en proie à des comportements honteux, notamment Zeus avec ses nombreuses amantes illégitimes. Le tissage est parfait mais jalouse et furieuse, Athéna déchire l’ouvrage d’Arachné. Ainsi humiliée, la mortelle se pend. Pleine de remords, la déesse offre alors une seconde vie à Arachné, mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse tisser pour l’éternité.

Et si cette histoire de jalousie en cachait une autre ?
Ce mythe vous plait ? À moi aussi, pourtant il sonne faux. Il détonne avec ce que l’on sait d’Athéna. Sage conseillère, oui. Stratège, bien sûr. Mais jalouse ? Voilà un défaut qu’on ne lui connait guère. Contrairement à son père, Zeus, elle ne se laisse pas emporter par de vulgaires sentiments humains. Conseillère des Dieux et des héros, elle est le contraire d’une déesse colérique…
C’est ici que Robert Graves intervient. Car dans son ouvrage de référence sobrement intitulé Les mythes grecs, l’essayiste ne se contente pas de faire une relecture des mythes, il les réinterprète à la lumière des connaissances du XXème siècle. En se plongeant dans l’archéologie et l’histoire antique, il déniche mille anecdotes qui permettent de redécouvrir ces histoires illustres. Celle du jour en est le parfait exemple.
Nous sommes du début du IIème millénaire avant JC. Deux régions de Grèce dominent le commerce de la laine : les tisserands d’Athènes et ceux de Milet, en Asie mineure. Or on a retrouvé au cours de fouilles à Milet de nombreux sceaux à l’effigie… d’une araignée ! D’après Robert Graves, les Milésiens contrôlent à cette époque le commerce de la laine de couleur, de la mer Noire au sud de la Méditerranée, possédant même des entrepôts en Egypte.
Les Athéniens avaient donc de bonnes raisons de leur en vouloir. De là à écrire une mythe où leur patronne anéantit une tisserande qui ose lui faire de l’ombre, il n’y a qu’un pas !
* On appelle mythe étiologique un mythe qui cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel, ou la création d’un être ou d’une chose. Ovide en était particulièrement friand et on trouve de nombreux dans ses Métamorphoses.