Pour tous les trépieds du monde

Pour ce qui est des cadeaux, c’est l’intention qui compte. Mais l’intention est-elle toujours innocente ? N’y avait-il vraiment aucune arrière-pensées derrière ce vélo d’appartement, offert à son mari qui a pris un peu de poids ? Ou derrière ces costumes Arnys, gentiment donnés à cet homme politique ? Pour trancher la question, on se penche sur un épisode fameux de l’Iliade

Nous sommes au XIIème siècle avant JC et Troie est assiégée par l’armée grecque depuis dix longues années. Alors que tout avait plutôt bien commencé pour les troupes du Grec Agamemnon, le situation tourne désormais au vinaigre : Le troyen Hector enchaine les victoires depuis qu’Achille a déserté le champ de bataille pour exprimer sa colère contre Agamemnon qui a enlevé Briséis, sa captive. 

La reddition d’Achille de Briséis à Agamemnon sur une fresque de Pompéi, Ier siècle après JC

Entouré du sage Nestor, roi de Pylos, et du rusé Ulysse, Agamemnon commence à comprendre que se mettre à dos le seul guerrier capable de vaincre Hector n’était probablement pas une très bonne décision. Et quand on sait que toute cette histoire a commencé car son propre frère, Ménélas, souhaitait récupérer sa femme, Hélène, enlevée par le troyen Paris, on se dit qu’ils se seraient tous évités pas mal d’ennuis s’ils s’était retenus de capturer des femmes. Agamemnon ravale donc sa fierté et décide de convaincre Achille de reprendre les armes à leurs côtés. Courageux mais pas téméraire, il envoie Ulysse, Nestor et le vieil éducateur d’Achille, Phénix, comme émissaires.  

Arrivés dans la tente d’Achille, Ulysse prend la parole.

Pour commencer, il tente de l’attendrir et décrit la situation militaire calamiteuse. Il se désole « si cela continue comme cela, tous les Grecs risquent de mourir ici, à Troie* ». Face au visage fermé du héros, Ulysse tente la culpabilisation : s’il ne vient pas les sauver, c’est sûr,  Achille sera « saisi de douleur, car il n’y a point de remède contre un mal accompli ». Pourtant, toujours aucune réaction du héros.

Les manipulations psychologiques ayant échoué, Ulysse passe aux choses sérieuses et lui présente l’offre d’Agamemnon : « sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course », ainsi que des chevaux aux sabots massifs. Et ce n’est pas tout ! Il promet aussi « sept belles femmes Lesbiennes**», en plus de Briséis, qu’il lui rend volontiers, avec le serment qu’elle n’a jamais connu son lit. Le roi s’avance même en lui promettant des choses qu’il ne possède pas encore : la nef d’or et d’airain de Troie et les vingt plus belles femmes de la ville. Et si tout cela ne suffit pas, Agamemnon lui donne aussi la main d’une de ses trois filles, celle de son choix, et de sept villes en guise de cadeau de mariage ! Commencer par offrir des trépieds pour finir par des villes, on sent que la panique a pris le dessus.

Achille recevant les envoyés d’Agamemnon,  Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1801

Mais rien n’y fait.

Jamais à court d’idées, Ulysse tente alors d’appuyer sur un point sensible, son ego : « et tu tueras Hector qui viendra à ta rencontre et qui se vante que nul ne peut se comparer à lui ». Hélas, même cette insolence du Troyen ne parvient à venir à bout de la colère de notre héros décidément inébranlable. Sa réponse est sans équivoque: les « dons d’Agamemnon me sont odieux, et lui, je l’honore autant que la demeure d’Hadès» (autrement dit les enfers), c’est à dire assez peu. 

Incorruptible face aux cadeaux, Achille finit pourtant par reprendre le chemin du champ de bataille pour venger son ami Patrocle, tué par Hector. Et vous, les trépieds vous auraient-ils fait céder ? 

* Tous les extraits de l’Iliade viennent du Chant IX, traduction de Charles-René-Marie Leconte de L’Isle

** Originaires de l’île de Lesbos, cela ne s’invente pas.