Joue-la comme Héra

Héra n’est pas ma déesse préférée. En fait, c’est même celle que j’aime le moins. Il faut dire qu’elle accumule les défauts : cruelle avec son fils Héphaïstos, injuste envers les victimes de son violeur de mari, vindicative pendant la guerre de Troie… Quand elle ne jette pas son nouveau né du mont Olympe car elle le trouve trop laid, elle persécute Io – déjà transformée en vache par Zeus pour la sauver du courroux de sa femme jalouse – en lui envoyant un taon dont la piqure rend fou. Quel que soit le mythe, elle s’illustre par son acharnement à ne s’attaquer qu’à des cibles faibles et vulnérables. 

Les Grec.que.s ne l’entendent pas de cette oreille puisque c’est en son honneur que sont organisés, à Olympie, des Jeux féminins. Et cette nouvelle me réjouit tant que je pourrais (presque) lui pardonner tous ces travers. 

Les Jeux Olympiques ne sont pas ouverts à tous, loin s’en faut. Il faut être Grec, citoyen, n’avoir jamais commis de crime et…. être de sexe masculin. Cela ne vous étonnera guère, les femmes étaient exclues des épreuves mais aussi du spectacle pour la plupart car seules les femmes vierges avaient le droit d’entrer dans le stade. Mais elles ne sont pas privées de sport pour autant ! Car les jeux Héreens, aussi appelés les Héraia, se tiennent tous les quatre ans à Olympie, deux semaines après les Jeux masculins. C’est Pausanias qui, une fois de plus, nous les décrit : ils se composent d’une seule épreuve, une course à pied, à laquelle les athlètes participent par catégorie d’âge. Les gagnantes reçoivent une couronne d’olivier et une partie de la vache sacrifiée à Héra. 

Le temple d’Hera à Olympie reconstitué par… le jeu vidéo Assasin’s Creed

Si l’imaginaire moderne veut que tout ce qui se passe dans un temps ancien est forcément synonyme d’obscurantisme, en ce qui concerne les droits des femmes, la Grèce antique a, à de nombreuses reprises, prouvée que les capacités athlétiques des femmes sont loin d’être méprisées. 

Commençons par les déesses. Athéna, armée de son égide, d’une lance et d’un casque, est la personnification de la stratégie militaire. Comme l’illustre son épithète le plus fameux, Athéna Nikè (Athéna Victorieuse), elle symbolise la puissance, à la guerre comme dans le sport. Arthémis, elle, incarne une autre forme d’athlétisme. Intrépide et sauvage, elle parcourt les forêts munie de son arc et ses flèches. Si l’homme a créé Dieu à son image (ou est-ce le contraire ?), les mythes antiques laissent entrevoir une vision de la femme bien moins domestique que ce que l’on pourrait supposer. 

La civilisation crétoise minoéenne nous donne un autre exemple des relations entre les femmes et le sport. Sur les céramiques et fresques du musée d’Heraklion, on remarque de nombreuses femmes, peintes avec la peau blanche contrairement aux hommes représentés avec la peau foncée, participant aux épreuves de tauromachie ou même de pugilat, comme sur la fresque ci-dessous. 

Sur cette fresque du palais de Knossos, on distingue deux femmes à la couleur blanche de leur peau. Elle ne se contentent pas d’observer la dangereuse épreuve mais prennent pleine part au saut du taureau. 

Et que dire de la puissante Sparte ! Lutte, course à pied, lancer de disque ou javelot, elle sont de toutes les épreuves comme le déplore Euripide dans Andromaque. Écoutons Pelée sermonnant Ménélas qui a eu, d’après lui, le malheur d’épouser une femme de Sparte, Hélène : 

Oui, tu croyais avoir une femme pleine de vertu chez toi, mais c’est en fait la pire de toutes ! D’ailleurs, même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent les mêmes pistes de course et les mêmes palestres que les garçons. Cela m’est insupportable ! 

L’historienne américaine Sarah B. Pomeroy a d’ailleurs démontré la fructueuse participation des femmes spartiates aux Héraia. La boucle est bouclée. 

Cette athlète en Grèce antique est une rare statuette en bronze du Vème siècle avant JC retrouvée à Sparte. On peut aujourd’hui l’admirer, en toute logique, au British Museum. 

C’est peu dire que quand Pierre de Coubertin, à l’origine des JO modernes, déclare en 1912 « Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter  : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine» il démontre son ignorance autant que sa misogynie.