Orthodoxie sanitaire

Noël confiné, une situation qui en rappelle une autre.

Le 19 avril dernier, les Grec.que.s devaient renoncer à fêter Pâques, la plus importante fête de l’année, en famille à cause d’un virus qui n’avait alors fait que 113 morts sur leur territoire national. Pour prévenir toute tentative de rassemblement, le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis impose une interdiction totale de voyager dans le pays du Samedi Saint jusqu’au lundi de Pâques. Et pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur l’interprétation du terme « interdiction totale », l’amende de violation du confinement passe de 150€ à 300€ pendant ces trois jours, les bateaux vers les îles sont bloqués et les hélicoptères sont déployés au dessus d’Athènes et Thessalonique. Il faut dire, l’enjeu est de taille : deux millions de personnes circulent habituellement à travers le pays à l’approche de Pâques. Dans un pays dont le système de santé a été anéanti par dix ans d’austérité, la pandémie est un luxe que la Grèce ne peut pas s’offrir. 

Agneau pascal en solitaire sur une terrasse athénienne le 19 avril dernier.

À cette époque, de nombreuses voix au sein de l’Église orthodoxe s’élèvent pour critiquer la politique du gouvernement. Dans les villages, les popes organisent la résistance. Rejet des masques, fidèles qui embrassent les icônes, pour les gestes barrières il faudra repasser. L’évêque Chrysostomos de Patras, assure que « ceux qui croient à la sainte communion savent qu’ils n’ont rien à craindre » et on entend même des membres du clergé affirmer que le vin distribué pendant la communion élimine le virus. En mai, les Églises ré-ouvrent leurs portes et les images de communion, comme ci-dessous, alimentent de nouveau la polémique. 

Loin d’être anecdotique, la position de l’Église orthodoxe est, littéralement, une affaire d’État. La séparation entre l’Église et l’État telle que nous la connaissons en France n’existe pas en Grèce. Comment un gouvernement peut-il accepter une telle opposition quand les salaires des ecclésiastiques sont payés par les fonds publics ?

Gants, masque et communion. La trinité des gestes barrières à la réouverture des églises en mai dernier. 

Pourtant, l’arrivée au pouvoir du parti conservateur Nouvelle Démocratie en juillet 2019 aurait pu constituer une aubaine pour le clergé Grec. Le Premier Ministre précédent, Alexis Tsipras, était le premier chef d’État athée et de nombreuses mesures telles que l’abandon du statut de fonctionnaire pour les membres de l’Église avaient été mises en place sous sa gouvernance. À moins que ce soit précisément son statut de chef de fil des conservateurs qui autorise Kyriakos Mitsotakis à une attitude très ferme vis à vis de l’Église orthodoxe. Élu depuis moins d’un an quand l’épidémie s’attaque à l’Europe, il prend le sujet extrêmement au sérieux dès les premiers signaux d’alerte en Italie : Fermeture des frontières, villages mis en quarantaine, fermeture des écoles… Sa gestion rapide fait de la Grèce au printemps 2020 la championne d’Europe de la lutte contre le virus. Et son gouvernement ne recule devant aucune pression religieuse, semblant même vouloir faire de Pâques un exemple de son intransigeance face à l’épidémie. 

Le Premier Ministre Grec, Kyriakos Mitsotakis, poivre et sel du masque aux cheveux. 

Mais alors que la deuxième vague s’attaque à la Grèce, fragilisée par l’ouverture de ses frontières durant l’été afin de sauvegarder une partie de sa saison touristique, l’Eglise se trouve dans l’obligation de totalement changer de discours. Car plus que les fidèles, ce sont les hommes d’Église qui sont les premières victimes de l’épidémie : pas moins de 5 prélats sont contaminés début décembre, dont l’archevêque Iéronymos. Le même qui avait affirmé au printemps que « sans la communion, il n’y a pas d’église ». 

Dans un pays où 90% de la population se déclare chrétienne, les églises sont actuellement limitées à neuf personnes et vingt-cinq dans les cathédrales, contre trente chez nous. Une mesure qui, malgré l’approche de Noël, ne rencontre pas de ferme contradiction de l’Église. Une façon de nous rappeler que, quand ils s’agit des mesures sanitaires, ils sont plus orthodoxes que nous.