Le plus beau métier du monde

Éternel second rôle, dans les mythes, Hermès est toujours là sans jamais l’être vraiment. Bon et mauvais à la fois, si ce petit malin se contente souvent de faire passer les messages de Zeus, il est aussi le dieu marchand, patron des commerçants. Et c’est bien sûr cet aspect du personnage que nous allons étudier aujourd’hui !

S’il y a une chose à savoir sur Hermès, c’est que la sobriété c’est pas vraiment son truc. À peine né, il annonce la couleur à sa mère : vivre reclus à ses côté dans le dénuement, très peu pour lui. Ce qu’il veut c’est la richesse et l’abondance. Et pour ça, il a un plan : devenir le prince des voleurs, la plus belle de toutes les carrières à ses yeux. 

Vous pensiez que je m’efforcerais ici de redonner ses lettres de noblesses au beau métier de commerçant ? Dommage, même dans la mythologie, commerçants et voleurs sont deux faces d’une même pièce. 

Hermès et son caducée, adaptation romaine du doryphore de Polyclète que l’on peut admirer au Louvre.

Plus précisément, Hermès est le dieu de l’aubaine.

Laissez moi vous donner un exemple : par un beau matin d’été, 100 euros (ou drachmes) tombent de la poche d’une personne. Une deuxième passe quelques minutes après et ramasse les 100 euros. Vous en conviendrez, cette histoire peut être triste ou joyeuse selon que l’on se place du point de vue de la première ou de la deuxième personne. Or les grecs (qui n’exigent pas une grande moralité de leurs divinités) ont trouvé logique d’imputer ces deux facettes à un seul et même dieu : Hermès. Oui, c’est un dieu voleur mais c’est aussi le dieu de l’aubaine. Et l’aubaine, ma p’tite dame, c’est la base du commerce. 

Hermès, c’est le genre à pouvoir vendre du poisson à Poséidon. Il a l’éloquence facile et s’en sert volontiers pour obtenir ce qu’il veut. L’exemple le plus flagrant de ce don pour la manipulation est raconté par Homère dans l’hymne qu’il lui consacre. 

À peine né, Hermès comprend que travailler, c’est trop dur, et que pour devenir riche et célèbre, il faudra plutôt emprunter un chemin de traverse. Chemin qui le mène rapidement jusqu’à Apollon, en pleine rêverie poétique sur une plaine de Béotie. Ni une ni deux, Hermès profite de son inattention pour lui voler tout son troupeau (50 boeufs tout de même). 

Mais bientôt Apollon s’en aperçoit et retrouve rapidement son demi-frère. Prêt à en découdre, Apollon le menace de diverses façons pour récupérer son bétail. Mais Hermès est bien trop malin pour utiliser la force ! Il sort une lyre créée de ses mains et se met à chanter. Le pauvre Apollon a le coeur sensible et ne peut résister à tant de poésie. Le vol est vite oublié, plus rien ne compte à présent que cet instrument aux sonorités si délicates. Hermès, désormais en position de force, accepte alors d’échanger sa lyre contre le troupeau et un fouet brillant. Mais ce n’est pas tout, en échange de sa promesse de ne plus rien lui dérober dans le futur, il reçoit aussi une baguette de félicité et de richesse, qui deviendra le fameux caducée. 

En langage homérique, il s’agit d’une ruse. En langage courant, on appelle ça une arnaque. 

Leto se resserre

Avant de se plonger dans notre mythe du jour, faisons un petit détour pour explorer ce que nous dit la mythologie sur la maternité.

Pour commencer, un constat. Chez les Grecs antiques, donner la vie est loin d’être un accomplissement. La preuve : la plus puissante de toutes les déesses, Athéna, n’a pas d’enfant et n’en veut pas. Pour autant, le sujet n’est pas mis de côté et les mythes dressent une galerie très vaste de mères, allant des plus tendres (Déméterre avec Perséphone par exemple) aux plus cruelles (comme Héra avec Hephaïstos). En revanche, les premiers instants de la maternité, la grossesse et l’accouchement, sont peu abordés et les dieux et déesses naissent souvent dans leur forme adulte comme Athéna qui sort même du crâne de son père armée jusqu’aux dents.

Loin, si loin de nos « maman hélicoptères » d’aujourd’hui, les déesses en devenant mères portent souvent bien peu d’attention à leur nouveaux nés. En fait, c’est quand ils sont mortels qu’elles s’inquiètent le plus de leur sort (logiquement il faut dire). C’est le cas d’Aphrodite et de son fils mortel Énée. Lors de la guerre de Troie, elle s’implique et le protège. Bien qu’elle ne soit pas portée sur les choses de la guerre, elle se met en danger pour lui, le recouvre d’un pan de son vêtement et le sauve. C’est aussi le cas de Thétis, fille de l’Océan et surtout connue pour être la mère d’Achille. Elle tente de rendre le héros immortel en le trempant dans le Styx, puis essaye, toujours en vain, de le détourner du combat. Mais Achille est mortel et son destin est de mourir, quoiqu’en veuille sa mère impuissante. N’est-ce pas une allégorie sublime de ce que chaque parent redoute le plus au monde ?

Léto enceinte des jumeaux Artémis et Apollon du peintre néerlandais Hendrik Goltzius*

Le plus beau mythe sur l’accouchement est sans doute celui de Léto dans sa version homérique.

Séduite par Zeus, la déesse tombe enceinte et déclenche, une fois de plus, la colère d’Héra. Cette dernière ordonne alors à tous les recoins de la terre de refuser d’accueillir la pauvre Léto pour son accouchement. C’est in extremis qu’elle est recueillie à Délos, entre ciel et terre, alors qu’elle arrive à terme. En échange, la petite île des Cyclades demande simplement que le futur dieu ou la future déesse à naître fasse de l’île son sanctuaire. Mais Héra n’a pas dit son dernier mot ! La reine de l’Olympe interdit à Eileithyia, déesse de la délivrance, d’assister la naissance. Ainsi, pendant neuf jours et neuf nuits, la déesse peine sans parvenir au terme, avant qu’Iris, messagère des dieux et déesses ne parvienne à faire, enfin !, venir Eileithyia. Dès son arrivée, Léto met au monde Artémis. Immédiatement mise à contribution, Artémis aide sa mère à accoucher de son jumeau, Apollon. Marqués par une naissance hors normes et malgré des centres d’intérêts très éloignés – la nature pour l’une, l’art pour l’autre – les deux jumeaux s’aiment et se soutiennent dans toutes leurs aventures. Enfin, pour être honnête, c’est souvent la grande soeur qui vient en aide à son frère qui se fourre toujours dans tous les sales coups. Elle l’assiste quand il affronte le serpent Python, se venge avec lui de la belle Coronis et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité. Et dire qu’il n’a même pas été capable d’inventer une fête des soeurs…

Léto et ses enfants par William Henry Rinehart. 

Sur l’île de Délos comme ailleurs en Grèce, Léto, celle qui a tant souffert, est encore aujourd’hui priée par les futures et les jeunes mamans. J’aurai, de mon côté, une pensée pour elle, quand viendra l’heure de la récolte.

*Titre alternatif au tableau : Léto se prenant en selfie avec sa tablette