Éternel second rôle, dans les mythes, Hermès est toujours là sans jamais l’être vraiment. Bon et mauvais à la fois, si ce petit malin se contente souvent de faire passer les messages de Zeus, il est aussi le dieu marchand, patron des commerçants. Et c’est bien sûr cet aspect du personnage que nous allons étudier aujourd’hui !
S’il y a une chose à savoir sur Hermès, c’est que la sobriété c’est pas vraiment son truc. À peine né, il annonce la couleur à sa mère : vivre reclus à ses côté dans le dénuement, très peu pour lui. Ce qu’il veut c’est la richesse et l’abondance. Et pour ça, il a un plan : devenir le prince des voleurs, la plus belle de toutes les carrières à ses yeux.
Vous pensiez que je m’efforcerais ici de redonner ses lettres de noblesses au beau métier de commerçant ? Dommage, même dans la mythologie, commerçants et voleurs sont deux faces d’une même pièce.
Hermès et son caducée, adaptation romaine du doryphore de Polyclète que l’on peut admirer au Louvre.
Plus précisément, Hermès est le dieu de l’aubaine.
Laissez moi vous donner un exemple : par un beau matin d’été, 100 euros (ou drachmes) tombent de la poche d’une personne. Une deuxième passe quelques minutes après et ramasse les 100 euros. Vous en conviendrez, cette histoire peut être triste ou joyeuse selon que l’on se place du point de vue de la première ou de la deuxième personne. Or les grecs (qui n’exigent pas une grande moralité de leurs divinités) ont trouvé logique d’imputer ces deux facettes à un seul et même dieu : Hermès. Oui, c’est un dieu voleur mais c’est aussi le dieu de l’aubaine. Et l’aubaine, ma p’tite dame, c’est la base du commerce.
Hermès, c’est le genre à pouvoir vendre du poisson à Poséidon. Il a l’éloquence facile et s’en sert volontiers pour obtenir ce qu’il veut. L’exemple le plus flagrant de ce don pour la manipulation est raconté par Homère dans l’hymne qu’il lui consacre.
À peine né, Hermès comprend que travailler, c’est trop dur, et que pour devenir riche et célèbre, il faudra plutôt emprunter un chemin de traverse. Chemin qui le mène rapidement jusqu’à Apollon, en pleine rêverie poétique sur une plaine de Béotie. Ni une ni deux, Hermès profite de son inattention pour lui voler tout son troupeau (50 boeufs tout de même).
Mais bientôt Apollon s’en aperçoit et retrouve rapidement son demi-frère. Prêt à en découdre, Apollon le menace de diverses façons pour récupérer son bétail. Mais Hermès est bien trop malin pour utiliser la force ! Il sort une lyre créée de ses mains et se met à chanter. Le pauvre Apollon a le coeur sensible et ne peut résister à tant de poésie. Le vol est vite oublié, plus rien ne compte à présent que cet instrument aux sonorités si délicates. Hermès, désormais en position de force, accepte alors d’échanger sa lyre contre le troupeau et un fouet brillant. Mais ce n’est pas tout, en échange de sa promesse de ne plus rien lui dérober dans le futur, il reçoit aussi une baguette de félicité et de richesse, qui deviendra le fameux caducée.
En langage homérique, il s’agit d’une ruse. En langage courant, on appelle ça une arnaque.
Ou encore à travers la paternité très maternelle de Zeus
J’en conviens, ce « quelques fois » est un euphémisme : les liens complexes qui lient les mères à leurs rejetons dans la mythologie me passionnent. Et comme si j’avais besoin d’encouragements, une double actualité me force à me pencher, une fois de plus, sur le sujet !
La fête des mères qui approche à grands pas (le dimanche 4 juin, vous avez un cadeau ?)
La sortie de deux livres qui m’ont beaucoup intéressés : Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique de Aurélie Damet et Allaiter de l’Antiquité à nos jours. Histoire et pratiques d’une culture en Europe de Véronique Dasen de Francesca Prescendi*.
Alors c’est décidé, aujourd’hui, on parle de la mère dans sa fonction nourricière. Mais faites confiance à la mythologie pour apporter une vision, disons peu conventionnelle, de l’allaitement !
Détail d’une céramique grecque du IVème siècle avant JC.
Si on regarde de plus près, les mythes qui s’y intéressent impliquent en effet assez peu les mères elles-mêmes. Et quand elles le sont, c’est pour leur reprocher de ne pas avoir allaité leurs bébés.
C’est le cas tragique de Clytemnestre, qui, épuisée d’avoir donné le sein à ses trois premiers enfants, confie cette tâche à une nourrice pour son petit dernier, Orestre. Mauvaise idée ! Quand des années plus tard, ce même Orestre s’apprête à lui trancher la gorge pour venger son père, elle tente de l’amadouer avec un mensonge « Je t’ai nourri, je veux vieillir à tes côtés », mais Oreste ne se laisse pas avoir par le sein dénudé de sa mère et l’égorge sans frémir.
Oreste massacrant Egisthe et Clytemnestre de Bernardino (1654)
En revanche, la mythologie foisonne d’histoires de nourrices, qu’elles soient mortelles comme Euryclée ; ou Ino, qui en donnant le sein à Dyonisos deviendra Leucothée divinité protectrice des marins ; ou même animales comme la chèvre Amalthée qu’on ne présente plus, ou la biche qui recueille Téléphe, fils d’Héraklès et de la mortelle Augé.
Mais l’histoire d’allaitement la plus fameuse est celle d’Héraklès. Il s’agit du mythe étiologique de l’origine de la Voie lactée.
Le récit commence avec une petit nourrisson laissé seul sur une plaine de Grèce. Ce chérubin en détresse a été abandonné par sa mère Alcmène espérant ainsi échapper à la colère d’Héra. Car Alcmène s’est unie bien malgré elle avec Zeus et de cette union est né le dieu qui volera bientôt la vedette à tous les autres avec ses muscles saillants : Héraklès, encore prénommé Alcide.
Comme le hasard fait bien les choses, voilà qu’arrivent sur cette plaine Héra et Athéna**, en pleine promenade digestive. Étonnée par la beauté et la vigueur du nourrisson, Athéna encourage Héra à la prendre au sein. Celle-ci ignore qu’il s’agit du fils illégitime de son mari et s’exécute avec joie. Mais le petit Héraklès lui tête le sein de façon si vigoureuse qu’elle l’éloigne violemment d’elle. Un surplus de lait gicle alors dans le ciel : c’est la création de la Voie lactée.
L’Origine de la Voie lactée de Rubens (1636)
Quel comble ! La mère, Alcmène, censée protéger son enfant, l’abandonne quand la marâtre, d’habitude si peu encline à pouponner, le nourrit.
Cet évènement n’est pas sans conséquence pour notre jeune dieu puisqu’il développe alors une relation privilégiée avec sa belle mère, jusqu’à prendre son nom (Héraklès signifie « à la gloire d’Héra »). Ces fameuses gouttes de lait sorties du sein de la déesse dessinent pour Héraklès la porte d’entrée de l’Olympe. Car par cet allaitement, Héraklès change de statut et devient un dieu olympien.
Quant à Alcmène, elle est emmenée par Zeus à la fin de sa vie sur les îles des Bienheureux, lieu délicieux des Enfers où les âmes vertueuses goûtent un repos bien mérité après leur mort. Enfin une fin heureuse pour une maman !
Hypnos n’est pas un dieu comme les autres. Personnification du sommeil, il est le fils de Nyx, la Nuit, et le frère jumeau de Thanatos, la Mort. C’est vous dire la crainte qu’inspire le sommeil chez nos anciens amis. Il n’est pas des divinités que l’on contrarie, au contraire il est très utile de l’avoir dans sa poche pour faire avancer ses manigances. Quand Héra souhaite solliciter son aide pour endormir Zeus et l’empêcher de porter secours aux Troyens, elle va jusqu’à l’appeler « maître de tous les dieux et de tous les hommes »*. Pas partisan pour un sou, après Héra, c’est son mari Zeus qu’Hypnos va épauler dans l’histoire que je vais vous raconter, celle de la naissance du plus populaire de tous les Dieux : Heraklès.
Tête d’une statue en bronze représentant Hypnos, copie romaine d’un original hellénistique (environ 275 av. J.-C.)
Tout commence quand les Taphiens et les Téléboens, redoutables pirates de la mer Ionienne et pilleurs de villes, débarquent à Mycènes, cité du Nord du Péloponèse pour voler les troupeaux du roi Éléctryion. Les huit fils du roi et de la reine Anaxo sont tués pendant la bataille laissant derrière eux leurs parents ainsi que leur petite soeur, Alcmène. Ni une ni deux, le père endeuillé prend la mer pour une expédition punitive et donne les clés de la ville à son neveu, Amphitryon ainsi que la main de sa fille Alcmène.
Une ville et une épouse d’un seul coup, Amphitryon pense avoir touché le gros lot. Seulement, Alcmène ne l’entend pas de cette oreille et lui affirme qu’elle ne partagera pas son lit tant que ses frères ne seront pas vengés. Le nouveau roi se résigne alors à partir à son tour faire la guerre contre les Taphiens et les Téléboens et laisse sa belle reine seule au palais.
Alors qu’Amphitryon connait de grandes victoires en mer Ionienne,Zeus profite de son absence pour tromper Alcmène. Le dieu prend l’apparence du roi et entre au palais triomphant. Il annonce à Alcmène qu’il a vengé ses frères et réclame les faveurs qu’elle lui refusait jusque là… Mais derrière ce viol se cache bien plus que le simple plaisir de la chair. Zeus a une autre idée derrière la tête : il souhaite par cette union mettre au monde le plus grand de tous les héros. Comme une telle tâche ne peut pas s’accomplir en une seule nuit, par l’intermédiaire d’Hermès, il demande de l’aide à Hélios, le Soleil et à Hypnos, le Sommeil. Afin que cette nuit dure trois nuits, Hélios éteint ses feux solaires, détèle son char et reste tranquillement chez lui le lendemain. Quant à Hypnos, il est chargé d’endormir l’humanité toute entière d’un si profond sommeil pour que personne ne s’aperçoive de ce détour temporel.
Jupiter et Alcmène gravure de Nicolas Tardieu (1729)
Ainsi, pendant trente-six heures, Alcmène s’offre à son soit-disant mari. Quand le vrai Amphitryon revient le lendemain et annonce sa victoire, il est étonné du manque d’enthousiasme de sa femme. Et quand il tente de l’emmener dans leur chambre à coucher, la reine lui annonce qu’autant elle était prête à écouter le récit du combat une deuxième fois pour lui faire plaisir, mais que pour ce qui est de retourner au lit, la réponse est non. Elle est bien trop épuisée par la nuit qu’ils viennent de passer. Interloqué, Amphytrion se précipite chez le devin Tirésias qui lui révèle le pot aux roses. Mais quand on est fait cocu par le roi des Dieux, il n’est pas facile de se venger. Le pauvre Amphytrion n’osa plus jamais toucher sa femme, de peur de s’attirer les foudres de la jalousie divine.
Neuf mois plus tard, Alcmène accouche d’un demi-dieu, Heraklès, destiné à de très grandes choses. Mais c’est une autre histoire !
Le rameau d’olivier d’Éiréné, déesse de la paix, l’olivier qu’Athéna fait jaillir du sol pour gagner le patronage de la ville d’Athènes, la couronne d’oliviers des jeunes mariés : l’olivier porte en lui de multiples allégories. Poursuivons ensemble ce jeu des symboles !
L’allégorie que nous choisissons pour cet arbre-ci est justement Éiréné, la déesse de la paix. Dans l’Énéide, Virgile associe à plusieurs reprises son attribut, le rameau d’olivier, à la Paix. Mais c’est surtout l’Ancien testament, avec Noé, qui impose notre arbre fétiche définitivement comme le symbole de la paix partout en Occident.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Antéros, le dieu de l’amour réciproque, ou de la haine et de l’aversion. Attention, Antéros est susceptible et punit également ceux qui se moquent de l’amour. Celui-là ne badine pas avec l’amour, vous l’avez compris.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Thrasos, l’esprit de l’audace. Thrasos possède deux visages : personnalisation du courage, il peut devenir arrogant quand il s’emporte.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Eulabéia, l’esprit de la discrétion, de la prudence et de la circonspection. Dans l’évangile selon Saint Luc, on retrouve le terme “eulabe” (εὐλαβής) pour caractériser un homme pieux.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Tyché, la déesse de la chance, de la providence et du destin. Elle est représentée avec une balle qui rebondit de bas en haut, signe de l’insécurité de nos destins.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Hédoné, l’esprit du plaisir. L’union entre Psyché (l’Âme), et Éros (le Désir), ne pouvait qu’engendrer la plus sensuelle des déesses.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Pistis, l’esprit de la confiance, de l’honnêteté et de la bonne foi. Les Romains avec son équivalent Fides feront d’elle, plus tard, une divinité de premier ordre.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Nomos, l’esprit de la loi. Décrite par Hérodote, elle seule permet selon lui aux humains de vivre ensemble en harmonie.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Hormé, l’esprit de l’élan, de l’enthousiasme, du fait de se mettre en mouvement et de commencer une action. Liée au culte d’Athéna, Hormé est associée aux artisans, à tous ceux qui travaillent avec leurs mains.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Alètheia, l’esprit de la vérité, de l’honnêteté et de la sincérité. Chouchoute des philosophes, elle apparaît dans les textes du Grec Parménide au Vème siècle avant JC puis chez… Heidegger au XXème siècle !
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Technè, la personnification des arts et des compétences. Le terme techné devient chez Aristote l’action efficace qu’il oppose à la praxis, l’action qui permet de se perfectionner.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Aergie, l’esprit de l’oisiveté, de la paresse et de l’indolence. D’après l’auteur latin Hygin, elle garderait Hypnos, dieu du sommeil, dans le royaume souterrain des morts. A priori, ils devraient bien s’entendre.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euthénie, l’esprit de la prospérité, de l’abondance et de la profusion. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire).
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Elpis, l’esprit de l’espérance et des attentes. Seul maux resté au fond de la boîte de Pandore, Elpis interroge notre compréhension de la notion d’espérance. Elle est cette attente ambigüe qui fait le sel de l’existence humaine !
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Péitho, l’esprit de la persuasion et de la séduction. Selon Hésiode, elle aide les Heures et les Charites à parer Pandore (celle de la fameuse boîte) de tous les attributs de la séduction.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Philophrosyne, l’esprit de la bienveillance, de la bonté et de la bienvenue. Malgré son nom pas très avenant, elle est l’une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Euthénie (la Prospérité), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire).
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Arété, l’esprit de la vertu, de l’excellence, de la moralité et de la bravoure. Pour l’helléniste Werner Jaeger, l’arété représente pour les Grecs anciens l’adaptation parfaite, un idéal utile, qui s’ajuste, loin de nos acception modernes de la vertu.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Ponos, l’esprit du travail et du labeur. Fils d’Eris (la Discorde), selon Hésiode, il a entre autres pour soeurs Léthé (l’Oubli), Limos (la Famine), les Algos (la Douleur), les Phonoi (les Meurtres), ou encore les Pseudea (les Mensonges). On choisit pas sa famille…
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Adéphagie, l’esprit de la satiété et de la gloutonnerie. Le jargon médical français, très friand des étymologies grecques, lui a emprunté son nom pour définir une faim excessive.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Morphée, le dieu des rêves, qui prend forme humaine. Dans l’Iliade, Zeus l’envoie auprès d’Agamemnon pour lui suggérer le rêve destructeur qui incite les Achéens à reprendre le combat.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Sophrosyne, l’esprit de la modération, de la maîtrise de soi, de la tempérance, de la retenue et de la discrétion. Elle a donné son nom à un tout petit crustacé tout aussi modeste qu’elle.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euphémé, l’esprit des mots de bon augure, de l’acclamation, de l’éloge, des applaudissements et des cris de triomphe. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euthénie (la Prospérité) et Eukléia (la Gloire).
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Kalos kagathos, l’esprit de la noblesse. Devenue une expression idiomatique exprimant l’idéal de corps et d’esprit, “kalos kagathos” est en quelques sortes l’ancêtre du fameux “mens sana in corpore sano” latin.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Niké, la déesse de la victoire. C’est la forme de ses ailes qui inspirera à une célèbre marque de sport américaine son fameux logo…
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Caerus, l’esprit de l’opportunité. C’est le plus jeune des fils de Zeus, le petit chouchou en quelque sorte.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Coros, l’esprit de l’excès. Il accompagne Dyonisos, le dieu de la vigne. On lui avait pourtant dit que boire en excès comporte des risques.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Épiphron, l’esprit de la prudence, de la perspicacité, de la prévenance et de la sagacité. Fils d’Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit), il a retenu la leçon de ses parents : dans l’obscurité, la prudence est de mise, sur la route comme dans la vie.
L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Bia, l’esprit de la force, de la puissance, de la force physique et de la compulsion. Avec le dieu Cratos, elle enchaîne Promethée au aux rochers du Caucase sur ordre de Zeus pour le punir d’avoir donné le feu aux humains.
Peut-on être immortel et vulnérable à la fois ? Autrement dit, les divinités de la mythologie ont-elle droit à la petite enfance, à ce premier âge, celui où la survie est entièrement entre les mains (ou les pattes, nous le verrons) de celles et ceux qui prennent soin de nous ?
Ce paradoxe, les mythes peinent à le contourner quand ils nous font le récit des origines de nos dieux et déesses favorites. Mieux encore, ils semblent se contredire sans que cela ne pose problème à qui que ce soit ! Tandis qu’Athéna nait toute grandie, armée jusqu’aux dents et en pleine possession de ses facultés divines, d’autres, comme son père Zeus, passent d’abord par la case nourrisson.
Laissez-moi rafraîchir votre mémoire et revenons justement sur la naissance de Zeus.
Son père Cronos redoutant de subir le sort qu’il a lui-même infligé à son paternel Ouranos, celui-ci préfère ne prendre aucun risque et avale donc chaque bébé qui naît de son union avec Rhéa. Enceinte de son petit dernier et lassée de voir ses enfants un par un gobés par son terrible mari, Rhéa met en place une supercherie : alors qu’elle vient de mettre au monde le petit Zeus, elle attend la nuit sombre pour le présenter à Cronos. Elle sait que son Titan de mari à l’intention de n’en faire qu’une bouchée alors elle remplace le bébé par une petite pierre dans le lange que Cronos, dans la pénombre, avale sans sourciller.
La version du mythe par Nicolas Poussin qui, il faut le dire, ne fait la part très belle à notre chè(v)re Amalthée.
Ouf ! Zeus est sauvé et il est envoyé en Crète sur les flancs du mont Égéon, auprès des nymphes. Difficile d’imaginer le roi des dieux en nourrisson sans défense. Pourtant, le petit Zeus partage avec les Hommes qu’il aimera et aidera tant cette fragilité originelle. Les nymphes chargées de sa protection choisissent soigneusement les nourrices en charge de son alimentation : la chèvre Amalthée est désignée pour son lait et l’abeille Panacris est sélectionnée pour son miel. Devant la grotte, les Curètes, divinités crétoises nées de la pluie, dansent en frappant leur bouclier avec leurs lances pour étouffer les pleurs du nouveau né. Une fois adulte, Zeus part sans plus attendre combattre son père. Avec l’aide de la Titanide Métis, il fait boire à Cronos une boisson émétique qui fait immédiatement vomir son père de toute la fratrie. Désormais en bonne compagnie, la guerre contre les Titans peut commencer…
On note au passage que les frères et soeurs de Zeus avalé.e.s par Cronos, n’étaient par mort.e.s mais seulement prisonnier.e.s du ventre de leur père. Au cours de cette deuxième gestation paternelle, Héra, Déméter, Poséidon et les autres s’aguerrissent. Car chez les Grecs, on ne se débarrasse pas facilement d’un bébé mis au monde ! Gobés par leur père, abandonnés en haut d’une montage comme Pâris et Oedipe ou jetés du haut de l’Olympe comme Héphaistos, mortels ou immortels, les nouveaux-nés ont toujours le don de survivre au sort que leur réserve leurs parents (et ont tendance à sacrément se venger par la suite).
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre chèvre.
Si c’est Amalthée qui est choisie pour nourrir le jeune dieu, c’est que la chèvre tient une place toute particulière dans le monde grec. Gardée en troupeau, parfois par des personnages illustres comme Ulysse qui en possède onze hardes sur son île d’Ithaque, elle existe aussi en grand nombre à l’état sauvage, faisant alors des ravages dans les plantations (et sur le bougainvillier de mon père, mais c’est une autre histoire). Familière et indomptable à la fois, elle est à l’intersection entre le sauvage et le civilisé. Elle se trouve dans un espace intermédiaire, un peu comme le petit Zeus dans sa grotte : pas encore tout à fait un Dieu sans être homme pour autant.
Zeus et son allaitement caprin n’est d’ailleurs pas un cas unique. C’est aussi l’histoire d’Asklepios, le fils d’Apollon et de Coronis et des jumeaux Philacis et Philander, nés de l’union entre Acacallis, fille du roi Minos et… d’Apollon, encore lui ! Cette lettre est dédiée à toutes les chèvres d’ici ou d’ailleurs. Coeur avec les cornes.
Dessin à la plume et à l’encre brune de Giulio Romano représentant les nymphes nourrissant Jupiter avec le lait de la chèvre Amalthée.
Et si l’allaitement par une chèvre peut vous sembler incongru, que dire du cas du petit Pâris ! Abandonné dans la montagne suite au rêve prémonitoire de sa mère Hécube, il est secouru par une ourse qui pendant cinq jours et cinq nuits nourrit de son lait le prince troyen. Quand Agelaos, berger et serviteur de Priam et d’Hécube, revient pour vérifier que le bébé est bien mort et qu’il s’aperçoit avec stupeur qu’il a survécu, il n’a pas le coeur de le tuer et l’élève comme son propre fils. En attendant de croiser la route de trois célèbres déesses, Pâris devient berger, le plus sauvage des métiers, rien de très étonnant pour celui qui a été nourri par le plus sauvage des animaux.
Qu’elle soit animale ou pas, la figure de la nourrice est omniprésente dans les récits de naissances mythologiques. La plupart des déesses semblent très pressées, une fois leur enfant mis au monde, de le confier à quelqu’une d’autre. Même la très maternelle Leto confie Apollon à peine mis au monde à l’île de Délos anthropomorphisée.
Et si le lien entre nourrice et nourrisson semble très banal dans les mythes, il n’en est pas moins puissant. L’exemple le plus connu de ce lien inaltérable est celui qui unit Ulysse et sa nourrice Euryclée. Quand il rentre (enfin) à Ithaque déguisé en mendiant, la vieille nourrice est une des toutes premières à le reconnaître grâce à une cicatrice qu’il possède sur la cuisse. Pourtant assise à leurs côtés, Pénélope, elle, est incapable d’identifier son mari qu’elle attend fidèlement depuis tant d’années. Ce trio formé par Euryclée la nourrice, Ulysse costumé et Pénélope rongée par la tristesse inspire d’ailleurs les artistes depuis plus de trois mille ans ! En 2022, on peut admirer la scène sur des bas reliefs du 1er siècle avant JC au Metropolitan Museum de New York, sur des toiles du XVIIIe siècle au Louvre ou encore au musée des beaux arts de La Rochelle.
Je vous laisse avec ce petit florilège :
Une des plus anciennes représentation de la scène mythique de L’Odyssée ici sur un bas relief datant de 450 avant JC. Bas relief du 1er siècle découvert à Rome. Ulysse reconnu par sa nourrice à son retour de Troie sur une peinture à l’huile de William Bouguereau de 1848. Gustave Boulanger peint la scène dans un style plus moderne l’année d’après, en 1849.
Avant de se plonger dans notre mythe du jour, faisons un petit détour pour explorer ce que nous dit la mythologie sur la maternité.
Pour commencer, un constat. Chez les Grecs antiques, donner la vie est loin d’être un accomplissement. La preuve : la plus puissante de toutes les déesses, Athéna, n’a pas d’enfant et n’en veut pas. Pour autant, le sujet n’est pas mis de côté et les mythes dressent une galerie très vaste de mères, allant des plus tendres (Déméterre avec Perséphone par exemple) aux plus cruelles (comme Héra avec Hephaïstos). En revanche, les premiers instants de la maternité, la grossesse et l’accouchement, sont peu abordés et les dieux et déesses naissent souvent dans leur forme adulte comme Athéna qui sort même du crâne de son père armée jusqu’aux dents.
Loin, si loin de nos « maman hélicoptères » d’aujourd’hui, les déesses en devenant mères portent souvent bien peu d’attention à leur nouveaux nés. En fait, c’est quand ils sont mortels qu’elles s’inquiètent le plus de leur sort (logiquement il faut dire). C’est le cas d’Aphrodite et de son fils mortel Énée. Lors de la guerre de Troie, elle s’implique et le protège. Bien qu’elle ne soit pas portée sur les choses de la guerre, elle se met en danger pour lui, le recouvre d’un pan de son vêtement et le sauve. C’est aussi le cas de Thétis, fille de l’Océan et surtout connue pour être la mère d’Achille. Elle tente de rendre le héros immortel en le trempant dans le Styx, puis essaye, toujours en vain, de le détourner du combat. Mais Achille est mortel et son destin est de mourir, quoiqu’en veuille sa mère impuissante. N’est-ce pas une allégorie sublime de ce que chaque parent redoute le plus au monde ?
Léto enceinte des jumeaux Artémis et Apollon du peintre néerlandais Hendrik Goltzius*
Le plus beau mythe sur l’accouchement est sans doute celui de Léto dans sa version homérique.
Séduite par Zeus, la déesse tombe enceinte et déclenche, une fois de plus, la colère d’Héra. Cette dernière ordonne alors à tous les recoins de la terre de refuser d’accueillir la pauvre Léto pour son accouchement. C’est in extremis qu’elle est recueillie à Délos, entre ciel et terre, alors qu’elle arrive à terme. En échange, la petite île des Cyclades demande simplement que le futur dieu ou la future déesse à naître fasse de l’île son sanctuaire. Mais Héra n’a pas dit son dernier mot ! La reine de l’Olympe interdit à Eileithyia, déesse de la délivrance, d’assister la naissance. Ainsi, pendant neuf jours et neuf nuits, la déesse peine sans parvenir au terme, avant qu’Iris, messagère des dieux et déesses ne parvienne à faire, enfin !, venir Eileithyia. Dès son arrivée, Léto met au monde Artémis. Immédiatement mise à contribution, Artémis aide sa mère à accoucher de son jumeau, Apollon. Marqués par une naissance hors normes et malgré des centres d’intérêts très éloignés – la nature pour l’une, l’art pour l’autre – les deux jumeaux s’aiment et se soutiennent dans toutes leurs aventures. Enfin, pour être honnête, c’est souvent la grande soeur qui vient en aide à son frère qui se fourre toujours dans tous les sales coups. Elle l’assiste quand il affronte le serpent Python, se venge avec lui de la belle Coronis et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité. Et dire qu’il n’a même pas été capable d’inventer une fête des soeurs…
Léto et ses enfants par William Henry Rinehart.
Sur l’île de Délos comme ailleurs en Grèce, Léto, celle qui a tant souffert, est encore aujourd’hui priée par les futures et les jeunes mamans. J’aurai, de mon côté, une pensée pour elle, quand viendra l’heure de la récolte.
*Titre alternatif au tableau : Léto se prenant en selfie avec sa tablette
La récolte achevée, l’heure est au repos ! Pour les travailleuses et travailleurs mais aussi pour l’huile nouvelle, qui patiente dans une grande cuve en inox. Et avant d’être embouteillée, elle passe par une étape plus importante qu’il n’y paraît : le filtrage.
L’huile non filtrée possède un aspect trouble que vous avez peut-être déjà observé. Sa turbidité et le petit dépôt qui se forme parfois évoque une culture naturelle, authentique. Avant de vous laisser charmer par sa rusticité, laissez-moi vous en dire un peu plus.
Avec Manolis, le producteur, notre choix est de filtrer l’huile avant de la mettre en bidon. Et nous avons de bonnes raisons pour le faire !
Détail de bouteilles d’huile d’olive non filtrée.
La turbidité de l’huile non filtrée est créée par la présence d’éléments qui n’ont pas eu le temps de redescendre pendant la phase de repos : de la pulpe d’olive, des restes de noyau et un peu d’eau qui se trouvait dans le fruit.
Mais il faut se méfier de l’eau qui dort, encore plus quand elle dort dans notre huile chérie. L’eau fait augmenter l’acidité de l’huile. Or, ce taux d’acide oléique qui détermine si une huile peut obtenir la mention « vierge extra » doit rester le plus bas possible. Pour les restes de noyaux, s’ils passent inaperçus la plupart du temps, ils peuvent de temps en temps fermenter et dégrader l’huile qui développe alors des défauts. Hormis ces défauts organoleptiques qu’il prévient, le filtrage n’a aucun impact sur les arômes d’une huile.
Enfin, filtrer permet de protéger les machines d’embouteillement qui pourraient s’enrayer. Cela peut paraître anecdotique mais comme nous avons la chance d’embouteiller « à la maison », c’est à dire chez Manolis qui stocke l’huile dans son atelier, les machines utilisées pour la mise en bidon sont efficaces mais sommaires. Nous les traitons donc avec grande précaution pour continuer de les utiliser très longtemps !
L’huile qui vient d’être pressée est trouble et possède ce vert insolite qui surprend souvent la première fois.
Dans ce cas, pourquoi trouve-t-on de l’huile non filtrée ?
Chaque cas est différent mais la mode de l’huile non filtrée ces dernières années semble surtout reposer sur l’aspect « naturel » d’une huile trouble. Bref un argument purement marketing . De plus, un peu d’huile est retenue dans l’appareil de filtrage, ce qui constitue un manque à gagner pour les producteurs et productrices.
Tous les arguments à l’encontre du filtrage ne sont pas fallacieux pour autant. J’ai rencontré un producteur par exemple qui avait à coeur d’optimiser les qualités nutritionnelles de l’huile car il est vrai que certains anti-oxydants de l’huile voient leur teneur diminuer après filtrage. Enfin, certains « tout petits » producteurs n’ont, tout simplement, pas accès à des machines de filtrage.
C’est décidé, on filtre. Mais comment ?
Nous utilisons une machine à plaques de cellulose, ce matériau qui compose le coton à 99%. Ici, il a une texture plus dense, plus caoutchouteuse. L’huile passe à travers et y dépose les petites particules non désirées.
Comme on le voit ci-dessous, l’huile non filtrée y entre par la droite et ressort translucide par la gauche.
Machine à filtre similaire à celle utilisée par Manolis. La photo est empruntée au magazine Jus d’olive, qui avait consacré un super article à la question du filtrage en juin 2019.
Attention, le filtrage est loin d’être le facteur principal qui détermine la qualité d’une huile. La variété des oliviers, leur âge, la quantité d’eau qu’on leur aura donnée ou le moment choisi pour récolter ont, par exemple, une influence bien supérieure sur la qualité des arômes. Mais j’aime à penser que ce sont les petits questionnements qui font les grandes huiles !
Pour ce qui est des cadeaux, c’est l’intention qui compte. Mais l’intention est-elle toujours innocente ? N’y avait-il vraiment aucune arrière-pensées derrière ce vélo d’appartement, offert à son mari qui a pris un peu de poids ? Ou derrière ces costumes Arnys, gentiment donnés à cet homme politique ? Pour trancher la question, on se penche sur un épisode fameux de l’Iliade…
Nous sommes au XIIème siècle avant JC et Troie est assiégée par l’armée grecque depuis dix longues années. Alors que tout avait plutôt bien commencé pour les troupes du Grec Agamemnon, le situation tourne désormais au vinaigre : Le troyen Hector enchaine les victoires depuis qu’Achille a déserté le champ de bataille pour exprimer sa colère contre Agamemnon qui a enlevé Briséis, sa captive.
La reddition d’Achille de Briséis à Agamemnon sur une fresque de Pompéi, Ier siècle après JC
Entouré du sage Nestor, roi de Pylos, et du rusé Ulysse, Agamemnon commence à comprendre que se mettre à dos le seul guerrier capable de vaincre Hector n’était probablement pas une très bonne décision. Et quand on sait que toute cette histoire a commencé car son propre frère, Ménélas, souhaitait récupérer sa femme, Hélène, enlevée par le troyen Paris, on se dit qu’ils se seraient tous évités pas mal d’ennuis s’ils s’était retenus de capturer des femmes. Agamemnon ravale donc sa fierté et décide de convaincre Achille de reprendre les armes à leurs côtés. Courageux mais pas téméraire, il envoie Ulysse, Nestor et le vieil éducateur d’Achille, Phénix, comme émissaires.
Arrivés dans la tente d’Achille, Ulysse prend la parole.
Pour commencer, il tente de l’attendrir et décrit la situation militaire calamiteuse. Il se désole « si cela continue comme cela, tous les Grecs risquent de mourir ici, à Troie* ». Face au visage fermé du héros, Ulysse tente la culpabilisation : s’il ne vient pas les sauver, c’est sûr, Achille sera « saisi de douleur, car il n’y a point de remède contre un mal accompli ». Pourtant, toujours aucune réaction du héros.
Les manipulations psychologiques ayant échoué, Ulysse passe aux choses sérieuses et lui présente l’offre d’Agamemnon : « sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course », ainsi que des chevaux aux sabots massifs. Et ce n’est pas tout ! Il promet aussi « sept belles femmes Lesbiennes**», en plus de Briséis, qu’il lui rend volontiers, avec le serment qu’elle n’a jamais connu son lit. Le roi s’avance même en lui promettant des choses qu’il ne possède pas encore : la nef d’or et d’airain de Troie et les vingt plus belles femmes de la ville. Et si tout cela ne suffit pas, Agamemnon lui donne aussi la main d’une de ses trois filles, celle de son choix, et de sept villes en guise de cadeau de mariage ! Commencer par offrir des trépieds pour finir par des villes, on sent que la panique a pris le dessus.
Achille recevant les envoyés d’Agamemnon, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1801
Mais rien n’y fait.
Jamais à court d’idées, Ulysse tente alors d’appuyer sur un point sensible, son ego : « et tu tueras Hector qui viendra à ta rencontre et qui se vante que nul ne peut se comparer à lui ». Hélas, même cette insolence du Troyen ne parvient à venir à bout de la colère de notre héros décidément inébranlable. Sa réponse est sans équivoque: les« dons d’Agamemnon me sont odieux, et lui, je l’honore autant que la demeure d’Hadès» (autrement dit les enfers), c’est à dire assez peu.
Incorruptible face aux cadeaux, Achille finit pourtant par reprendre le chemin du champ de bataille pour venger son ami Patrocle, tué par Hector. Et vous, les trépieds vous auraient-ils fait céder ?
* Tous les extraits de l’Iliade viennent du Chant IX, traduction de Charles-René-Marie Leconte de L’Isle
** Originaires de l’île de Lesbos, cela ne s’invente pas.
La récolte a commencé ! Tandis que les producteurs et productrices crétois.e.s s’activent sous les oliviers, nous devons aujourd’hui trancher le plus grand dilemme des temps modernes : faut-il préférer les caisses en plastique aux traditionnels sacs en toile de jute pour récolter les olives tout juste tombées des arbres ? Quelques arguments pour que vous vous fassiez votre idée.
À ma gauche, le choix classique : le sac en toile de jute
Les plus :
Écolo… enfin presque : 99% de la production mondiale de toile de jute se trouve en Inde ou au Bangladesh.
Une fois la récolte finie, ils sont faciles à ranger et à stocker, pas comme ces satanées caisses qui prennent une place folle.
2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, le sac se transforme en coussin. Pratique !
Les moins :
Une fois remplis, ils pèsent 30 à 50 kilos, on souffre pour les petites olives qui sont tout au fond du sac. Or une olive en parfait état, c’est l’assurance d’une huile de grande qualité.
Pour la même raison, ils sont un vrai calvaire à transporter du champ au pick-up, du pick au moulin
À ma droite, le choix des puristes : la caisse en plastique
Ces jolies petites olives se sont gentiment laissées prendre en photo la semaine dernière, dans un de nos champs.
Les plus :
Fini les olives écrasées, elles sont aérées et en parfait état jusqu’au moulin.
2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, la caisse se transforme en tabouret. Pratique !
Les moins :
Dans “caisses en plastiques”, il y a le mot… plastique.
Verdict : Si les caisses sont peu à peu préférées aux sacs par de nombreux producteurs et productrices consciencieuses, moi la première, beaucoup considèrent encore que si les olives sont récoltées au bon moment, la variété koroneiki est suffisamment robuste pour qu’elles restent fermes, même tout au fond du sac. Bref, pour faire une super huile, quand l’affaire est dans le sac, pas besoin d’en faire des caisses.
Pour finir, un instantané de récolte, prit la semaine dernière dans le village d’Adravasti alors que je préparais les olives destinées devenir des olives de table.
Mardi 12 octobre dernier, un puissant séisme de magnitude 6,3 à frappé l’Est de la Crète. Son épicentre se trouve à seulement 24 kilomètres de notre village d’Adravasti et ses secousses se sont fait ressentir fortement, au point de détruire la petite chapelle de Xerokampos. Cette chapelle, je la connais bien car je passe devant quand je vais récolter du sel dans les rochers, au sud de la plage de l’argile. Souvent, je m’y arrête. À l’intérieur, on trouvait un tableau représentant Saint George terrassant son dragon. On pouvait aussi y déposer un tamata, cet ex-voto grec dont je vous parlais l’année dernière. Dans l’article que je leur ai consacré, il y a une photo prise dans la jolie chapelle détruite. On y voit des tamatas représentant un militaire, un cheval ou encore un monsieur qui a l’air d’avoir envie de faire pipi. J’espère que chacun de ces voeux a été exaucé. Le mien ? La revoir renaître de ses cendres !
Quittons le spirituel et revenons à la science. Il se trouve que vous avez à faire à une grande spécialiste puisque j’ai eu l’honneur d’assister en personne au cours sur la tectonique des plaques de Mme Davy, professeur de SVT des 4èmeB au 3ème étage du bâtiment A du collège Victor Hugo. En gros, la terre est constituée de grandes plaques de la taille de continents et qui portent d’ailleurs le nom de continents, ces plaques elles bougent, tout le temps. Depuis environ 30 millions d’années, la plaque africaine se déplace vers le Nord-Est, en direction de la plaque eurasienne à un rythme d’un centimètre par an. Aux points de contact, aussi appelé marge active, la plaque africaine s’enfonce sous la place eurasienne, c’est ce qu’on appelle le phénomène de subduction. Cette marge, représentée en rouge sur la petite carte ci-dessous, passe par la Crète et encercle la mer Égée d’un arc gracieux. Cela explique le relief montagneux de tout cette partie de la Grèce ainsi que les séismes fréquents.
Ce séisme succède à celui qui avait fait un mort et des dizaines de blessés dans la région d’Heraklion le 27 septembre dernier. Oui, la terre tremble souvent en Crète mais de telles secousses avec autant de dégâts sont rares.
L’histoire antique en a gardé la trace: il semble que la Crète ait été le bassin du plus grand séisme jamais connu en Méditerranée, à l’aube du 21 juillet 365. Un tremblement de terre si puissant qu’il a causé un retrait spectaculaire de la mer avant qu’une vague immense ne vienne frapper la côte. Des bateaux sont retrouvés à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Et si son épicentre se trouve au Sud de la Crète, de nombreuses régions de Méditerranée sont touchées, dont Alexandrie, qui voit son phare vaciller. Cette épisode tragique est raconté par l’historien latin Ammien Marcellin (Ammianus Marcellinus en VO) dans son Histoire romaine. Nombreux d’ailleurs sont les auteurs qui y font référence. Mais Marcellin est le seul ne donner aucune explication divine, ce qui fait de lui la source préférée de nos historiens modernes. Car pour la plupart des chroniqueurs de l’époque, la chose est entendue : le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi sont la conséquence directe de la mort de l’empereur Julien.
Avant de comprendre d’où leur vient cette idée saugrenue, il faut s’arrêter un instant sur le parcours du fameux Julien.
L’empereur Julien par Giovanni Battista Cavalieri, 1583.
Neveu de Constantin le Grand, premier empereur chrétien, pour lui, tout avait très mal commencé. Il a six ans à la mort de son oncle quand son cousin Constance II décide l’exécution de toute la famille proche de Julien afin d’éviter que cette branche de la famille ne revendique le trône. Il est envoyé en exil à Constantinople où il est baptisé de force et élevé par un évêque. Après avoir étudié la philosophie à Milan et à Athènes, il est finalement convoqué par son cousin-empereur qui lui décerne le titre de César des Gaules. Voilà ce rat de bibliothèque, nerveux et timide à la tête de l’armée impériale. Et contrairement à toute attente, il excelle dans ce nouveau rôle ! Il faut dire que cet admirateur d’Athéna, déesse de la guerre, prend la tâche très au sérieux : il refuse tout le faste impérial, apprend à marcher au pas et partage avec ses soldats nourriture et conditions de vie. Les victoires s’enchainent en Gaule et en Germanie, à tel point que l’empereur décide de l’envoyer à la frontière perse pour se débarrasser de ce numéro deux un peu envahissant. Comprenant la manoeuvre, l’armée de Julien refuse et proclame leur chef Auguste à la place de l’Auguste. Face à ce putsch, Constance II prend la route vers la Germanie accompagné de son armée pour venir remettre à sa place son cousin ambitieux. Hélas pour lui, il tombe gravement malade en chemin et, sur son lit de mort, finit par désigner Julien comme son successeur.
À peine aux commandes, le nouvel empereur promulgue un un édit de tolérance qui autorise toutes les religions. Helléniste convaincu, il souhaite en effet refermer la parenthèse chrétienne et entreprend de restaurer les rites polythéistes. Je ne divulgache* rien en vous annonçant que c’est un échec : alors qu’on ne compte que 5 à 10% de chrétiens dans l’Empire au moment de la conversion de Constantin Ier en 312, à la fin du siècle la foi chrétienne était devenue un signe de prestige social et un élément indispensable pour faire carrière dans l’Empire. Et sa chute en 476 n’est que le point de départ d’une expansion très forte du christianisme en Europe et dans le monde. D’ailleurs, quand Julien meurt au combat en 363, trois ans après son accession au pouvoir, la légende veut qu’il ait déclaré « Tu as vaincu, Galiléen ! », Galiléen signifiant ici Jésus Christ.
Le tremblement de terre, deux ans plus tard, serait donc aux yeux de plusieurs auteurs un deuil porté par les Dieux, Poseidon en tête, pour celui qui a tenté de leur redonner leur place.
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture de l’article Poséidon, le dieu du séisme, paru en novembre 2016 dans la Revue des Deux Mondes.
Photo prise à côté d’Adravasti le 12 octobre dernier.
La mythologie grecque, bien plus que nos récits modernes il me semble, explore de nombreuses facettes de l’amour. L’amour romantique, qui unit par exemple Hélène et Paris, ou celui plus charnel entre Aphrodite et Arès,l’amour filial de Zeus pour Dyonisos qu’il porte dans sa cuisse, celui de Déméter pour sa fille Perspéhone ou encore l’amitié d’Achille pour Patrocle* qu’Homère utilise comme un élément déclencheur de la guerre de Troie, tous les visages de l’amour s’y côtoient et s’y mêlent. Plus encore, la mythologie ne semble pas établir de hiérarchie entre ces formes d’amour.
À la lecture des mythes antiques, je suis souvent frappée par la récurrence du sentiment amoureux qui uni les frères et soeurs. Loin des cruelles et envieuses Javotte et Anastasie de Cendrillon, on y trouve des fratries aimantes, qui se complètent et s’entreaident. C’est le cas, par exemple, des jumeaux Artémis et Apollon. Tout juste arrivée sur terre, Artémis s’empresse d’aider sa mère Léto à accoucher de son jeune frère. Plus tard, elle l’assiste dans son combat avec le serpent Python et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité fraternelle.
Un autre mythe développe ce thème, c’est celui des soeurs Procné et Philomèle, et ayant moi-même deux soeurs, j’y suis particulièrement sensible. Il s’agit aussi un mythe étiologique, c’est-à-dire qu’il cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant mais je pense que vous ne regardez plus jamais les hirondelles de la même façon…
Avec son Philomèle et Progné de 1861, la peintre Elizabeth Jane Gardner Bouguereau nous présente la tendresse qui unit les deux soeurs.
Procné et Philomèle sont les deux filles de Zeuxippe et Pandion, cinquième roi légendaire d’Athènes. L’ainée, Procné est mariée à Térée, roi de la lointaine Thrace** et de cette union est née un fils, Itys. Cinq ans plus tard, Athènes et sa famille lui manquent et elle exprime à son mari le désir de revoir sa soeur. Térée se rend donc à Athènes pour demander au roi Pandion l’autorisation d’amener la jeune Philomèle avec lui. Mais dès qu’il aperçoit la princesse, il oublie toutes ses bonnes intentions et n’a plus qu’une idée en tête : posséder Philomèle coûte que coûte. Pour convaincre le roi de laisser partir sa fille chérie***, il redouble d’éloquence et, à sa voix, vient s’ajouter celle de Philomèle, très désireuse de revoir sa grande soeur adorée. Laissons Ovide nous décrire cette scène tragique dans ses Métamorphoses :
Dieux d’en haut, quelle nuit noire aveugle les coeurs des hommes ! Les efforts mêmes de Térée pour perpétrer son crime passent pour de la piété, et son forfait lui vaut des éloges. Que dire de Philomèle dont le désir est le même ? Caressante, elle met ses bras autour des épaules de son père, demande d’aller voir sa soeur : son salut en dépend, prétend-elle, mais elle agit contre son propre salut.
Dès leur arrivée en Thrace, Térée met à exécution le crime odieux. Il emmène de force Philomèle dans une étable et abuse d’elle. Mais après l’effroi vient la colère et la jeune femme jure de se venger en allant dénoncer son viol devant toute la cité. Effrayé d’une mise en accusation sur la place publique, Térée lui coupe la langue avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme la mort de sa petite soeur.
Un an passe, et alors que Procné, dans son palais de Thrace, porte le deuil de sa chère soeur, cette dernière, bien vivante, est toujours enfermée dans l’étable. Sans voix, elle ne peut hurler au monde sa rage mais comme le dit si bien Ovide :la douleur est très ingénieuse, et l’habileté naît du malheur.
Philomèle se met en effet au travail et tisse une superbe tapisserie. Derrière le motif innocent, elle brode avec un fil pourpre le récit de son calvaire. Elle confie l’ouvrage à une servante qui l’apporte à Procné. Grâce à ce subterfuge, celle-ci découvre enfin le sort de sa sœur. Le désir de vengeance s’empare à son tour de Procné.
Elle attend le soir de la fête de Dionysos et feint d’être enivrée pour parvenir à se glisser jusqu’à la bergerie qui sert de geôle à sa soeur mutilée. Elle la libère et l’emmène avec elle au château. Enfin réunies, les deux soeurs décident de la plus terrible des vengeances : Procné tue son fils Itys dont les traits lui rappèlent trop son violeur de mari. Elle le frappe au coeur avec un poignard et bien que le coup fut fatal, sa soeur signe elle aussi le crime en lui tranchant la gorge. Les deux femmes cuisinent le corps d’Itys et le servent à Térée. Une fois le repas achevé, celui-ci demande à voir son fils. Les yeux brillants de haine, sa femme lui annonce : « celui que tu réclames, tu l’as à l’intérieur. ». Pour ne laisser aucun doute sur l’horreur qui vient d’être commise, Philomèle sort de sa cachette et lance la tête de l’enfant à son père.
Rubens quant à lui, nous expose une vision beaucoup plus terrifiante du mythe avec son Térée voyant de la tête d’Itys de 1638. Son dégout pour les soeurs va jusqu’à les effacer du titre du tableau.
Les soeurs se sauvent et c’est alors que les Dieux s’en mêlent. Émus par le destin tragique des deux soeurs, ils les transforment en oiseaux pour qu’elles échappent à une mort certaine. Philomèle, privée de sa voix, est métamorphosée en rossignol chanteur et Procné en hirondelle, dont les reflets rouges sur la gorge rappelle l’épouvantable infanticide. Térée est lui aussi changé en oiseau : il devient huppe, dont le bec démesuré évoque l’épée meurtrière.
Le rossignol chanteur, l’hirondelle libre mais tachée de sang et la huppe au bec menaçant.
L’Olympe réserve, cette fois-ci, un sort bien magnanime à un violeur et deux meurtrières.
* Je vois vos airs amusés ** La Thrace est la région au nord est de la Grèce qui couvre l’actuelle Bulgarie et la partie européenne de la Turquie. ***Comme Arianne, qui, à peine avait-elle quitté son père et la Crète pour vivre le grand amour avec Thésée, était abandonnée sur l’île de Naxos. Il ne fait pas bon quitter son père dans la mythologie.
La taille des oliviers s’effectue au mois de février, une fois les arbres récoltés et avant leur floraison. C’est une étape cruciale, technique et qui peut, mal réalisée, avoir des conséquences lourdes sur la quantité d’olives obtenue la saison suivante. En Crète, de nombreuses familles la confient à un spécialiste plutôt que de s’y coller eux-même. Ces maîtres de la taille vous en parlent avec un certain lyrisme sans toujours maitriser l’explication savante liée à l’art de la taille. Un peu comme nos « méthodes de grand-mère », cette expression aux accents légèrement misogynes, pour qualifier un remède efficace prescrit sans compréhension de l’origine de cette efficacité. Je parlais justement avec un pépiniériste Français qui m’affirmait qu’entre un.e novice qui a potassé toute la théorie et un local qui s’appuie sur un savoir empirique et ancestral, il faut toujours faire confiance au second. Si vous lui demandez pourquoi il coupe cette branche et non celle-ci, son explication sera peut-être farfelue, mais le résultat sera, lui, d’une fiabilité déconcertante.
Comme je sais que, comme moi, vous aimez creuser le pourquoi du comment, je vais – malgré cet éloge de l’expérience sur le théorique – vous en dire un peu plus sur l’art subtil de la taille des olivier.
Plusieurs règles tiennent du bon sens : Couper les branches sèches qui ne produisent plus, celles trop hautes que l’on ne pourra récolter ainsi que les rameaux sauvages qui partent du tronc. D’autres en revanches, méritent qu’on s’y attarde.
L’enjeu d’ensoleillement
Chaque côté de l’arbre ne bénéficie pas du soleil également. La partie Sud de l’arbre sera taillée plus basse pour permettre à la partie Nord à l’orientation moins généreuse d’avoir du soleil. Bien sûr, tout cela se complique sur les terrains en pente. En comme ceux-ci constituent l’immense majorité des terrains, il faudra adapter la taille à chaque parcelle en fonction de son orientation. Le centre de l’arbre, lui, est taillée pour que les rayons du soleil puissent s’y engouffrer. En Italie, on dit qu’un oiseau doit pouvoir voler entre les branches sans se frotter les ailes.
L’enjeu de récolte
Pour faciliter le travail des valeureux perchistes et ne pas leur imposer trop d’acrobaties, l’objectif est de n’obtenir des fruits que sur les branches extérieures de l’arbre et non pas sur celles uniquement accessibles de l’intérieur. On coupe donc toutes les branches fructifères qui se dirigent vers le centre de l’arbre.
L’enjeu de productivité de l’arbre
Certaines branches sont fructifères (donneront des fruits), tandis que d’autres sont charpentières (les bifurcations du tronc qui ne donnent pas directement des fruits). Quand on taille, on doit avoir en tête le parcours de la sève et optimiser son flux. C’est pourquoi on coupe les « gourmands », ces grand rameaux verticaux lisses qui partent des branches charpentières : ces jeunes pousses sont avides de sève et privent donc les branches fructifères du précieux nectar de vie.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ta newsletter consacrée à la Xylella fastidiosa, cette petite bactérie à l’origine de grandes catastrophes dans les oliveraies d’Europe.
A plusieurs reprises, tu évoques une autre plante nourricière chère à mon cœur (et à mon palais) : la vigne. Tu suggères notamment que greffer des arbres sur des variétés d’oliviers moins sensibles à la bactérie tueuse pourrait représenter une solution, inspirée par ce qui a été entrepris pour sauver les vignobles européens à la fin du XIXème siècle. En effet, ta Cruella fastidiosa fait presque pâle figure face au phylloxéra, véritable Attila des vignes. Pour stopper la progression fulgurante de ce puceron venu d’Amérique, les variétés européennes ont finalement été greffées sur des plants de vigne américains (qu’on appelle des « porte-greffes »), naturellement résistants aux piqûres de l’insecte.
Si cette méthode a eu l’immense mérite de sauver la viticulture du Vieux continent, elle a aussi provoqué des effets indésirables dont on parle assez peu.
Le greffage, pas toujours un bon plan(t)
Marc Birebent, greffeur de son état, va jusqu’à considérer que le remède a été pire que le mal. Il est en effet convaincu que le greffage participe à la recrudescence des maladies dégénératives de la vigne. Phénomène largement amplifié lorsque l’opération devient entièrement automatique (et donc plus rentable) dans les années 1980. Tu indiques dans ta lettre que là où un olivier peut produire des fruits pendant mille voire deux mille ans, les pieds de vigne doivent être arrachés tous les soixante-dix ou quatre-vingt ans. En réalité, c’est même moins ! Certains cépages ont aujourd’hui une durée de vie qui ne dépasse pas les trente ans. Avant le phylloxera, l’espérance de vie d’une vigne franche de pied (c’est-à-dire non greffée) était de 250 à 300 ans ! Marc Birebent explique qu’ « en greffant tout, on a multiplié les plants fragiles. La vigne n’a pas eu les moyens de se rendre naturellement résistante. Si on avait « supporté » le phylloxera, on aurait sans doute perdu une grande partie des vignes mais, petit à petit, on aurait trouvé des plants qui seraient aujourd’hui naturellement résistants. *» Je précise qu’il représente une voix minoritaire dans le monde du vin.
Chardonay à perte de vue, ici en Oregon sur la côte Ouest des États-Unis
Un appauvrissement de la biodiversité
Ce dont on est en revanche sûr, c’est qu’au moment de la reconstruction du vignoble, des centaines de cépages, pas assez productifs, n’ont pas été replantés, sacrifiés sur l’autel du rendement. La crise du phylloxéra a donc entraîné une perte non seulement pour la biodiversité mais aussi pour le patrimoine du goût. Elle se poursuit aujourd’hui avec l’uniformisation de l’encépagement mondial. Une poignée de cépages dit « internationaux », dont le Cabernet sauvignon, le Merlot ou encore le Chardonnay, occupent une superficie croissante d’année en année du vignoble mondial. Il existe certes des initiatives pour réhabiliter les cépages dits oubliés mais elles restent pour l’instant individuelles ou locales.
Pour le vin comme pour l’huile, soutenons une diversité variétale la plus riche possible et adaptée à chaque terroir !
La saison touristique tout juste achevée débute une autre saison : celles des olives et de la récolte. Les plages se vident et les champs s’animent, les pick-ups remplacent les petites voitures de location sur les routes sinueuses et les moulins rallument leurs grosses machines qui presseront bientôt plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’olives. Contrairement aux vendanges, la récolte des olives peut s’étaler sur deux ou trois mois. Quatre-vingt dix jours exténuants d’un travail laborieux pour produire le précieux liquide. Alors aujourd’hui, c’est de ceux et celles qui travaillent à l’ombre des oliviers, et parfois aussi en plein soleil, dont nous allons parler : les ouvriers et ouvrières de la récolte, les perchistes et les poseuses de filet, tous ceux et celles, sans qui, nous n’aurions pas d’huile d’olive.
En Grèce comme dans la plupart des régions productrices d’huile, la topographie très accidentée rend presque impossible la mécanisation de la récolte. Il existe bien des secoueurs de troncs ou des tracteurs-récolteurs en Espagne mais nos terrains en pente faits de murets et de gros cailloux ne nous permettent même pas d’y songer. Alors la récolte demeure travail besogneux, confié à des hommes et des femmes.
Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand
D’un côté les hommes. Armés de leur perches électriques qui pèsent autour de trois kilos (dix kilos en poids ressenti en fin de journée), les bras sont soumis à rude épreuve. Mais c’est la nuque qui concentre vite toutes les tensions à force de pencher la tête en arrière pour guetter l’olive cachée dans les feuillages. De l’autre, les femmes investies d’une double mission : poser les filets en amonts et ramasser les olives tombées. Elles se faufilent sous les oliviers, tout en étudiant le terrain pour les superposer de façon intelligente, le dos courbé afin d’éviter une branche plus basse que les autres et sans oublier de soulever les pieds pour ne pas se les prendre dans les plis des filets. Vite ! Les hommes sont passés à l’olivier suivant, il est temps de rassembler les olives de l’arbre précédent au centre du filet et, à genoux cette fois, de les trier à la main. Puis, quand un maximum de feuilles sont retirées, elles les font rouler dans les caisses, en soulevant une partie du filet à la force des bras. Cette tâche à peine achevée, il est déjà temps de tirer le lourd filet libéré vers les arbres qui attendent d’être récoltés. Une dynamique circulaire qui consiste à ne jamais enrayer la progression de la récolte pour ne pas perdre de temps. C’est avec l’énergie d’une journée presque achevée qu’hommes et femmes portent, enfin, les caisses de quinze kilos sur le pick-up et se donnent rendez-vous pour le lendemain huit heures.
Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand
La récolte a longtemps été faite en famille. Mais ces quarante dernières années, les Crétois.e.s ont planté des oliviers plus que de raison et certaines familles se sont retrouvées à la tête de plusieurs milliers d’oliviers. Des oliviers qu’il faudra récolter, un par un, à l’automne. Je vous laisse imaginer l’immensité de la tâche quand on sait qu’au cours d’une journée de travail productive, une équipe de six peut récolter une quarantaine d’arbres. Pour y faire face, la Grèce fait appel à une main d’œuvre internationale. À partir du début des années 1990, les immigré.e.s venu.e.s de l’Albanie voisine viennent prêter main-forte aux familles. Puis, après l’entrée de la Bulgarie dans l’Union Européenne en 2007, ce sont les travailleur.euse.s bulgares qui arrivent en nombre. Mais la crise grecque a mis un coup de frein brutal à cette immigration européenne et ces dix dernières années, c’est une immigration pakistanaise qui arrive en Crète, dans des proportions bien plus modestes. Dans les années 1990 et 2000, sur la place des villages, on pouvait voir, de nombreux travailleurs qui attendaient d’être embauchés pour la journée. Alors que nous étions venu.e.s avec ma famille fêter l’an 2000 à Adravasti, j’ai le souvenir de plusieurs ruines du village, occupées par des familles venues pour la récolte. Mais avec la crise et la baisse des prix de l’huile, payer les ouvrier.e.s est devenu de plus en plus difficile. Alors les travailleurs et travailleuses ont cessé de venir et les familles, quand elles le peuvent, se sont remises au travail.
En ce qui concerne la famille Lantzanakis qui produit votre huile, elle travaille chaque année avec les mêmes travailleur.euse.s, tous et toutes habitant.e.s de Sitia, la ville voisine. Le fait de leur acheter leurs olives, directement, à un prix juste, permet à cette famille de réaliser la récolte dans des bonnes conditions, de payer les ouvrier.e.s agricoles, sans avoir besoin de revoir à la baisse leur salaire ni de prolonger la durée de la récolte pour profiter des forces familiales bénévoles.
Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand
Cette lettre est dédiée à celui qui tient sa perche à bout de bras, pour atteindre une olive tout en haut, à celle qui inlassablement, tire les lourds filets deux par deux derrière elle, à celui qui grimpe dans l’olivier, risquant de perdre son équilibre et à celle qui, d’un geste expert, trie les olives à mains nues.
Cette année, offrez un olivier avec le code promo NOELCRETOIS. Premier avantage, le transport par Colissimo de La Poste est offert. C’est aussi cadeau que vous vous faites à vous même car vous n’aurez littéralement RIEN à faire ni à porter puisque je vous enverrai une carte personnalisée par la Poste, chez vous, que vous pourrez offrir le soir de Noël (ou le 25 au matin).
Pas besoin de vous faire un dessin ? Dans le doute…
Février 1821, la Guerre d’Indépendance grecque éclate au Nord du Péloponnèse. Bientôt, la Grèce toute entière s’embrase pour se libérer, enfin, du joug Ottoman qui dure depuis près de quatre siècles. Au printemps 1822, pour faire face aux insurgés et leur géographie rebelle, l’Empire Ottoman fait appel à son vassal, l’Egypte, et son armée dirigée par Mehemet Ali. Celui-ci commence par s’attaquer à la Crète, entrée en résistance tôt mais après de deux ans de lutte, les rebelles sont submergés par la puissance militaire égyptienne. Plus de 600 Crétois, dont le chef Dimitris Kourmoulis se réfugient alors sur l’île voisine, Kassos.
Il est temps de mettre en pause ce récit un instant pour vous familiariser avec cette île du Dodécanèse qui se trouve très exactement à 62 kilomètres à vol d’oiseau de notre fameux village d’Adravasti. Ne vous laissez par tromper par sa petite taille ou par l’absence presque totale de ressources naturelles sur l’île : en 1824, du haut de ses 7 000 habitants, Kassos est un des bastion de résistance les plus puissants de Grèce. Sa force lui vient de la mer et de ses marins qui contrôlent le détroit qui sépare l’île de la Crète, passage obligé entre la mer Egée et la mer de Libye. Ces derniers se sont illustrés à plusieurs reprises depuis le début de la guerre d’indépendance en parvenant à couler des navires ennemis ou en bloquants des navires commerciaux anglais qui prenaient la direction de l’Empire Ottoman.
Revenons à l’Egyptien Mehemet Ali qui, après ses victoires en Crète, met le cap sur Kassos. Le 14 mai 1824, ses 8 navires jettent l’encre face au port d’Agia Marina. Le 27 mai, c’est au tour du commandant Ismael Gibraltar, accompagné de ses 25 navires de guerre et de ses 4 000 soldats, de prendre position. Début juin, au total ce sont 45 navires égyptiens qui encerclent l’île. Privés de leur force maritime, les rebelles Kassiotes ne résistent pas longtemps face à la puissance ottomane.
Certains habitant.e.s parviennent à fuir vers Karpathos et d’autres îles des Cyclades et d’autres se réfugient, un temps, dans des grottes* ou dans les montagnes pour poursuivre la résistance. Mais le 7 juin 1824, les hommes de Mehemet Ali débarquent. C’est le jour de la « Catastrophe » (Καταστροφή). Les Kassiotes s’y réfèrent aussi en utilisant le terme « Holocauste » (Ολοκαύτωμα, du grec ὅλος, entier et καύστος, brûlé). Plusieurs milliers de combattants grecs sont exécutés, les femmes et les enfants sont capturé.e.s puis vendu.e.s sur des marchés aux esclaves et l’île est entièrement brûlée.
* dont voici un exemple ↑
Aujourd’hui encore, Kassos porte les stigmates de ce massacre. Peuplée d’un millier de personnes, elle n’a jamais retrouvé un développement humain et commercial comparable à celui précédent sa destruction en 1824. À travers ses paysages arides, on devine la trace du feu dévastateur et on comprend que c’est la vie tout entière que Mehemet Ali et ses soldats ont détruit ce jour là.
Je remercie au passage mon amie Théodora, dont la famille est originaire de l’île, qui m’a inspiré cet article et fourni les photos.
Connaissez-vous le raki, aussi appelé Tsipouro dans le Péloponnèse ? Si cet alcool de raisin que l’on distille dans l’alambic du village tous les ans au mois d’octobre n’est pas d’une grande finesse organoleptique, il est néanmoins une composante essentielle de la culture crétoise.
Trois semaines après la fin des vendanges et quelques semaines avant le début de la récolte des oliviers, un creux de calendrier donne aux Crétois.e.s l’occasion de décompresser un peu. C’est le temps du Kazani, la tradition la plus alcoolisée de tous les temps. Pour vous donner un ordre d’idée, je dirais que la fête de la bière à Munich est au Kazani ce que ce que Disneyland est au Hellfest. Un soir d’octobre, on rassemble tout le village et on commence la distillation. Pour cela, il faudra du raisin que l’on a laissé fermenter trois semaines et… des grignons d’olive.
Oui mais les grignons d’olive, c’est quoi au juste ?
Les grignons sont les déchets produits par l’extraction de l’huile d’olive. Une fois que nos jolies olives ont été écrasées, malaxées et pressées dans un extracteur à froid, il reste une pâte encore huileuse composée de restes de noyaux et de fibres d’olive. Cette pâte est envoyée dans une usine d’huile lampante, l’huile raffinée utilisée pour la combustion ou pour les voitures. Elle passe alors à nouveau dans un extracteur dont la température monte, cette fois, à plus de cent degrés. Ce qu’il reste quand toute l’huile, ou presque, a été extraite s’appelle les grignons d’olive. Et comme tout se transforme et rien ne se perd dans l’olivier, ils sont utilisés comme combustibles.
Vous l’avez compris, ce sont ces grignons qui viennent alimenter le feu de notre kazani. Les voici sur la photo de gauche ci-dessous et leur aboutissement quelques minutes plus tard sur celle de droite :
Pour survivre à cette soirée, il suffit de suivre une règle : ne jamais boire le raki chaud tout juste distillé. Bien entendu, ni moi ni aucune personne de ma famille ne sommes tombé.e.s dans ce piège. La photo ci-dessous a été prise UNIQUEMENT dans un intérêt de documentation.
Une amie productrice d’huile d’olive au Sud de l’Andalousie remarquait après des vacances en Crète l’omniprésence des tuyaux d’arrosages aux pieds de nos oliviers – quand ce n’est pas à leur sommet comme sur la photo si dessous ! Je m’étonnais de ce constat car, n’ayant la Crète comme unique référence oléicole, j’avais pris pour acquis l’habitude d’installer ces gros tuyaux noirs pas très harmonieux. Un champs sans tuyaux, donc sans eau, était dans mon esprit un champs non entretenu, dont on ne pouvait espérer obtenir une récolte. Quelle n’était pas ma surprise de m’apercevoir que dans le monde méditerranéen de l’olive, en Espagne, en Tunisie ou même Grèce continentale, tous et toutes ne partagent pas la passion des Crétois.e.s pour l’arrosage.
Sur le sujet, dans la région, plusieurs thèses s’affrontent (et encore, je ne vous présente que celles venant de personnes raisonnables !) :
La première soutient que les oliviers ont depuis des millénaires nourris de leurs fruits les hommes et les femmes, sans avoir besoin d’ajouter de l’eau. Il faut donc les déshabituer et tout ira bien. La seconde affirme que terroir crétois et la variété koroneiki, sans même parler du réchauffement climatique, ne permettent pas de priver purement et simplement les arbres d’eau. Un olivier habitué à recevoir de l’eau dès les premiers mois de sa vie ne fournira pas l’effort nécessaire pour s’enraciner profondément et pouvoir puiser l’eau des nappes les plus souterraines. Il n’aura donc aucune chance de prospérer si on ne lui ouvre pas les vannes de temps en temps.
Mais ce qui est bien avec l’agriculture, c’est que c’est l’art du réel. Alors les théories, c’est super mais que fait-on en pratique ?!
La plupart des producteurs en bio, soucieux de l’environnement, dont Manolis qui produit l’huile dont vous vous délectez, décident de continuer à arroser, mais le moins possible. En fonction de la pluviométrie, les arbres sont irrigués quelques fois au printemps et plus du tout à partir du mois d’aout. Et des années exceptionnellement pluvieuses comme 2019 nous ont même permis de nous contenter de l’eau dont la nature nous a fait don.
Cette gestion très précautionneuse de cette ressource vitale, même quand cela signifie obtenir moins d’olives et moins d’huile, est cruciale dans cette région de l’Est de la Crète où la sécheresse menace constamment. Ne plus arroser dès que le fruit se forme au cours de l’été, permet aussi de ne pas gorger les olives d’eau, ce qui risquerait de diluer les arômes. Une fois de plus, la nature et nos papilles ont trouvé un compromis plutôt satisfaisant !
Si on ne peut affirmer que le tzatziki (τζατζίκι) est le mezze le plus commandé dans les tavernes en Grèce, il est certainement le plus connu en dehors des frontières grecques.
Ce succès international est encore plus impressionnant quand on s’aperçoit que l’on retrouve des variations de cette recette à base de yaourt un peu partout au Moyen et Proche Orient. Sous les noms de djadjik en Turquie ou labné au Liban, chaque pays de l’ancien Empire Ottoman semble avoir conservé une version locale du tzatziki. En suivant les frontières de l’Empire Ottoman, on peut cartographier cette incroyable intégration culturelle à travers la gastronomie.
J’ai regroupé pour vous ces cinquante nuances de tzatziki, avec leurs dénominations locales, sur la carte ci-dessous :
Vue de la France, la Grèce est européenne. Son influence sur notre régime politique ou sur le vocabulaire médical (entre autres !) crée une grande familiarité entre nous autres occidentaux et le peuple grec. Mais en s’attardant sur sa gastronomie, c’est son ancrage oriental qui saute aux yeux. Les pays de l’ex-Empire Ottoman – que nous appellerons entre nous la “communauté de la baklava” – continuent de partager un grand nombre de références culinaires : le tzatziki ou les baklava, déjà cités, mais aussi les souvlaki (brochettes de viande) ou encore les alcools comme le raki. Une proximité gustative qui n’empêche pas les conflits, on l’aura compris…
La recette :
Râpez le demi-concombre avec une grosse râpe, salez-le et faites-le dégorger pendant une heure. Vous pouvez aussi accélérer le processus en appuyant avec le dos d’une cuillère sur votre concombre râpé, personne ne vous en voudra. Mélangez-le avec le yaourt, puis, dans un mortier, écrasez l’ail avec du sel pour obtenir une pâte que vous ajouterez au mélange de yaourt. Il vous suffit alors d’ajouter la menthe, l’aneth et l’huile d’olive avant de déguster bien frais.
Mais au fait, comment on s’est retrouvé.e.s à parler de tzatziki ?!
J’y venais !
Toute la semaine, je m’associe au restaurant Barak qui propose une recette de tzatziki maison à l’huile d’olive d’Adravasti pour agrémenter ses salades et sandwichs. Barak s’inspire de la cuisine de la Méditerranée pour proposer des plats colorés conçus pour une pause déjeuner rapide et pour l’occasion, nous avons réalisé une interview où je vous parle… d’huile d’olive, sans surprise. Vous pouvez vous abonner à mon compte Instagram ou à celui de Barak, nous posterons l’interview au fur et à mesure cette semaine.
Vous avez rencontré votre âme-soeur à un mariage ? Vous n’êtes pas seul.e, c’est justement ce qui est arrivé à Demeter !
Détail de Eiréné portant Ploutos
Alors que tout l’Olympe se réunit en Crète pour les noces d’Harmonie et Cadmos, la déesse repère Iasion, fils de Zeus et d’Électre et accessoirement frère de la mariée. Sans plus attendre, elle lui promet « son amour et son lit »* et enivré.e.s par un nectar millésimé, les deux amoureux partent s’unir dans un champ labouré trois fois. À leur retour, Zeus aperçoit les traces de boues sur le bras du héros et comprend ce qu’il vient de se passer. Pour le punir d’avoir oser s’unir à une déesse, il le frappe de sa foudre. De cette union tragique nait Ploutos, dieu de la richesse, souvent représenté sous les traits d’un enfant accompagné d’une corne d’abondance**. Ce jeune dieu donne alors raison à la méfiance de Zeus : à travers l’agriculture, sans discrimination, il distribue la richesse aux divinités comme aux hommes. Mais le pauvre, comment lui en vouloir ? Il est né aveugle !
Statue de Demeter au British Museum
Il est assez ironique que Demeter ait enfanté le dieu de la richesse, elle qui se désintéresse de tout ce qui passionne les Dieux comme les Hommes, à savoir le pouvoir et l’amour. Elle ne fait d’ailleurs pas partie des douze Dieux de l’Olympe car plutôt que se prélasser sur le Mont mythique, elle préfère la culture des champs. En fait, ce n’est qu’avec Aristophane que Ploutos porte en lui l’aspect le plus négatif de la richesse. Il reprend la tradition présentant Ploutos aveugle pour en faire le symbole de l’immoralité de l’argent, le jeune Dieu visitant indifféremment les bons comme les mauvais.
C’est un des seuls mythes qui met en scène Demeter amoureuse. Elle a vécu l’amour dans la passivité avec Zeus et la violence avec Poséidon. Dans ce mythe, l’acte d’amour avec un simple mortel, Iasion, est le fruit de sa décision. Il y a donc une double inversion. D’abord celle du choix qui revient à la femme. C’est aussi l’inversion du schéma classique de la Mythologie où un dieu s’unit à une mortelle. Ici l’immortelle est femme et le mortel est homme.***
Je terminerai en soulignant que la plupart des mythes fondateurs de Demeter se situent en Crète, comme celui-ci ou celui de l’enlèvement de Perséphone. Bon signe de produire de l’huile d’olive sous le patronage de la déesse de l’agriculture, vous ne trouvez pas ?
* dans la version d’Homère. Dans la Théogonie, Hésiode parle lui « d’amour charmant » (philotês) pour décrire leur union. ** et sans Rolex *** Sylvie Vilatte, Déméter et l’institution matrimoniale : le refus du passage (RBPH, 1992)
Le monde de la vigne nous a appris que chaque terroir influence à sa manière les arômes et la qualité de la production. Qu’en est-il de l’huile d’olive ? On pressent que chacune doit à la terre où poussent les oliviers. Creusons donc (littéralement) un petit peu pour en savoir plus…
Une chose est sûre, l’olivier est taillé pour la Méditerranée. Il aime les terrains secs et ne supporte pas les terrains humides dans lesquels l’eau circule trop lentement. Autrement dit, la Normandie, ce n’est pas pour tout de suite. Au contraire, il raffole des terrains pentus. On sait aussi qu’aux terres trop argileuses et asphyxiantes, il préfère les sols filtrant, caillouteux.
Quand on se balade à l’Est de la Crète, ce qui frappe en premier, c’est la couleur de la terre : un rouge ocre dont la poussière colore les ruines des villages. Cette couleur s’explique par à un fort taux de fer dans la terre. La ferrite a une action très positive car elle retient les minéraux comme le calcium, le phosphore, le potassium ou encore le magnésium.
Autour d’Adravasti, le sol peut être à dominante calcaire, schisteuse ou sablonneuse. Les montagnes de Crète, souvent très calcaires, sont rarement un bon terroir pour l’olivier, pour le plus grand plaisir des chèvres et moutons qui en ont fait leur terrain de jeu. En revanche, les plaines avec ses terrains schisteux sont de très bons « ladotopo », c’est à dire « terrains à huile ». On reconnait le schiste à l’aspect feuilleté de sa roche, qui prend un aspect « mille-feuille ». Vous trouverez un exemple photographique ci-dessous. Le schiste se forme avec la sédimentation d’argile, souvent en milieu marin. Très friables, les sols schisteux permettent aux oliviers d’enfoncer leurs racines profondément. Justement, de nombreux oléologues voient dans cette capacité à puiser loin dans le sol un élément central du développement d’arômes puissants.
Comparativement à la vigne, l’analyse des sols et de leur impact sur les arômes est encore peu développé dans l’huile d’olive. Mais on sait que le pH de la terre est d’une grande importance et vient parfois contredire les ambitions d’implantation de variétés étrangères sur un territoire. La récente passion des Japonais.e.s pour l’huile d’olive nous a permis d’avancer dans ce domaine. Fidèles à leur réputation, ils et elles ont poussé l’art de la précision jusqu’à analyser des milliers d’endroits au Japon afin de retrouver celui qui correspond précisément au sol de domaines en Toscane où sont produites de prestigieuses huiles d’olive. L’expérience avait d’ailleurs déjà été menée avec la Romanée Conti. Vous trouvez que cette façon manque un peu de poésie ? C’est aussi mon avis, mais ça reste entre nous.
Merci à Pierre pour la photo, au président de la coopérative de Zakros, à Jeanne ainsi qu’à Brigitte et Bertrand pour m’avoir aidé à y voir plus clair dans ce sujet charbonneux.
À l’Est de la Crète, le vent est partout. Il se lit dans la forme des oliviers, dont les branches semblent prendre leur élan. Il justifie les éoliennes gigantesques qui surplombent les crêtes de Karidi. Il donna l’idée à la championne française de planche à voile Nathalie Simon d’ouvrir un club à Palekastro, à quelques kilomètres, depuis repris par des Autrichiens forts sympathiques dont on se demande toujours comment leur est venue cette passion marine.
En passant sur le plateau entre Azokeramos et Kelaria, on aperçoit un petit métochi, abri fidèle dont je vous ai glissé une photo ci-dessous. Mon oncle Kostas raconte qu’enfant, quand il arrivait pieds nus sur le plateau, il se mettait à courir à toutes jambes pour échapper aux bourrasques terrifiantes. Quand on le rencontre pour la première fois, on est ahuri.e par sa force. J’ai en mémoire l’image de ma petite soeur Juliette, âgée de trois ou quatre ans, qui, au sommet de la montagne de Skinia, se laissait tomber en arrière mais était miraculeusement portée par le vent venu de la mer. Et il n’est pas rare en effet au mois d’août, après quinze jours de rafales furieuses, d’assister à de véritables rixes entre les habitants pourtant paisibles d’Adravasti. Le vent rend fou aussi sûrement qu’il couche les arbres ou érode les paysages.
Mon père prétend même qu’Aristophane aurait écrit que tous les vents de la Crète passent par le chas de Zakros…
La plupart du temps, j’aime ce vent grec. Surtout le Meltemi, le vent du Nord, celui qui commence à souffler au mois d’août, qui rafraîchit l’air lourd de la Méditerranée. Mais depuis que je vends de l’huile d’olive, je le découvre menaçant.
Cette année, notre ennemi fut le vent chaud du Sud. Après un hiver pluvieux, promesse d’une grande récolte, il s’est mis à souffler au début du printemps, semblant appelé par la floraison des oliviers et a mis par terre une bonne partie de nos jolies petites fleurs blanches. Pas de fleur, pas de fruit, c’est la dure loi des arbres fruitiers. Mais rassurez-vous, il en reste juste assez pour régalez toutes nos marraines et tous nos parrains d’oliviers l’année prochaine !
Un vent nommé Zéphir
Hyacinthe changé en fleur de Nicolas-René Jollain, peint en 1769*. Vous pouvez l’admirer au Petit Trianon, à Versailles.
Zéphir est la personnification du vent d’Ouest dans la Mythologie. Si son souffle est redouté, c’est surtout pour ses amours déçues qu’il a inspiré Ovide et Euripide.
Comme vous le savez, les mythes que je préfère sont les mythes étiologiques, ceux qui cherchent à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Et vous l’avez deviné, ce cher Zéphir nous en fourni un très joli.
Un jour d’été, il tombe fou amoureux de Hyacinthe, jeune Sparte à la beauté captivante. Il tente de le séduire mais Apollon s’est lui aussi épris du jeune homme et obtient rapidement ses faveurs aux dépens de notre Dieu colérique. Rongé par la jalousie, Zéphir observe les deux amoureux s’entrainer au stade. Alors qu’Apollon s’élance un disque à la main, Zéphir détourne le vent afin de frapper le Dieu lumineux avec son propre disque. Mais c’est Hyacinthe qui s’effondre à terre, frappé accidentellement à la tempe. Terrassé de chagrin, alors que des gouttes de sang viennent tacher l’herbe du stade, Apollon les fait fleurir. En son honneur, les fleurs nées de ce jour tragique portent le nom de jacinthes.
Après une gestion parfaite de l’épidémie ces deux derniers mois, les Grec.que.s, qui comptent moins de 200 morts, se tournent désormais vers l’avenir et cherchent à sauver une saison touristique déjà très accidentée. Même si depuis le 4 mai, le déconfinement est en marche avec la réouverture de tous les commerces, tavernes et cafés, la situation mondiale inquiète. À raison puisque la tourisme représente 18% du PIB et emploie près d’un million de personnes.
Alors le chef de l’Etat prend les devants !
En direct à la télévision grecque, le premier ministre Kyriakos Mitsotakis, a annoncé mercredi 20 mai que la saison touristique démarrerait mi-juin avec la reprise des vols internationaux et la réouverture des hôtels. Fort de sa nouvelle légitimité, il est même allé jusqu’à déclarer « faisons de l’été l’épilogue de la crise du coronavirus ». Poussant l’emphase un peu plus loin, le PM a même qualifié la mission d’hospitalité de son pays « notre passion qui fut de tout temps inspiré par Xenios Zeus ». Plus prosaïque, il a aussi annoncé la baisse de la TVA sur les transports (dont aérien) de 24% à 13%. Pour gérer cet afflux venu de l’extérieur, le gouvernement grec mise tout sur une politique massive de tests. Les îles seront pourvues de tests en grandes quantités et des moyens de transport spécifiques pour les cas suspects seront mis en place pour pouvoir les transférer rapidement vers Athènes. S’il reste vague sur les clubs et autres boites de nuits (les habitués de Mykonos attendront), il assure que les plages ainsi que les tavernes seront ouvertes.
Dans un entretien réalisé le 25 mai avec le quotidien allemand Bild, Kyriakos Mitsotakis a aussi annoncé que la Grèce ouvrira ses frontières aux pays qui ont des données épidémiologiques similaires à celles de la Grèce (comprenez « ceux qui ont peu de cas et réalisent beaucoup de test »), rassurant ainsi les vacanciers allemands car l’Allemagne ferait partie des heureux élus. Et si cette analogie entre les deux pays vous fait sourire, c’est que vous avez bien suivi !
Et quid des Français ?
Le 23 mai, la Grèce annonçait que les liaisons aériennes restaient fermées avec l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, et les Pays-Bas jusqu’au 31 mai inclus. Laissant donc en dehors de ce pacte de pestiférés la France, sûrement plus en raison de ses nombreux touristes hellénophiles que par ses performances sanitaires. L’horizon de vos vacances grecques semble donc s’éclaircir de jour en jour. Air France a repris la liaison avec Athènes, à un rythme très calme, depuis le 23 mai et hallelujah à partir du 27 juin 2020, la compagnie rétablit la liaison également avec la Crète. Un vol par semaine reliera Heraklion et Paris. Attention néanmoins, jusqu’au 31 mai, on demande à tous les arrivants d’appliquer un auto-confinement de 14 jours.
Voici la partie II de notre grand reportage 100% consacré à une île complexe : Lesbos !
TEASER : Dans cette lettre, vous découvrirez l’origine du dicton “fuit la elle te suivra, suis la elle te fuira”
Une petite carte comme hors d’oeuvre pour se remettre les idées en place :
Sappho le coup de la connaître*
La grande star de l’île est la poétesse Sappho qui y vit entre le VIIème et le VIème siècle avant JC.
Citée par plus de cent auteurs anciens, elle exerça une influence capitale sur l’art antique mais c’est surtout à sa sexualité que Sappho doit sa notoriété. Dans ses poèmes, souvent dédiés à la Déesse Aphrodite, elle invoque ses amours et se met en scène avec d’autres femmes. La lecture de son oeuvre a connu de grandes variations d’interprétations au fil des siècles et des évolutions sociales et culturelles. Tantôt perverse, sulfureuse ou libératrice, notre regard en dit bien plus long sur nous que sur elle. Finalement, Sappho l’aristocrate se contentait de reproduire un comportement en toute conformité avec son milieu social : mariée, elle entretenait ouvertement des relations sensuelles avec des personnes du même sexe. N’est-ce pas la norme en Grèce Antique où la pédérastie s’érigeait comme un outil de formation des élites ? Pas tant que cela en fait car c’est le fait d’être une femme qui rend ses écrits tout à fait uniques.
Image promotionnelle du Met de New York montrant deux danseuses devant la statue de Sappho du sculpteur français Prosper d’Épinay (1895) que j’ai trouvé fort à propos.
Je ne pense pas trop m’avancer en disant qu’elle est à l’inventeure du fameux dicton « fuit la elle te suivra, suis la elle te fuira » fort usité par les apprentis amoureux dans les cours de lycée**. Voici la version originale, extraite de son Ode à Aphrodite (c’est la Déesse qui lui parle) :
Quelle Persuasion veux-tu donc attirer vers ton amour ? Qui te traite injustement, Psappha ? Car celle qui te fuit promptement te poursuivra, celle qui refuse tes présents t’en offrira, celle qui ne t’aime pas t’aimera promptement et même malgré elle.
Sappho ne se contente pas d’inspirer l’étymologie d’un mais de deux adjectifs de notre belle langue française : saphique, vous l’aurez deviné ainsi que lesbienne, dérivé de Lesbos, l’île où elle a vécu. « Lesbienne » est d’abord employé pour parler d’elle, dans le sens premier de « personne célèbre de Lesbos ». À partir du IXème siècle, l’adjectif est utilisé dans le sens de « homosexuelle », ce qui atteste , vous en conviendrez, de la puissance de son impact culturel.
Revoici notre statue de Sappho du sculpteur français Prosper d’Épinay. Je vous propose de porter une attention toute particulière à la position des doigts de pieds, qui semble trahir la grande liberté du modèle.
Deux îles, un destin
Commençons par un rapide rappel historique avant de se plonger dans la période qui nous intéresse ici, celle qui marque l’avènement de la nation grecque au XIXème siècle.
De 1453 à 1832, l’empire Ottoman domine la plus grande partie du territoire grec. Mais cette occupation est graduelle : certaines îles n’intègrent l’Empire que bien après la chute de Constantinople de 1453. C’est le cas de la Crète qui reste sous domination vénitienne jusqu’à la moitié du XVIIème siècle. Lesbos, elle, est attaquée par les turcs dès 1455 mais l’attaque est repoussée. Deuxième tentative en 1462 quand les troupes de Mohammed II assiègent l’île qui finit par tomber au bout de 14 jours de combats. À leur arrivée sur l’île, les Ottomans massacrent une grande partie de la population et confient à Smyrne le contrôle de l’île.
Les frontières grecques de 1832 à aujourd’hui.
En 1821, quand éclate la guerre d’indépendance grecque, les deux îles sont donc sous contrôle ottoman. Sur un territoire aussi morcelé, difficile de mener une guerre avec un front uni. Pourtant cette division géographique fait la force des insurgés car le soulèvement se propage très rapidement aux îles, notamment de la mer Égée, ajoutant une dimension navale à un conflit terrestre. Les armateurs issus de la bourgeoisie transforment leurs navires commerciaux en navire de guerre et grâce à eux, la majorité des îles prennent rapidement part au conflit. Lesbos est envahie par l’armée indépendante grecque en juin 1821 grâce à une rébellion locale qui fait tomber les positions turques, soit moins de trois mois après le début de la révolte. Parallèlement en Crète, la rébellion éclate fin juin 1821. Ce soulèvement est écrasé dans le sang par les troupes égyptiennes de Mehemet Ali, vassal du sultan Turc.
Carte réalisée par l’armée grecque en 1999
Pourtant, le traité de Constantinople de 1832 qui marque la fin de la guerre d’indépendance et la naissance de la nation grecque ne concerne pas tout le territoire insurgé. La Crète et Lesbos, comme de nombreuses autres régions pourtant entrée tôt en rébellion, en sont exclues. Car ce traité n’est pas un accord entre la future nation grecque et l’Emipre Ottoman : se sont les grandes puissances européennes (Royaume-Uni, France et Russie) qui siègent à la table des négociations à la place de la Grèce face à l’empire Ottoman. Et les intérêts commerciaux et diplomatiques des puissances occidentales ne sont pas oubliés ! Craignant une déstabilisation des routes commerciales, le Royaume-Uni refuse que les îles situées aux endroits les plus stratégiques, Lesbos et la Crète en premier lieu, fassent partie de ce nouvel État dont la loyauté est encore à prouver.
Les deux îles redeviennent grecques seulement en 1913, soit 81 ans (quatre générations !) après l’indépendance grecque. Comme on le constate sur la carte, c’est le dicton « loin des yeux (ici traduisible par Péloponnèse), loin du coeur » qui semble prévaloir… Cette attente est difficile à comprendre quand on connait le très fort sentiment d’appartenance des habitants des deux îles à la Nation grecque. La fête de l’indépendance qui commémore le 25 mars 1821 y est d’ailleurs largement célébré. Comme quoi, aux îles bien nées, le patriotisme n’attend point le nombre des années*.
Carte qui célèbre l’arrivée des nouveaux territoires dans la “nouvelle Grèce” (Η νέα Ελλας) de 1912. On y aperçoit la Crète tout en haut et Lesbos à gauche (vous ne comprenez rien à cette carte ? Essayez de retourner votre ordιnateur, téléphone intelligent ou tablette et tout fera sens de nouveau).
*Emprunt honteux à Corneille, mais il me fallait bien une conclusion un peu chic
Alors que je m’intéresse le plus souvent à l’île la plus méridionale de Grèce, la Crète, c’est une autre île qui aura toute notre attention aujourd’hui : Lesbos.
Bientôt, vous saurez tout de l’implication de Lesbos dans la Guerre de Troie puis nous ferons un sacré bond temporel pour terminer avec son actualité.
Commençons par une petite mise à jour géographique avec quelques lieux essentiels :
Penthésilée l’amazone
C’est dans l’Iliade que l’île apparait pour la première fois dans les récits mythologiques*. Située juste au Sud de la puissante Troie en Asie Mineure, Lesbos abrite Penthésilée (Πενθεσιλεια), fille d’Arès et d’Otrèré, première reine des Amazones.
Guerrière redoutable, inventeure de la hache de guerre, elle décide de participer à la Guerre de Troie à la mort d’Hector pour venir en aide au roi Priam. Elle se bat aux côtés des Grecs lors de nombreuses batailles mais après une lutte épique qui deviendra un sujet classique de l’art Antique, Achille la blesse mortellement au sein droit. Arrive la séquence émotion de notre récit : Alors qu’il vient d’achever sa fière adversaire, il tombe amoureux d’elle, dévoilant l’autre facette de la personnalité complexe du héros : celle non plus d’un guerrier en colère mais d’un homme sensible. Je laisse le poète Théodore de Banville vous raconter la scène :
Quand son âme se fut tristement exhalée Par la blessure ouverte, et quand Penthésilée, Une dernière fois se tournant vers les cieux, Eut fermé pour jamais ses yeux audacieux, Des guerriers, soutenant son front pâle et tranquille, L’apportèrent alors sous les tentes d’Achille. On détacha son casque au panache mouvant Qui tout à l’heure encor frissonnait sous le vent, Et puis on dénoua la cuirasse et l’armure, Et, comme on voit le cœur d’une grenade mûre, La blessure apparut, dans la blanche pâleur De son sein délicat et fier comme une fleur. La haine et la fureur crispaient encor sa bouche, Et sur ses bras hardis, comme un fleuve farouche Se précipite avec d’indomptables élans, Tombaient ses noirs cheveux, hérissés et sanglants. Le divin meurtrier regarda sa victime. Et, tout à coup sentant dans son cœur magnanime
Une douleur amère, il admira longtemps Cette guerrière morte aux beaux cheveux flottants Dont nul époux n’avait mérité les caresses, Et sa beauté pareille à celle des Déesses. Puis il pleura. Longtemps, au bruit de ses sanglots, Ses larmes de ses yeux brûlants en larges flots Ruisselèrent, et, comme un lys pur qui frissonne, Il baignait de ses pleurs le front de l’amazone. Tous ceux qui sur leurs nefs, jeunes et pleins de jours, Pour abattre Ilios environné de tours L’avaient accompagné, fendant la mer stérile, Frémissaient dans leurs cœurs, à voir pleurer Achille. Mais seul Thersite, louche et boiteux et tortu Et chauve, et n’ayant plus sur son crâne pointu Que des cheveux épars comme des herbes folles, Outragea le héros par ces dures paroles : Cette femme a tué les meilleurs de nos chefs, Dit-il, puis les ayant chassés jusqu’à leurs nefs, Envoya chez Aidès, les perçant de ses flèches, Des Achéens nombreux comme des feuilles sèches Que le vent enveloppe en son tourbillon fou ; Toi cependant, chacun le voit, cœur lâche et mou, Qui te plains et gémis comme le cerf qui brame, Tu pleures cette femme avec des pleurs de femme ! À ces mots, regardant le railleur insensé, Achille s’éveilla, comme un lion blessé Sur le sable sanglant qu’un vent brûlant balaie, Dont un insecte affreux vient tourmenter la plaie,
Et, voyant près de lui ce bouffon sans vertu, Il le frappa du poing sur son crâne pointu. Thersite expira. Car le poing fermé d’Achille Avait fait cent morceaux de son crâne débile, De même que l’argile informe cuite au four Est fracassée avec un grand bruit à l’entour, Alors que le potier, justement pris de rage Et fâché d’avoir mal réussi son ouvrage, En se ruant dessus brise un vase tout neuf. Il tomba lourdement, assommé comme un bœuf, Et, regardant encor la guerrière sans armes, Achille aux pieds légers versait toujours des larmes.
Détail de sarcophage représentant nos deux guerrier.e.s, 180 après JC. Retrouvé à Thessalonique, vous pouvez tout naturellement l’admirer aujourd’hui… au Louvre.
Le plus grand retournement scénaristique depuis Usual Suspect
Octobre 2016 : Les habitant.e.s de Lesbos auront-ils le prix Nobel de la paix ?
Janvier 2020 : Lesbos est-elle la honte de l’Europe ?
L’arrivée massive de migrant.e.s Afghans, Syriens et Irakiens venu.e.s chercher l’asile en Union Européenne depuis 2015 a radicalement transformée l’île qui se situe à moins de 15 kilomètres des côtes turques. L’UE avec la complicité du gouvernement grec a cherché, et a réussi à trouver, les limites de la générosité.
Tout avait pourtant bien commencé. En novembre 2015, un groupe d’universitaires lance même une pétition signée par près de 700 000 personnes pour que les habitant.e.s de l’île reçoivent le prix Nobel de la paix. Sauvetages de bateaux par les pêcheurs, distribution de nourriture, hébergement dans les familles… les initiatives sont nombreuses et la solidarité est belle. Seulement, avec jusqu’à 10 000 arrivées par jour et pris dans un tourbillon sans fin d’arrivées et de retours (car certains migrant.e.s ayant réussis à rejoindre Athènes sont renvoyé.e.s à Lesbos), les locaux voient la situation leur échapper. Le désespoir s’installe alors que l’UE reste silencieuse.
«Θέλουμε πίσω τα νησιά μας, θέλουμε πίσω τη ζωή μας» (Nous voulons retrouver notre île, nous voulons retrouver nos vies) ont crié les habitant.e.s de Lesbos à Mytilène fin janvier 2020. Ce cri de colère qui sent fort le repli identitaire est difficile à entendre. Plus encore, les attaques des migrants « briseurs de quarantaines » ou d’ONG par des locaux aux idées fascisantes sont les signaux gravissimes d’une situation intenable. Actuellement, plus de 18 000 migrants sont entassés dans le camp de Moria, conçu pour accueillir 3 000 personnes. Entre 2015 et 2018, le tourisme, principale source de revenus de l’île a diminué de 75%. Aujourd’hui, la population locale, qui craint que la sur-population du camp de Moria, encourage la propagation du virus, se sent plus isolée que jamais. Il n’y a désormais plus que des victimes sur cette île au passé illustre et aux multiples savoir-faire*.
Un peu d’espoir pour finir ? L’Allemagne et le Luxembourg ont commencé à accueillir de (tout) petits groupes de migrant.e.s isolés dans les îles grecques, principalement des enfants. Dix des 27 pays de l’UE ont promis leur aide. Le 25 avril, 11 000 migrants « vulnérables » ont été transférés des camps se situant dans les îles grecques vers le continent afin de limiter le risque sanitaire.
*l’ouzo de la ville de Plomari est très réputé ainsi que son huile d’olive.
Peut on imaginer TF1 sans Nikos Aliagas ? Nous sommes d’accord, cela n’aurait aucun sens. Dans cet épisode 9, je vous explique pourquoi un monde sans Grec.que.s n’en aurait pas non plus.
Avec cinq millions de Grec.que.s hors des frontières nationales, soit la moitié de sa population, la Grèce est un grand, très grand pays d’émigration. Deux précisions avant de vous épater avec quelques histoires à vous faire danser le sirtaki.
New York, Boston, Chicago, Melbourne, Toronto, Londres et Los Angeles sont les principales villes d’accueil de la diaspora grecque.
Symbole de la hype grecque et plaisir des yeux, Stefanos Tsitsipras
1. Les frontières n’ont rien à faire dans cette affaire
La nationalité hellénique se transmet par filiation, que vous soyez sur le sol grec ou pas. C’est très simple : Est Grecque toute personne dont l’un des parents au moins est Grec au moment de sa naissance. Grec.que.s de Smyrne, Grec.que.s d’Amérique ou Chypriotes grec.que.s, tous font donc partie de la famille.
2. Une identité qui va au delà du passeport « ελληνικό »
La langue, la musique, la danse et la nourriture bien entendu sont des marqueurs très forts qui unissent les Grec.que.s du monde entier. Rien à voir avec une simple question administrative. Reboosté par la victoire surprise de la Grèce à l’Euro 2004 et par la tenue des JO à Athènes la même année, le patriotisme grec a connu un retour de flamme au début du XXIème siècle. La crise économique, qui a obligé près de 500 000 jeunes Grec.que.s à quitter le pays a réactualisé ce lien.
Aujourd’hui, alors que la Grèce vit un moment de fierté grâce à une gestion de la crise sanitaire exemplaire, la diaspora s’en donne à coeur joie pour laisser éclater, non sans ironie, un chauvinisme plutôt bruyant. Bref, être Grec.que n’a jamais été aussi cool.
Aujourd’hui, mieux encore qu’une virée rue de la Huchette à Paris, on discute diaspora grecque du New Jersey à Melbourne, en passant par Paris !
Start-up nation
Comme toutes les histoires de migrants, celle-ci commence avec le travail. Si l’immigration grecque du XIXème et début XXème, majoritairement masculine, est d’abord venue prêter main forte aux jeunes industries américaines et australiennes, très vite les Grec.que.s ont fait preuve de trésors d’inventivité pour gagner leur place au soleil.
Les Milk bar de Melbourne
Une famille Grecque qui vend des milkshakes au Sud de Melbourne, cela vous semble curieux ? C’est pourtant l’histoire des milliers de Milk bars qui ont fait la fortune des Grec.que.s d’Australie dans les années 1960 !
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale que les Grec.que.s arrivent massivement en Australie grâce à l’accord de 1952 qui facilite leur arrivée. Si certain.e.s viennent directement de Grèce, d’autres ont fait escale dans une autre grande terre d’accueil : les États-Unis d’Amérique. Un tour du monde fructueux car c’est l’origine de l’idée de génie qui va leur permettre de faire oublier leur accent. Plutôt que de servir des souvlaki et de la moussaka, toute la famille est sur le pont pour vendre crèmes glacées, milkshakes, hamburgers, sodas et cigarettes. Et comme décors, on s’approprie le glamour d’Hollywood avec des intérieurs art deco, de grands miroirs et des comptoirs chromés. Ouverts 7/7 et jusque tard le soir, les Milk bars sont des lieux accueillant toutes les bourses où le service est rapide et chaleureux.
Référence : Greek Cafes & Milk Bars of Australia, de Effy Alexakis et Leonard Janiszewski
Les dineramericains
Des colonnades, une statue bien kitch style greco-romain à l’entrée et un nom, comme Olympia cafe ou Odyssey diner, aux accents helléniques ? Autant d’indices que vous êtes devant un diner (on prononce “dayneur”) américain fondé par nul autre qu’un ou une Grec.que !
La grande vague d’immigration des années 1950 coïncide avec le développement des diner aux États-Unis, ces restaurants en service continu où l’on peut commander des pancakes en plein après-midi et se faire resservir du café toutes les dix minutes. Ce sont dans ces restaurants que les premiers arrivants grecs vont trouver du travail, plutôt à la plonge qu’à la caisse d’ailleurs. Mais peu à peu, les opportunités se présentent car l’immigration grecque possède justement toutes les qualités pour faire tourner ces établissements. La culture du restaurant familial coule dans leurs veines ! Loin des chaînes où le profit de chaque plat est maximisé, ils et elles savent qu’un restaurant tourne grâce aux habitué.e.s. C’est ce qui fera le succès des milliers de diners « grecs ».
Les gyros… partout
Pourquoi faire compliqué quand on connait la recette ? Emprunté aux frères-ennemis Turcs qui l’ont rendue célèbre à Berlin au début des années 1970, la broche qui tourne demeure la porte d’entrée pour tous les restos grecs du monde aujourd’hui.
Une pensée à mon cousin Alexis avec qui, à l’âge de 13 ans, nous mangions, tous les soirs, deux gyros chacun, απ’ολα (pour moi) et χωρις τζατζικι (pour lui) pendant de longues vacances de février à Sitia.
Le quatre à la suite : Grecque ou pas grec ?
À cause de leurs patronymes souvent très identifiables pour ne pas dire encombrant*, une ascendance grecque n’est pas facile à camoufler. Cependant, les Grec.que.s de la diaspora, 1ère, 2ème ou 3ème génération se cachent partout, jusque dans les plus hautes sphères.
Serez-vous reconnaître ces vedettes qui ont fait la gloire de la communauté hellénique d’ici et d’ailleurs ?
#1
Fille de l’acteur Crétois John Anastassakis et de l’actrice Nancy Dow, je passe un an en Grèce avant mes 6 ans. J’enchaîne les petits rôles pour la télévision au début des années 90 avant de connaître le succès avec une série désormais cultissime de NBC. J’y joue le rôle d’une serveuse devenue executive women chez Ralf Lauren, mon histoire d’amour tumultueuse avec Rossmarquera éternellement les coeurs. Après Friends, je joue dans de nombreuses comédies sur grand écran. Je suis, je suis…
#2
Ma mère, une Grecque de Sparte, épouse mon père, immigré de la deuxième génération dans les années 1960 et je nais à Washington en 1971. A l’âge de 7 ans, ma famille déménage en Californie ce qui me permettra de profiter du temps clément pour passer tout mon temps sur les courts, une raquette à la main. Je mets un terme à ma carrière sportive en 2002, en battant Angré Agassi en finale de l’US Open. Légende du tennis, j’ai gagné quatorze Grands Chelem dont sept Wimbledon. Surnommé « Pistol Pete », je suis, je suis…
#3
C’est ma mère Litsa, qui me pousse vers la musique et c’est elle qui me contraint à chanter durant toute mon enfance, voulant faire de moi une enfant star. En 1937, à l’âge de quatorze ans, je quitte les États-Unis pour rentrer en Grèce. Je passe deux ans au conservatoire national d’Athènes où je découvre tout le potentiel de ma voix de soprano. La suite appartient à la légende… Je chante La Gioconda de Ponchielli aux arènes de Vérone en 1947 puis à la Scala de Milan et très vite dans toutes les plus grandes salles de spectacle du monde. Je suis la cantatrice la plus célèbre du XXème siècle, je suis, je suis…
#4
Né en Anatolie au début du XXème siècle, ma famille immigre aux États-Unis en 1913. Nous nous installons dans un premier temps dans le quartier grec de Harlem où mon père, Yorgos Kazantzoglou, devient marchand de tapis. Je raconte mon enfance et mon rêve américain dans mon autobiographie America America que j’adapte aussi au cinéma. Je réalise de nombreux films à partir des années 1940 dont Un tramway nommé Désir avec Marlon Brando et à L’est de l’Eden avec James Dean. Stanley Kubrick a dit de moi que je suis « sans aucun doute, le plus grand réalisateur que nous ayons aux Etats-Unis », je suis, je suis…
#5
Je suis née en Crète à Chania en 1934 et dès l’âge de 6 ans, mon timbre de voix unique est remarqué. Je m’installe à Paris en 1960 et je représente le Luxembourg au concours de l’Eurovision en 1963 avec la chanson À force de prier. Avec mon ami Michel Legrand, j’enregistre la bande originale du film Les parapluies de Cherbourg. L’album Le Jour où la colombe de 1967 fait de moi une star en France et mon plus grand succès est probablement Je chante avec toi Liberté. Reconnaissable entre mille grâce à mes grandes lunettes noires**, je suis, je suis…
#6
Grec d’adoption, je compense mon absence de sang grec par mon engagement fidèle à la culture hellène ainsi qu’à l’église orthodoxe. Je m’y marie en 1988 avec l’actrice d’origine grecque Rita Wilson et je passe, depuis, toutes mes vacances sur l’île d’Antiparos. Le président Grec Pavlòpoulos fait de moi un citoyen d’honneur en décembre 2019. On me surnomme « the nicest guy in Hollywood » et je cumule à moi seul plus de 9 milliards de dollars de box office avec mes 45 films. Deux fois oscarisé grâce à mes performances dans Philadelphia et Forrest Gump. Je suis, je suis…
*Papadopoulos, c’est rarement suédois ** le grand-père de la signataire de cette lettre me considère comme la plus belle femme du monde
LES RÉPONSES !!
Jennifer Aniston, Pete Sampras, Maria Callas, Elia Kazan, Nana Mouskouri, Tom Hanks (eh oui !)
Vous n’avez pas fait un seul cours de yoga à distance ? Il vous est impossible de vous concentrer, même devant le bureau des légendes ? Vos enfants passent cinq heures par jour devant la télé quand vous aviez juré que jamais, JA-MAIS !, ils n’approcheraient un écran avant leurs dix huit ans ? Rassurez-vous car il y a au moins un engagement envers lequel vous n’avez pas failli : une bouteille à a été ouverte chaque jour confiné.
Loin de moi d’encourager l’alcoolisme mais j’ai conscience que quand les temps sont durs, les bouchons sautent plus facilement. Alors aujourd’hui on parle d’alcool, sans attendre l’apéro.
Après avoir lu ce qu’il suit, vous en saurez sur Dionysos, Dieu de la vigne, vous aurez joué avec les alcools crétois et pourrez profiter le bon plan de ma soeur Léa : 6 bouteilles pour 59€ transport compris de sa sélection Vins d’avenir livrées chez vous.
Zeus et Dionysos : une paternité maternelle
La Mythologie m’a donné plus d’une fois eu l’occasion de vous parler de maternité. Celle de Déméter, qui la porte jusque dans son nom ou celle disons… contrariée d’Héra. Dionysos nous permet d’aborder cette fois le sujet de la paternité.
On a été habitué.e.s à étudier la paternité comme source de conflits : c’est en tuant son père Cronos, qui s’est lui-même opposé à son père Ouranos, que Zeus prend le pouvoir sur l’Olympe. Comme dans le cas d’Oedipe et Laios, pour un homme, donner naissance est souvent une projection de sa propre mort.
Mais le mythe de Dionysos permet d’entr’apercevoir un autre type de relation père-fils : Une relation aimante, protectrice, que l’on pourrait qualifier de maternelle.
Dionysos est né des amours de Sémélé et de Zeus. Manipulée par la jalouse Héra qui la sait enceinte, elle supplie son amant de la laisser le contempler dans toute sa splendeur. Mais ne pouvant supporter la vue de ses éclairs, elle brûle. Zeus retire alors son fils du ventre de sa mère et le place dans sa cuisse pour mener la gestation à son terme. Dionysos est donc le Dieu « né deux fois », d’abord de sa mère puis de son père*.
La naissance de Dionysos – Détail d’une céramique du IVème avant JC
Cet épisode est raconté dans les Bacchantes d’Euripide :
Dans les transes des maternelles douleurs, quand tomba la foudre ailée de Zeus, sortit de la matrice avant l’heure – car sa mère foudroyée venait de quitter la vie… À l’instant Zeus le Kronide lui ménage un abri d’où il naîtra : dans sa cuisse il le dissimule et l’enferme, au moyen d’agrafes d’or, et le cache ainsi d’Héra… Et lorsque le terme vint, fixé par les Destinées, il le mit au jour, ce Dieu, encorné comme un taureau…
Ce rôle maternel, Zeus l’assume au même point d’éprouver les douleurs de l’enfantement dans la version d’en donne Euripide.
On notera que Dionysos, fils d’une mortelle, n’est pas un demi-Dieu mais bien un Dieu à part entière. Comme si son séjour dans la cuisse de son père avait supprimé tout héritage maternel.
Mosaïque du IVème siècle
Mais son ascendance très masculine ne le prive pas de qualités féminines, au contraire ! Dionysos, Dieu aux diverses représentations, ne se contente pas d’être le Dieu du vin : il est aussi le Dieu de la fécondité et du renouveau saisonnier. Son culte est essentiellement porté par des femmes, notamment lors des Dyonisies. Icône de la masculinité, on rappelle que les Dionysies consistent dans la procession d’un phallus géant, il est en même temps un dieu habillé en femme, avec des cheveux longs. Une ambiguïté qui fait de lui l’un des Dieux les plus intéressants de la Grèce Antique.
* thème repris avec plus ou moins de brio dans les films Junior avec Arnold Schwarzenegger ou L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune de Jacques Demi
Un de perdu, un Dionysos de retrouvé
Quand Thésée parvient à sortir du labyrinthe du roi Minos et à échapper au terrible Minautore grâce à l’astucieuse Ariane, il est bien décidé de rentrer à Athènes avec sa sauveuse. Ariane quitte alors son père et la Crète pour l’aventure de l’amour avec son héros.
Dionysos et Ariane, Albacini , XVIIIe siècle
Pourtant, il ne faudra pas longtemps pour que la romance se transforme en cauchemar : en escale sur l’île de Naxos, Ariane s’assoupi un instant. Mais à son réveil, Thésée est parti en l’abandonnant sur l’île. En matière d’ingratitude, difficile de faire mieux. Heureusement Dionysos passe bientôt par ici et tombe fou amoureux d’elle. En cadeau de mariage, il offre à notre amoureuse une couronne d’or, oeuvre d’Héphaïstos, puis il place la parure de mariée dans le ciel pour former la constellation de la couronne boréale et Zeus, pour récompenser son fils bien-aimé, fait d’elle une immortelle.
C’est ce qu’on appelle le karma.
Jean-Pierre Vernant : “Dionysos, c’est la figure de l’autre”
Je vous recommande chaudement l’entretien de Jean-Pierre Vernant à la Radio Télévision Suisse sur le thème de Dionysos. Il a été réalisé en 2002 mais certaines citations comme «C’est un dieu vagabond. Il arrive dans les villes comme une maladie, une épidémie» sonnent plus actuelles que jamais. Voilà 32 minutes bien utilisées.
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Yamas !
Trouverez vous quels alcools crétois se cachent derrière ces rébus ?
Pour ce deuxième chapitre de notre mini-série consacrée au mariage grec, on s’intéresse à deux divinités habituellement appelées déesse ou dieu du mariage.
Pour rester dans le thème je vous proposerai une recommandation culturelle, enfin…, disons une recommandation tout court !
Mariage et mythologie
La mariage est un thème récurrent de la mythologie grecque. Plus volontiers comme prétexte pour une guerre, on pense à celui d’Hélène et Paris, que pour pour vanter la félicité de la vie maritale d’ailleurs. Les Grecs anciens différencient le mariage de l’amour, de la sexualité et même de la famille*. Chez les Dieux, nul besoin de sentiments, le mariage vous sera généralement imposé, le plus souvent par Zeus lui même. C’est ce qui arrive par exemple à Aphrodite et Héphaïstos ou Perséphone et Hadès. Parfois, il est le fruit d’une malédiction comme pour Jocaste et Oedipe. Bref, loin très loin du “il se marièrent et eurent beaucoup d’enfants“.
Deux divinités portent plus spécifiquement en elles la symbolique du mariage.
Mariage de Zeus et d’Héra sur le mont Ida, Pompéi
Héra (Hρα)représente l’union conjugale en opposition à la maternité. D’ailleurs, l’épouse de Zeus n’est guère féconde : ses enfants sont des divinités mineures (Hébé) ou en conflit avec elle (Héphaïstos). C’est avec d’autres épouses (Létô, Maïa, Dioné, Sémélé…) ou seul (pour Athéna) que Zeus engendre les grandes divinités. Héra tente, souvent en vain, de défendre les intérêts de ses enfants légitimes. Mais ce souci s’exprime bien plus dans son acharnement pour les enfants adultérins que par sa sollicitude pour ses propres enfants. D’ailleurs, quand elle met au monde Héphaïstos, fâchée d’avoir enfanté un être boiteux, elle le lance du haut du ciel ! Dans la mythologie, l’épouse et la mère ne se trouvent pas dans la même personne…
Il est très intéressant de noter que Héra a connu un retour de grâce au XIXème puis XXème siècle en Grèce sous l’influence de l’Église orthodoxe. Loin de la débauche Zeus, de l’infidèle Aphrodite, des amours homosexuels d’Apollon ou de l’indépendante et rebelle Athéna, Héra, elle, remplit tous les critères de la parfaite épouse chrétienne. l’Église orthodoxe, qui je le rappelle a été à l’origine de la guerre d’indépendance de 1821 et qui exerce toujours une influence majeure en Grèce, décide habilement de s’emparer de cette figure pour prôner un ordre social normé et conservateur. Difficile dans ce pays toujours ramené à son antiquité illustre de s’affranchir tout à fait de ses mythologies. Alors un travail de réécriture se met à l’oeuvre. Jusque dans les années 1960, les jeunes enfants Grecs apprennent par exemple à l’école qu’Héra est la mère d’Athéna. Ainsi, la déesse amère et malveillante décrite par Ovide ou Homère devient la mère aimante de la protectrice de la capitale.
Je vous déclare unis par les liens du mariage…. Détail d’une céramique, Grèce, Vème siècle avant J
Hymen (Ὑμέναιος), lui, est une divinité qui apparait bien plus tard et c’est les Romains qui feront de lui le Dieu du mariage. Appelé Hyménaios chez les Grecs, on le découvre chez Homère et Hésiode mais il désigne le chant nuptial qui accompagne la future mariée vers la demeure de son époux. C’est Euripide qui, le premier, invoque Hyménaios en tant que divinité.
Une des légendes tardives les plus célèbres est celle qui l’oppose aux pirates. Ce fils de Caliope et d’Apollon est si beau qu’il est souvent pris pour une femme, ce qui n’empêche pas ce jeune Athénien d’être ignoré par l’élue de son coeur. Pour s’approcher d’elle, il se déguise en vieille femme et se glisse parmi le groupe d’amies. Elles sont justement sur le départ pour se rendre à Éleusis pour sacrifier à Démeter**. Mais à cet instant, des pirates les font prisonnières et prennent avec elles notre malchanceux Hyménaios***. Celui-ci va profiter de ces circonstances malheureuses pour prouver sa valeur. Il attend la nuit et, à lui seul, tue les pirates. Il rentre alors à Athènes et promet de rendre les jeunes filles à condition qu’on lui donne en mariage celle qui l’aime.
* Une situation similaire à la notre donc ** les lecteurs et lectrices les plus appliqué.e.s remarqueront que les newsletter se répondent entre elles *** qui aurait déclaré « je suis pas venu ici pour souffrir ok? »
Rubrique 7ème art : Mariage à la grecque
On commencera par dire que le titre original de ce chef d’oeuvre est beaucoup plus explicite : my big fat greek wedding.
Au cas où quelqu’un aurait l’espoir qu’on éviterait les clichés, la fameuse police de caractères “grecque” de l’affiche permet éviter toute confusion. On utilise le sigma, le “s” grec, comme un “e” ? Peu importe, nous sommes à Hollywood !
Mais avec le bon état d’esprit (avec du vin donc), on saura apprécier quelques répliques cultes et se dire que finalement, notre famille est vraiment super.
Avec un budget de 5 millions de dollars, le film a rapporté près de 370 millions, dont 90% sont attribués par moi-même à la diaspora grecque que l’on sait nombreuse et nostalgique !
La Grèce compte le nombre de décès le plus bas d’Europe, la barre des 100 morts venant tout juste d’être franchie. Explication sur ce succès sanitaire.
Pourtant “théoriquement, la Grèce se présentait comme la victime idéale de la pandémie. Le système sanitaire est affaibli par une décennie de coupes sauvages et les habitudes font que les gens vivent beaucoup à l’extérieur” affirme Filippos Filippidis, chercheur à l’Imperial College au Corriere della Sera. À ces deux facteurs de risque, on peut ajouter la situation dramatique dans les camps de migrants et la géographie du pays, constitué de plus de 6 000 îles.
L’explication est simple : toutes les mesures ont été prises très tôt. Annulation de tous les carnavals qui précèdent Pacques dès le mois de février, confinement de la population et fermetures des écoles mi-mars alors que le pays comptait à peine plus de 100 cas, placement en quarantaine de tous les voyageurs arrivant de l’étranger, hôpitaux réservés aux patients atteints du coronavirus pour circonscrire les contaminés et surtout interdiction des baignades en mer !
Athènes en plein confinement
Alors que les Grecs fêteront Pâques dimanche prochain, le 19 avril. Une interdiction totale de circulation est en étude par le gouvernement pour empêcher les urbains de rejoindre leur village familial pour la fête religieuse la plus importante de l’année.
Même s’il ne faut jamais crier victoire trop tôt, l’inquiétude est aujourd’hui surtout économique. Certaines mesures se décident comme l’aide de 800€ que les travailleurs non-salariés pourront demander à partir d’aujourd’hui ou ce fond spécial destiné à aider l’industrie du tourisme qui devrait connaître une année blanche. Difficile cependant de ne pas craindre la prochaine crise mondiale pour un pays déjà plus que fragilisé par des années d’austérité.
Juste pour rigoler, un petit clin d’oeil pour rester dans le thème “fierté grecque” !
Quand il s’agit de leur héritage culturel, musical ou culinaire, les Crétois sont très conservateurs.
Pour vous faire une idée, pensez à la personne la plus conservatrice que vous connaissez. Vous l’avez ? Non, je ne vous parle pas de cet oncle chauvin qui dit “on fait quand même de bonnes choses en France” en dégustant un St Joseph. Je vous parle plutôt de celui qui a refusé de goûter ce whisky Talisker de 16 ans d’âge parce qu’il préfère le calva maison du voisin.
Le problème avec le conservatisme, c’est que ce whisky écossais, il était vraiment très bon. L’avantage, c’est qu’il permet aux traditions de perdurer, de se transmettre et de réunir les générations.
Aujourd’hui, en l’honneur de tous les mariages reportés, oui même ceux auxquels vous étiez ravis d’échapper, on enfile nos habits de lumière et on file à la plus traditionnelle des traditions : le mariage grec !
Et comme il y avait fort à dire sur le sujet, ce n’est que le premier acte d’une saga en deux partie.
Quatre mariages et deux mille invités
Dans un pays où plus de 90% de la population se reconnaissent comme orthodoxes (et seulement 4% athées), le mariage religieux est de rigueur pour tous les couples qui auraient l’espoir de dîner ensemble au restaurant sans provoquer un mini-scandale.
Il y a chez la jeunesse grecque une grande fierté vis-à-vis de leurs traditions et elle semble bien déterminée à maintenir ses rituels.
Il y a chez la jeunesse grecque une grande fierté vis-à-vis de leurs traditions et elle semble bien déterminée à maintenir ses rituels.
C’est particulièrement marquant lors de la cérémonie religieuse, avec, par exemple, le rite des Stefana (στέφανα), ces couronnes tressées placées tour à tour sur la tête du marié et de la mariée. C’est souvent l’occasion pour le ou la pauvre témoin responsable de ce passe-passe d’emmêler les rubans et de marcher sur la traine. La cérémonie se poursuit malgré tout et après avoir partagé une coupe de vin, les mariés font trois fois le tour de l’autel et embrassent la croix tenue par le pope*. Pendant son discours, en particulier durant le passage sur les obligations de la mariée envers son époux, les femmes modernes ont le bon goût d’écraser le pied de leur fiancé. Pour qu’il ne se fasse pas trop d’illusions en quelques sortes.
Après la cérémonie, on rejoint le lieu de la fête et si vous avez déjà croisé un.e Grec.que dans votre vie, vous savez qu’ils s’y connaissent en générosité. Alors on oublie la liste de mariage et on invite tout simplement le village en entier. 500 personnes ? Même pas peur.
Les grandes tables sont installées et le Meltemi, le vent du Nord qui souffle l’été, vient s’engouffrer sous les nappes en papier. Pas de plan de table, pas de buffet. Les assiettes de mezze sont déjà servies et chacun peut déguster une tiropita, un peu de xigalo, le fromage de chèvre et brebis local ou un dolmades. Puis arrive un plat de spaghetti (trop cuites) sauce tomate à la viande façon bolognaise avant l’agneau (ou le porc) au four, toujours accompagné de frites. C’est souvent froid mais on est pas venu pour ça.
Opa!
Danseurs et danseuses à un mariage au centre de la Crète en Juillet 2019 photographié.e.s par Georges Tatakis.
Mieux que Claude François pour réunir les générations, la seule musique acceptée est le rebetiko (ρεμπέτικο), ce style de musique grec dont j’aimerai beaucoup vous parler une prochaine fois. En ce qui concerne la danse, vous avez sûrement entendu parlé du Sirtaki, celle que l’on aperçoit dans le mythique Zorba Le grec par exemple ? De façon similaire, en Crète, on danse en ligne en se tenant par le bras. Et à chaque région de Grèce, sa déclinaison. En Crète, nous avons le Siganos (σιγανος) ou le rapide Maleviziotis (μαλεβυζιώτης).
Quelques fois, le mariage se transforme en véritable performance de danse comme lors de celui-ci. À d’autres, plus sérieux, des danseurs professionnels viennent ouvrir le bal comme lors de celui-ci ou celui-là.
Vous voulez profiter du confinement pour apprendre quelques pas ? Voici un tuto !
* je vous parle d’un temps que les pré-covid19 ne peuvent pas comprendre.
Le mariage de Thétis et Pelée
Pire encore que le mariage de mon meilleur ami*, je vous présente le mariage de Thétis et Pelée.
Pelée retenant Thétis par la taille. Un petit lion semble surgir derrière sa tête pour venir mordre le bras de Pelée, faisant allusion aux transformations de Thétis.
Alors que Zeus lui-même convoite la belle néréide Thétis, la sage Thémis fait la prédiction suivante : “Déesse de l’onde, il faut que tu deviennes mère ; de toi naîtra un fils dont les exploits surpasseront ceux de son père et qu’on proclamera plus grand encore.” Inquiet, Zeus préfère alors la marier à Pelée. On est jamais trop prudent.
Fâchée de devoir épouser un simple mortel, Thétis s’échappe. Avec l’aide du centaure Chiron, Pelée se met à sa poursuite et la retrouve dans une grotte de Magnésie. Ultime tentative de fuir ce mari encombrant, elle se transforme alors tour à tour en lion, serpent, feu, seiche, arbre et eau. Mais ce dernier l’attache avec des chaines et l’enserre si fort de ses bras qu’elle reprend sa forme humaine. “Ce ne peut être, dit-elle, que par la volonté des Dieux que tu triomphes.”** : Le mariage peut enfin avoir lieu.
Tous les Dieux sont invités à l’union sur le mont Pélion. Tous ? Non ! Eris, la Discorde, dont on redoute la présence n’est pas conviée. Pour se venger, celle-ci apparait tout à coup et jette sur le banquet une pomme d’or qui porte l’inscription “A la plus belle!”. C’est cette pomme qui, indirectement, sera la cause de la guerre de Troie. Et pour boucler la boucle, devinez qui nait de l’union de Thétis et Pelée ? Je vous le donne en mille : Achille !
Mariage de Thétis et Pélée par Rubens
* Classique de 1997 avec Julia Roberts ** Ovide, Les Métamorphoses. Qui a dit que ces astérisques ne servaient qu’à faire des blagues ?
Hier, j’ai lu qu’à l’île de Ré un faux arrêté préfectoral distribué dans certaines boites aux lettres demande aux non-résident.e.s de partir. Pas mal de gens découvrent pour la première fois ce sentiment désagréable de n’être pas le ou la bienvenu.e. Pourtant, c’est un sentiment que connaissent bien les immigré.e.s, les parents de jeunes enfants dans le TGV ou les infirmiers et infirmières dans certains immeubles actuellement … J’ai pensé alors à d’autres pestiféré.e.s, ceux de l’île de Spinalonga, à quelques kilomètres d’Adravasti. Bientôt, vous saurez tout sur l’histoire folle de cette île !
Ensuite, je vous recommande la lecture du meilleur des romans de gare : l‘île des oubliés de Victoria Hislop qui traite justement de Spinalonga (et je vous donne des astuces pour commander des livres sans passer par Amazon 😉 )
Enfin, on reste dans le thème et on joue ensemble à Questions pour un confiné !
Les Crétois ont décidés de vous éliminer et leur sentence est irrévocable
Face à Elounda, à côté d’Agios Nikolaos à l’Est de la Crète, se trouve la minuscule île de Spinalonga. Ce sont les Vénitiens – qui ont occupé la Crète entre le 13ème et le la fin du 17ème siècle – qui s’y sont les premiers intéressés et y ont construit une puissante forteresse. Mais si l’île est célèbre, c’est surtout qu’elle fut pendant un demi-siècle l’île des lépreux. À partir de 1903, tous.tes les lépreux et lépreuses de Crète sont déporté.e.s vers cette île pour y vivre enfermé.e.s, sans soins ni espoir d’en sortir un jour.
Pendant plus de cinquante ans, près de 500 personnes y ont été enfermées, privées de citoyenneté et rayées des registres de naissance. La maladie qui déforme les membres et le visage fait peur. Aux yeux des Crétois, elles sont maudites, dangereuses, contagieuses, suspectes de transmettre le mal par hérédité, par contact physique ou même par le regard. Tout est fait pour cacher l’existence de cette île ainsi que celle de ses habitants.
Devant l’Eglise de Spinalonga, début du XXème siècle
Ils et elles vivent plus ou moins coupé.e.s du monde, enfermé.e.s à vie sur ce rocher. Alors contre cet abandon, les habitant.e.s de Spinalonga s’organisent, recréent une vie de village, avec école, épicerie, boulangerie, cafés et barbier.
En 1957, l’île cesse son activité d’accueil des lépreux et lors de l’évacuation de l’île, on découvre que certains « lépreux » n’étaient en fait qu’atteints de maladies de peau…
Mais les habitant.e.s de la région, qui bénéficiaient de l’île en faisant payer à des prix exorbitants leurs fruits, légumes et médicaments aux lépreux qui touchaient une petite rente de l’État, s’inquiètent de la perte de cette source de revenus. Les vestiges vénitiens et ottomans sont d’abord mis en valeur, mais c’est surtout ce qui reste du passage des lépreux, effacé dans un premier temps, qui devient la poule aux oeufs d’or. L’Ile des oubliés de Victoria Hislop et la série télévisée grecque qu’elle a inspirée ont transformé Spinalonga en destination touristique majeure. Un dérangeant mouvement de récupération touristique se met alors en place. Avec lui, la mémoire de la léproserie, d’abord niée comme un épisode honteux, retrouve bientôt un intérêt économique. Cette exploitation de la mémoire a été mise en lumière par Maurice Born dans sa longue thèse intitulée Archéologie d’une arrogance. À travers le cas de la lèpre, Archéologie d’une arrogance ouvre une réflexion sur les représentations de la maladie en général, sur la contagion, la peur, le refus, qui vaut plus largement que le cas de Spinalonga. Bref, que des sujets très actuels !
Spinalonga depuis Plaka, 1903
Lecture de confinement
Vous avez pensé que vous alliez enfin pour vous atteler à lire la Recherche du temps perdu et misère vous voilà à revoir pour la 3ème fois cette vidéo du chien qui fait du yoga (elle était quand même super bien cette vidéo) ? Alors on revoit ses ambitions à la baisse et on se plonge dans L’île des oubliés de Victoria Hislop paru en 2005, elle a pas gagné le Nobel de littérature mais vous le finirez plus vite qu’une série Netflix.
Et si vous vous demandez comment se procurer ce chef d’oeuvre sans passer par Amazon, Alléluia, vous trouverez la réponse en cliquant ici. Et le lien direct pour les parisiens.
Le quatre à la suite !
Rien de mieux qu’un peu de mer agitée pour mettre de la distance avec une population d’indésirable.
Devinerez vous qui se cache derrière ces descriptions ??*
#1 Île de 9 hectares, je dois mon nom aux pélicans à qui je servais de refuge. Forteresse militaire, prison militaire puis prison de haute sécurité jusqu’en 1963, j’accueille aujourd’hui plus d’un million de touristes tous les ans. Burt Lancaster et Clint Eastwood ont marqué mon histoire et je reste la plus mythique des prisons. Située dans la baie de San Fransisco, je suis, je suis…
#2 De forme oblongue, je mesure 68 mètres de long dans l’axe sur 31 mètres de large. Gouffre financier, ma construction dura 53 ans et coûta la vie à de nombreux ouvriers et matelots. Longtemps surnommé « fort de l’inutile » par les locaux, c’est désormais Félindra et Passe-partout qui font ma renommée. Situé entre l’île d’Aix et l’île d’Oléron en Charente-Maritime, je suis, je suis…
#3 Édifiée sur les ordre de François premier en 1527, je suis une forteresse française rentrée dans l’histoire et la littérature. Ma construction carrée de trois étages ne paye pas de mine mais mes trois tours rassemblaient une puissance de feu considérable, faisant de moi une puissante citadelle. Puis je sers de prison pendant près de 400 ans. Dans l’archipel du Frioul, au centre de la rade de Marseille, mon plus célèbre prisonnier est Edmond Dantes. En mon sein, il rencontre de l’Abbé Faria avant de s’échapper et devenir le Compte de Monte Cristo. Je suis, je suis…
#4 Île de près de 13 hectares, dont la grande partie a été crée artificiellement, je forme un U pour accueillir les bateaux. D’abord appelée Fort Gibson, je fus l’entrée principale des immigrants qui arrivaient aux États-Unis entre 1892 et 1954, dont Vito Corleone qui m’aperçu depuis son bateau. Ile entrée dans la légende située à l’embouchure de l’Hudson à New York, je suis, je suis…
* Ce jeu se joue en imitant la voix de Julien Lepers, évidemment
PS : Logo “Questions pour un confiné” réalisé par mes soins. Vous en pensez quoi ?
RÉPONSES :
#1 – Alcatraz
Je vous recommande d’ailleurs le podcast d’Affaires sensibles sur le sujet !
Heure d’été cette semaine, passage de l’hiver au printemps il y a dix jours sans compter ma grand-mère qui m’a encore dit hier qu’il “y’a plus de saisons”. Bref, on ne pouvait imaginer un meilleur moment pour vous parler d’un de mes mythes préférés, celui du rapt de Perséphone par Hadès et la création des saisons.
Sur une plaine ensoleillée, narcisses blanches et nymphe Cyané…
Perséphone (Περσεφονη), souvent appelé Coré (Κόρη, la jeune fille), est la fille de Demeter (Δημήτηρ, composé de μήτηρ, la mère), déesse de l’agriculture et de la fertilité et de Zeus.
Alors qu’elle cueille des narcisses avec la nymphe Cyané dans la plaine d’Enna, en Sicile, Perséphone est enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, qui surgit soudainement des entrailles de la Terre sur son char tiré par ses chevaux bleu nuit.
La nymphe Cyané tente de s’interposer mais d’un coup de sceptre, Hadès disparait de la surface terrestre et emporte Perséphone avec lui. Terrassée par le chagrin, Cyané, en larmes, se transforme immédiatement en fontaine. C’est comme cela que la pauvre Perséphone rentre dans la longue tradition des femmes capturées et abusées de la mythologie grecque*.
Avant de disparaître, Perséphone a juste le temps de pousser un cri.
Terre cuite datant du 1er siècle avant JC découverte en Asie Mineure représentant Démeter et Perséphone. On y perçoit l’immense tendresse qui unit la mère et sa fille.
Pendant neuf jours et neuf nuits, Demeter, sous les traits d’une vieille femme crétoise, cherche sa fille adorée dans le moindre recoin. Pleine de fureur, elle quitte l’Olympe et délaisse les champs et les cultures. Selon l’hymne homérique à Déméter, seul.e.s Hécate, la déesse de la Lune et Helios, la personnification du Soleil, ont entendu le cri de Coré. Démeter, se rend justement auprès d’Hélios qui lui confirme l’insupportable nouvelle : inutile de remuer ciel et terre plus longtemps car c’est aux Enfers que sa fille est cachée !
Sans la protection de la plus fertile des déesses, plus rien ne pousse, le bétail meure et très vite, la famine ravage la Terre.
Les dieux s’en inquiètent à commencer par Zeus, complice du rapt de la jeune Perséphone. Toujours soucieux du sort des mortels, le roi de l’Olympe souhaite trouver une issue au conflit qui oppose Hadès et Démeter.
Il envoie donc Hermès dans le monde souterrain pour exiger d’Hadès qu’il rende Perséphone. N’osant s’opposer trop frontalement à son frère tout puissant, Hadès tente une habile manipulation : il acceptera de renvoyer Perséphone à condition qu’elle n’ait pas goûté à la nourriture des morts. Quand elle lui affirme qu’elle n’a rien touché depuis son terrible enlèvement, Hadès, pris à son propre piège, n’a d’autre choix que de la laisser partir.
Détail du Rapt de Proserpine du Bernin, 1624.
Mais hélas ! Au moment où Perséphone s’apprête à quitter les Enfers, Ascalaphos assure l’avoir vu manger un grain de grenade. Dans la version d’Ovide, pour le punir de cette odieuse délation, Démeter le transforme en chouette**. Pour un seul grain de grenade, Perséphone est condamnée à ne plus voir la lumière du jour…
Démeter est inconsolable et la famine continue de faire rage. Bien embêté, Zeus propose alors le compromis suivant : Perséphone passera la moitié de l’année sur Terre avec Déméter et l’autre aux Enfer avec Hadès. Six mois par an, notre jeune Coré qui aimait cueillir les fleurs avec les nymphes sous le soleil de Sicile se métamorphose en cruelle reine des Enfers. Elle est souvent représentée auprès de son mari, tenant un pavot dont les vertus soporifiques symbolisent le sommeil annuel de la nature car nous tenons ici l’explication des saisons : Perséphone, aux côtés de son mari, rien ne pousse et rien ne fleurit : c’est l’automne et l’hiver. Mais dès qu’elle retrouve sa mère, les cultures reprennent, c’est le printemps et l’été.
Le Rapt de Proserpine, Rembrandt, 1631
* Nos pensées à Cassandre, Daphné, Danaé, Callisto, Méduse… ** Confirmant que «snitches get stitches»
Pour les complotistes d’entre vous
Les amateurs de Martis remarqueront que cette histoire rejoint celle de nos petits bracelets rouge et blanc.
Détail de la grande stèle des mystères d’Éleusis, ou relief de l’initiation, découverte à Éleusis en 1859. Elle représente Démeter, à gauche qui donne un objet mystérieux au jeune roi d’Éleusis Triptolème sous les yeux de Perséphone, à droite.
Nikolaos Politis, pionnier de l’étude des folklores grecs, lie la coutume des Martis aux origines mystérieuses au mythe de Déméter, la déesse de la terre. Alors que Démeter est à la recherche de sa fille, elle arrive déguisée en mendiante dans la ville d’Éleusis, près d’Athènes. Malgré son apparence modeste, le roi Céléos la reçoit avec respect et lui offre du vin et du fromage. Pour le remercier, elle lui enseigne l’art de l’agriculture et l’initie à ses “Mystères”. C’est le point de départ d’une tradition, les fameux Mystères d’Éléusis, qui devient une des fêtes les plus célèbres et énigmatiques de la Grèce antique. Castors & Pollux, les fondateurs de Rome, ou encore le philosophe Hippocrate (et Beyoncé aussi, selon moi) auraient fait partie des initiés. On sait peu de choses des rituels respectés au cours de cette fête hormis que ses initiés portaient un bracelet rouge et blanc à leur main droite…
Pourquoi la tartine qui tombe atterrit-elle toujours du côté où se trouve la confiture ?
On appelle mythe étiologique un mythe qui cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel, ou la création d’un être ou d’une chose. La création des saisons par exemple ! Ovide en était particulièrement friand et on trouve de nombreux dans ses Métamorphoses.
Trouverez-vous lequel de ses phénomènes n’a pas été expliqué par Ovide ? *
1. Pourquoi nos voix forment un écho ?
2. Pourquoi le vernis sur les doigts de pieds tient beaucoup plus longtemps que sur les mains ?
3. Pourquoi les araignées tissent un fil ?
4. Pourquoi Nicolas et Carla sont-ils tombé.e.s amoureux ?
5. Pourquoi le plumage du paon semble dessiner des yeux ?
LES RÉPONSES
Pourquoi nos voix forment un écho ?
Nymphe des montagnes, Echo est condamnée à ne plus pouvoir parler, sauf pour répéter les derniers mots qu’elle avait entendus par Héra après que cette dernière eut compris qu’Écho couvrait les infidélités de Zeus en embarquant Héra dans d’interminables récits qui l’empêchaient de prendre son époux sur le fait.
Pourquoi les araignées tissent un fil ?
Jeune fille de Lydie en Asie Mineure, Arachné provoque la colère d’Athéna quand elle lui affirme qu’elle est la meilleure tisseuse du monde, meilleure même que la déesse. Afin de lui prouver sa supériorité et la punir de son arrogance, Athena organise un concours. Tandis que la déesse choisit d’illustrer sa broderie des dieux de l’Olympe et dans les coins les mortels présomptueux, la jeune fille, elle, représente les dieux en proie à des comportements honteux, notamment Zeus avec ses nombreuses amantes illégitimes. Le tissage est parfait mais jalouse et furieuse, Athena déchire l’ouvrage d’Arraché. Ainsi humiliée, la mortelle se pend. Pleine de remords, Athena offre alors une seconde vie à à Arachné, mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse tisser pour l’éternité.
Pourquoi on ne peut rien faire contre l’amour ?
Amoureuse ? Amoureux ? Ne chercher plus si c’est ce petit nez retroussé qui vous a séduit ou cette culture encyclopédique. C’est tout simplement ce cher Cupidon, fils d’Aphrodite, qui vous a touché d’une de ses flèches ! Si Carla n’a rien pu faire, vous non plus.
Pourquoi le plumage du paon semble dessiner des yeux ?
Héra confia à Argos, géant doté de cent yeux, la surveillance d’Io, prêtresse du temple d’Héra, qu’elle soupçonne d’entretenir une relation avec Zeus, son mari. Ce dernier confie alors à Hermès la mission de tuer le géant. Hermès l’endort en lui chantant une longue chanson accompagnée de sa lyre et profite de son sommeil pour lui couper la tête. Pour honorer sa mémoire, Héra récupère alors ses yeux et s’en servit pour garnir la queue de son animal favori, le paon.
* On m’a indiqué que mes jeux de la lettre 3 étaient trop durs, je m’adapte donc à mon lectorat 😉
Ce mythe, je ne suis pas la seule à l’aimer. Sujet classique s’il en est, il inspire les artistes depuis plus de deux mille ans ! Je vous ai concocté un florilège de ses représentations du Bernin à Rembrandt en passant par Dürer :
Sarcophage romain en haut-relief en marbre,
2ème siècle après JC
Albrecht Dürer, 1516
Nicolo dell’ Abate, 1570
Le Bernin, 1624
Cette statue du Bernin, j’ai eu la grande chance de l’admirer à la villa Médicis à Rome. La détresse de Perséphone, le geste violent et charnel d’Hadès, la rage du cerbère aux trois tête dissimulé ici, tout y est magnifique.
Les larmes de Perséphone
La force d’Hadès
Rembrandt, 1631
Simone Pignoni, 1650
Frederic Leighton, 1891
John William Waterhouse, 1912
La jeune fille et la mort, ballet de Stephan Thoss, 2015
Quelle meilleure occasion de prendre un peu soin de nous que ce confinement ?
Si c’est l’aspect culinaire qui monopolise d’habitude mon attention, l’huile possède aussi de nombreuses qualités cosmétiques. Alors on sort de son pyjama et on apprend deux trois choses au passage.
Les corps (nus et huilés) à l’Antiquité
Au bain !
Chez les grecs de l’Antiquité, la beauté passe avant tout par la propreté. Les demeures les plus riches possèdent leurs propres salles de bain, alimentées en eau par les aqueducs, voire des thermes privés pour les plus vastes domaines et pour les autres, les thermes publics sont omniprésents en ville. Verdict : confiné.e ou pas, on file sous la douche.
Des corps huilés
Intérieur d’une coupe. Un athlète verse de l’huile dans sa main alors qui se prépare pour l’exercice, 510 avant JC
Ceux qui prennent le plus le soin de leur corps, ce sont les athlètes. Avant les exercices, ils se lavent à une fontaine puis se frictionnent d’huile d’olive pour éviter les accidents musculaires. Souvent, ils mélangent l’huile à du sable avant de s’en recouvrir pour se protéger du froid, du soleil et des coups portés. L’huile est gardée dans des amphores en terre cuite. Pendant les prestigieuses Panathénées, les jeux d’Athènes, des amphores sont offertes aux vainqueurs sur lesquelles est le plus souvent représentée Athena, elle qui avait justement offert un olivier à la ville qui porte son nom.
Athena couronne le vainqueur d’un match de boxe. 363 avant JC
Tous nus et tous bronzés
N’importe quel enfant lâché au Louvre l’aura vite remarqué : les grecs s’embarrassaient assez peu de textile. Mais attention, la nudité n’est pas pour tout le monde. Les femmes restent couvertes quand les corps des hommes se dévoilent comme on le voit sur cette amphore du 4ème siècle avant JC.
Boxeurs nus couronnés par Olympia, habillée sur la gauche, 340 avant JC
À l’inverse de notre époque moderne, c’est sur les jeunes hommes que la pression sociale de l’apparence s’exerce. Sans toge pour cacher ce petit bourrelet acquis lors du dernier banquet, il n’est pas question de se laisser aller, d’autant plus que les normes esthétiques sont sévères : on les veut minces, élancés et le muscle saillant s’il vous plait !
Pour les grecs, être nus, c’est accéder à une forme supérieure de civilisation. D’ailleurs, seuls les citoyens peuvent avoir cet honneur. La nudité athlétique est au grec ce que le dernier iPhone est au californien du XXIème siècle : une certaine idée du progrès.
Voici ce qu’en dit Platon dans sa République :
– Il n’y a pas si longtemps qu’aux yeux des Grecs certaines choses paraissaient honteuses et ridicules, qui le sont encore aujourd’hui aux yeux de la majorité des Barbares, à savoir que les hommes se laissent voir nus. Rappelons que, lorsque les Crétois, les premiers, et ensuite les Lacédémoniens se mirent à pratiquer nu, les policés de ce temps avaient quelque droit de railler toutes ces nouveautés ; ne le crois-tu pas ? – Si. – Mais lorsqu’en s’exerçant ils s’aperçurent qu’il était préférable de se dévêtir que de demeurer vêtu, même ce qui semblait ridicule à leurs yeux disparut devant ce que les arguments révélaient comme ce qu’il y a de meilleur.
Beaux et belles comme des dieux
Fini la théorie ! Voici trois idées pour vous chouchouter à la grecque.
1. Un gommage pour la peau
Détail de la Venus/Aphrodite de Milo, 2ème siècle avant JC
Le corps sexuellement idéal, pour le Grec de l’Antiquité, est un corps jeune à la peau éclatante, douce et lisse comme celle des statues de bronze qui étaient entretenues polies et brillantes pour rester lumineuses et douces au toucher.
Alors pour se la jouer statue grecque, on suit le programme suivant :
Ingrédients : – Deux cuillères à soupe de sucre fin – Deux cuillères à soupe d’huile d’olive (ou amande douce ou macadamia) – Une cuillère à soupe de miel liquide – Un demi citron (qui cicatrise les petits boutons)
Appliquez le gommage sur peau humide pour les peaux sensibles, en réalisant des mouvements circulaires et en insistant au niveau des genoux, coudes et talons, puis rincez à l’eau claire.
2. Un masque pour les cheveux
Détail de Dionysos avec Panthère et Satyre, 2ème siècle après JC
Ingrédient : – Huile d’olive
On démêle les cheveux s’ils sont longs et on applique l’huile petit à petit en commençant par la racine. Avec un peigne, on applique l’huile jusqu’aux pointes et on laisse poser sous une serviette chaude si possible ou un torchon (vous allez avoir des taches de gras !). Habituellement, je vous aurais conseillé de le garder toute la nuit mais grâce au confinement, vous pouvez le faire en pleine journée. L’astuce : mettre un bonnet de bain de piscine et hop, on peut vaquer à ses occupations !
Bonus : Ça marche aussi pour les barbes (qui sont j’imagine de plus en plus fournies !)
3. Un soin pour les ongles
Détail de l’aurige de Delphes, ou Hêniokhos (du grec ἡνίοχος, « qui tient les rênes ») 478 avant JC
Ingrédients : – Huile d’olive – Quelques gouttes de jus de citron
Massez vos ongles chaque soir avec de l’huile d’olive et quelques gouttes de citron connu pour ses propriétés blanchissantes. L’huile d’olive donnera un aspect brillant à vos ongles et assouplira vos cuticules, que vous pourrez plus facilement repousser par la suite.
Venez vous enivrer de la douceur étrange De cette après-midi qui n’a jamais de fin !
… dirait Baudelaire pour parler de ce qui nous arrive.
Raymond, un parrain d’olivier, a lui aussi pris sa plume pour répondre à ma dernière lettre. Je vous laisse en profiter :
Vous ne rêvez pas, oui, il s’agit bien d’un sonnet en alexandrins ! Alors bravo et merci à lui pour ce cadeau qui fut un vrai rayon de soleil dans mon confinement.
Et en Grèce ?
On m’a demandé de faire un point sur la situation en Grèce.
Les grecs se sont confinés assez tôt, dès le 10 mars quand il y avait moins de 100 cas sur le territoire, et comptent encore peu de malades et de morts (environ 1000 cas confirmés et moins de 30 morts au moment où j’écris). Il y a néanmoins deux sujets d’inquiétude : l’état de l’hôpital public grec tout d’abord, terrassé par les politiques d’austérité, et les camps de migrants, notamment celui de Lesbos où le virus pourrait faire des ravages.
J’échange régulièrement avec nos producteurs crétois. La proximité de la nature et le bon air crétois leur permettent de ne pas souffrir autant que nous du confinement. Cependant, Manolis, notre producteur d’huile d’olive, craint pour l’avenir économique de son pays qui panse encore les plaies d’une crise terrible. Il est aussi inquiet du gel des commandes d’un de ses clients allemand qui constitue, avec nous, un de ses plus gros comptes. Brigitte, la productrice de savon est, elle, très occupée par l’école à la maison de ses deux filles. En famille, ils profitent de ce moment suspendu pour planter des graines, les regarder pousser et savourer encore un peu plus le luxe inouï d’être entourés d’une nature si belle.