Rencontre avec Sophie Delpuech, oléologue

Le 19 juillet dernier, je me suis attablée avec Sophie Delpuech pour discuter d’huile d’olive. On parle d’arômes, de filtrage, de fruité vert et elle donne même ses conseils pour bien choisir son huile d’olive.

 

 

Comment es-tu devenue oléologue ?

Pour moi, cela s’est fait par étapes. Après un premier parcours professionnel assez diversifié, j’ai repris mes études et obtenu un master « histoire et culture de l’alimentation ». Ce diplôme m’a permis de donner des cours de culture culinaire à des étudiants étrangers. À l’époque, j’utilisais de l’huile olive sans vraiment connaître le produit. Suite à cette formation, j’ai aussi commencé à travailler pour une épicerie fine à Lyon spécialisée dans l’huile d’olive. J’y ai découvert ce produit dans sa richesse et sa diversité. Il y avait une très belle collection d’une quarantaine d’huiles étrangères et françaises. C’est là que j’ai plongé dans l’univers. J’ai eu l’envie de me former au produit depuis la culture de l’olive jusqu’au méthodes de trituration. J’ai suivi et obtenu le DU d’oléologie à l’université de Montpellier, le seul  qui existe en France. C’était passionnant, les intervenants étaient des conseillers techniques de l’AFIDOL, des spécialistes de la chimie de l’huile d’olive, de la trituration, des experts de la dégustation… C’était très ouvert de la partie culturale jusqu’à la dégustation. À la fin de ma formation, j’ai travaillé sur la mise en place de l’oléologie, mon idée était de proposer des ateliers au grand public.

Justement, quels sont les conseils que tu donnes pour bien choisir une huile d’olive ?

Tout d’abord, connaître la diversité des huiles. Il y a tellement de possibilités en termes de saveurs. Les participants aux ateliers sont souvent ébahis par la diversité des goûts. Cette découverte leur permet d’affiner leurs préférences. Il y a un monde entre des huiles fruité vert très intenses et des huiles fuitées « à l’ancienne ». Apprécier les différents fruités est important.

Ensuite, savoir appréhender le système de classification entre les huiles vierges et les vierges extra, les secondes étant plus durables que les premières. Il y a énormément de fraudes dans cette industrie, raison pour laquelle un jury note autant les propriétés physico-chimiques que les qualités organoleptiques des huiles, c’est-à-dire leur goût, selon les normes du Conseil Oléicole International.

« Vierge », « vierge extra », personne ne connait vraiment la signification de ces termes…

Oui, les gens sont perdus. La raison de cette distinction, c’est la protection contre les fraudes. L’huile d’olive représente 4% des huiles végétales consommées dans le monde mais 20% en termes d’échanges marchands. C’est un marché en pleine expansion et très lucratif. D’autant plus que de nombreuses études confirment aujourd’hui les bénéfices pour la santé qui étaient connus de façon ancestrale. C’est un produit formidable qui, avec les progrès au niveau de la production, devient un vrai produit gastronomique avec ses saveurs, ses typicités variétales et géographiques. L’idée de ces normes est de veiller à la justesse de ce marché qui attise les convoitises.

As-tu constaté un évolution des goûts chez les consommateurs ? En particulier chez les consommateurs éclairés ?

Oui, je l’ai constaté à travers mon expérience de vente dans l’épicerie fine puis lors des ateliers. Traditionnellement, les consommateurs français aiment les huiles plutôt fruité mur, pas trop intenses. Surtout pas trop amères ni trop ardentes [Note : l’ardence c’est le piquant, le côté poivré que l’on ressent en fin de bouche quand on déguste une bonne huile d’olive]. Dès que l’on s’adresse à des gens qui s’intéressent à l’huile d’olive et à qui l’on a fait goûter des huiles plus précises, avec des fruités plus intenses, à qui l’on a expliqué ce qu’est l’amertume, ce qu’est l’ardence et pourquoi c’est important pour la conservation du produit et pour le bénéfice santé, alors ils s’ouvrent. L’évolution que je constate est sur le fruité. Avec l’apprentissage, les consommateurs s’orientent naturellement vers des huiles de plus en plus puissantes et aromatiques. Quel que soit le type de fruité d’ailleurs, que ce soit fruité vert ou mur.

J’ai souvent l’impression qu’il y a une mode autour du fruité vert !

Favoriser le fruité vert est un biais d’experts ! Ce sont des saveurs qui se sont découvertes et installées ces dix dernières années. C’est lié au processus de trituration qui a évolué avec les chaines d’extraction continue et tout l’idée de récolter les fruits plus verts, justement pour arriver vers ces saveurs là très herbacées au détriment du rendement. C’est donc à la fois la technologie, l’intérêt des producteurs et la grande complexité aromatique de ces huiles.

Quand on déguste, on goûte le fruité [Note : les arômes], l’amertume et l’ardence. Quels sont les facteurs d’apparition ?

Le fruité est lié au terroir et au fruit mais il se développe au moment du malaxage. Ce sont des réactions enzymatiques au moment du malaxage qui développent le fruité. L’amertume vient du fruit, de la variété et du degré de maturité. Mais en ce moment je m’intéresse au processus au moulin et son impact sur les arômes. Par exemple, un producteur m’a dit qu’en modulant la vitesse de broyage il arrive à jouer sur le niveau d’amertume. À investiguer ! L’ardence est liée à l’extraction et plus précisément à la quantité d’eau utilisé dans le processus : plus on utilise de l’eau plus les composés phénoliques qui sont hydrosolubles vont avoir tendance à se dissoudre dans l’eau.

Combien d’huiles d’olive différentes goûtes-tu par an ?

Je suis jury dans des concours donc déjà rien que pour la présélection de l’AVPA [Note : l’Association pour la Valorisation des Produits Agricole] on a plus de deux cent huiles, pour le concours olive d’or à Montréal on avait cent cinquante huiles, ce à quoi on ajoute tous les concours nationaux et régionaux. Plus tout le reste, je suis à plus de cinq cent par an !

Quel est le meilleur moment dans la saison pour consommer une huile ? On entend souvent que c’est six mois après la récolte, pendant l’été…

Toute l’année ! J’adore les huiles de la nouvelle récolte, il y a l’excitation de la découverte, l’intensité de l’ardence et de l’amertume mais je suis très curieuse et amatrice de vivre l’évolution des huiles toute l’année. Je prends des notes pour chaque huile que je goûte plusieurs fois dans l’année et je les vois évoluer. Pour les huiles que je suis, c’est intéressant sur la qualité de l’huile : à quelle rapidité elle évolue, vers quoi elle évolue. C’est un indice très important de la qualité réelle du produit et du travail du producteur. Il y a des huiles qui sont merveilleuses en janvier et qui ne donnent plus rien en mai, c’est dommage.

Qu’elle est ta position sur le filtrage ? Si tu devais faire ta propre huile demain, tu filtres ou tu filtres pas ?

Je filtre ! C’est un sujet très vaste et beaucoup ne sont pas d’accord. Certains mettent en avant que l’huile d’olive est un produit de terroir et qu’à l’origine on ne filtrait pas les huiles. Cette dernière année il y a aussi eu un effet de mode au point que Carapelli va lancer une huile non filtrée. Mais les risques sont de laisser dans l’huile des micro-particules d’eau et des micro-particules végétales qui en anaérobie dans la bouteille peuvent rentrer en fermentation. C’est le risque de défaut de lie. Il est à mesurer à l’aune de tes réseaux de distribution. Plus tu distribues loin et de grandes quantités, plus tu prends des risques. Par ailleurs, les huiles non filtrées ont tendance à s’effondrer au niveau du fruité avec le temps.

Qu’est ce que t’évoque la variété Koroneiki [Note : la variété de l’huile d’Adravasti]?

Elle m’évoque la rose. C’est une des variété que j’arrive très facilement à reconnaître car ses descripteurs aromatiques sont ancrés dans mon répertoire mental autour des arômes de la rose et du foin. J’aime beaucoup sa délicatesse.

Quelle est ton utilisation quotidienne de l’huile ? Ta petite recette préférée ?

Au petit déjeuner, sur une tartine avec du cottage cheese.

Un souvenir de dégustation ?

J’aime l’exercice de la dégustation car c’est un exercice intellectuel intense. C’est intéressant de pousser son intellect. Au bout d’un moment, ton palet est tapissé et j’aime aller jusqu’au moment où ton cerveau ne connecte plus les arômes.

Une oliveraie qui t’a marquée ?

J’ai un producteur chouchou en France qui s’appelle Éric Martin du domaine La Magnanerie en Ardèche. Il fait des huiles bio, fruitées vertes. C’est un fou des arbres, il aime ses arbres et ses vergers avec toute une recherche sur l’enherbement, les variétés d’herbes. Son oliveraie est magnifique.

Ton huile préférée ?

C’est compliqué parce que j’aime la diversité. L’huile dont je ne me laisse jamais, c’est la Primo de Frantoi Cutrera qui est l’huile de ma sauce de salade. Fruité verte avec des arômes d’herbe coupée produite en Sicile. Je l’ai toujours dans mon placard. Dans les dernières découvertes, j’ai beaucoup aimé la Cima di Mola de chez Pietro Intini, c’est une huile des Pouilles, une vieille variété endémique dont les arbres ont été remis en culture par la famille Intini. C’est une huile originale à découvrir.

 

La dégustation de l’huile biologique de Manolis Lantzanakis, Piskokefalo récoltée en novembre 2017

 

Au nez, je perçois des herbes aromatiques, les odeurs de la garrigue, du thym, du romarin, de la sauge. En bouche, il y a un peu d’amertume, un peu d’ardence. Si au nez le fruité est expressif mais peu intense, en bouche les arômes sont très présents. Il y a aussi une grande longueur en bouche. Je ressens la sauge et la rose, typique de la variété koroneiki. J’aime beaucoup son équilibre entre l’amer et l’ardence. C’est un bon exemple d’une huile douce qui a une vraie personnalité avec des arômes plaisants et solides, d’autant plus solides que nous la dégustons en juillet. Pour la décrire, je dirai que c’est une huile douce au fruité délicat avec un présence discrète d’amertume et d’ardence.

Retrouvez Sophie sur : www.loleologie.fr, sur son blog extrahuiledolive.com et sur Facebook

Qualifiée lors d’un championnat de dégustateurs, Sophie est désormais membre des « Associate Savantes » de l’association internationale de dégustateurs d’huiles d’olive SAVANTES. Elle organise des ateliers de dégustation et des cours d’oléologie pour amateurs et professionnels (www.loleologie.fr) et promeut une approche hédoniste de la dégustation d’huile d’olive ainsi que la production d’huile Vierge Extra de qualité.

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