Prouve-le, si t’es une femme !

Vous connaissez l’arrêt Bosman ? [Allergiques au foot, passez directement au paragraphe suivant, vous avez suffisamment soufferts cet été]


En 1990, le belge Jean-Marc Bosman en fin de contrat avec le FC Liège demande son transfert à Dunkerque. Mais son club s’oppose à son départ laissant notre milieu de terrain sans club et sans un sou. Ni une ni deux, il attaque le FC Liège et ses avocats tentent une stratégie audacieuse : le Traité de Rome n’instaure-t-il pas la libre circulation des personnes ? Les clubs de foot ne seraient-ils pas des entreprises comme les autres, sommés de respecter les lois européennes ? Jean-Marc gagne son procès en 1995 sous les yeux ébahis des plus grands clubs qui comprennent alors l’aubaine apportée sur un plateau d’argent par ce petit joueur flamand de seconde division. Oubliée la limite de trois joueurs internationaux (tant qu’ils viennent de la communauté européenne) par équipe, vive la jurisprudence Bosman ! Le Real de Madrid notamment ne s’en prive pas et acquiert le portugais Luis Figo pour 61 millions d’euros en 2000 puis notre Zizou national pour 75 millions d’euros en 2001. Cette année là, le club madrilène gagne la Ligue des Champion avec sur la pelouse le soir de la finale cinq internationaux et seulement six espagnols.

Si je vous parle de l’arrêt Bosman c’est parce qu’il résonne étonnamment avec l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une sportive qui, sans le vouloir, a eu un impact immense sur la législation sportive.

Les cartes Panini de notre héroïne et de notre héros du jour. 

Cette sportive s’appelle Kallipáteira (Καλλιπάτειρα littéralement « celle dont le père est beau »), nous sommes au Vème siècle avant JC à Rhodes et c’est Pausanias qui nous en fait le récit dans sa Description de la Grèce

Kallipáteira est la fille de Diagoras, l’un des plus grands athlètes de l’Antiquité grâce à son triomphe aux JO de 646 avant JC au pugilat et ses multiples victoires aux Jeux isthmiques et aux Jeux néméens. Cette fille de boxeur se marie à un athlète, Callianax et ils donnent naissance, vous l’avez deviné, à un futur grand sportif, Pisidoras qui se spécialise, lui, dans la course à pied. Chez Kallipáteira, les JO sont une religion et elle peine à accepter la règlementation qui interdit aux femmes mariées de venir assister aux épreuves sous peine d’être précipitées du mont Typaion. Alors quand elle prend en main l’entrainement de son fils après la mort de son mari, il lui est impossible de le laisser partir seul à Olympie. Ces Jeux, elle les prépare depuis des années ! Sa décision est prise, elle se déguise en homme pour pouvoir entrer dans le stade et assister à sa prestation. Mais lorsque que le jeune Pisidoras remporte l’épreuve, ivre de joie, elle s’élance sur la piste pour le féliciter, perd sa toge, révélant à tous sa féminité.

Scandale à Olympie ! Seul le pédigrée de sa famille lui évite le mont Typaion. Pour prévenir toute autre tentative de ce genre*, la législation olympique impose par la suite aux maîtres de gymnastique, tout comme à leurs athlètes, d’être nus dans le stade. Cette obligation de nudité constitue le tout premier test de féminité. 

Diagoras porté en triomphe par ses fils par Auguste Vinchon peint en 1814. Il n’existe malheureusement aucune représentation connue de Kallipáteira alors je m’avance un peu et affirme que l’on peut l’apercevoir à droite, sous les traits de la la jeune femme qui cherche à placer une couronne de fleur sur la tête de son père. J’attends les retours des spécialistes d’histoire de l’art !

Depuis, la créativité des hommes pour tenir les femmes à l’écart du sport** semble sans limite.

Dès 1946, l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) exige des certificats médicaux attestant du sexe. Elle va plus loin en 1966 en imposant des consultations gynécologiques aux athlètes, consultations qui sont adoptées par le Comité International Olympique (CIO) et mises en place pour les JO de Mexico de 1968 dans un contexte de guerre froide où les sportives d’Union Soviétique sont suspectées d’être des hommes. Simultanément, ces deux institutions sportives se penchent sur le « Test de Barr », censé révéler la présence d’un deuxième chromosome X. Puis c’est au tour de la méthode SRY d’être testée par le CIO en 1992 qui vise à détecter un chromosome Y indésirable. Mais tous ces examens génétiques posent de nombreux problèmes bioéthiques qui embarrassent sacrément les officiels. Alors l’IAAF a une épiphanie : plus besoin de tests de féminité puisque les contrôles anti-dopages par prélèvement d’urine se font devant témoin visuel. On imagine aisément le malaise. Le CIO attend néanmoins les JO de Sydney en 2000 pour abandonner définitivement le test SRY. On se croyait enfin débarrassé quand le cas Caster Semenya arrive en 2009.

Cette athlète réalise 1:55.45 aux 800 mètres, soit le 5ème meilleur temps mondial, lors des championnats du monde d’athlétisme de Berlin et est immédiatement accusée d’être née « hermaphrodite », sans que ses accusateurs sachent vraiment ce que ce terme recoupe d’un point de vue médical. Est-ce sa musculature imposante ? Sa couleur de peau (les quatre autres femmes ayant fait mieux qu’elle aux 800 mètres sans être inquiétées étaient blanches) comme le dénoncent plusieurs hommes politiques sud-africains ? Toujours est-il que malgré la proposition de la coureuse de « baisser [son] pantalon pour que vous puissiez voir”, l’IAAF, jamais à court d’humiliations, requiert un contrôle hormonal, la privant de compétition dans l’intervalle. Il leur faudra près d’un an pour qu’ils reconnaissent que Caster est bien une femme et lui autoriser de reprendre le chemin du stade. En guise d’excuses, l’IAAF établit en 2011 un nouveau test de féminité basé sur les hormones : toute athlète ayant un taux d’hormones androgènes trop élevé est exclue bien que plusieurs scientifiques démontrent que dans le sport de haut niveau, les taux de testostérone se chevauchent chez les hommes et chez les femmes. Bref, je me serais bien passée de cet exposé qui manque autant de poésie que le CIO et l’IAAF semblent manquer d’humanité !

* « Pun intended » comme disent les britanniques; le jeu de mot était bien volontaire dirons-nous par ici.
** On remercie les travaux des chercheuses Anaïs Bohuon (Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?) et Vanessa Heggie ainsi que les étudiants des Mines Paritech pour leur chronologie interactive très bien réalisée. Sur le sujet, pour les anglophones d’entre-vous, je vous recommande l’excellent article du New York Times The Humiliating Practice of Sex-Testing Female Athletes

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