Patiente qui comme Pénélope a fait un beau mariage

Quand on évoque la patience, un prénom vient naturellement en tête, celui de Pénélope qui a attendu vingt ans le retour de son illustre mari, Ulysse. Vingt ans ! En voilà un modèle de fidélité et de patience. Il était donc grand temps de lui rendre hommage. 

Avant d’être la femme d’Ulysse, Pénélope est la fille chérie de son père Icarios, frère du légendaire roi de Sparte Tyndare. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci n’est pas pressé de marier sa fille. Mais comme il le faut, il organise une redoutable course de char pour départager les prétendants. Tout droit venu d’Ithaque, c’est l’habile Ulysse qui remporte la course et le coeur de la jeune fille. Un coup dur pour le pauvre papa qui tente de convaincre Ulysse de rester à Sparte, en vain car, on le sait, Ulysse est toujours heureux de rentrer chez lui après un long voyage. Une fois en route vers la mer Ionienne, Ulysse et Pénélope entendent des gémissement. C’est encore ce vieil Icarios qui suit le char des nouveaux époux en se lamentant. Pour Ulysse, la farce a assez duré :  il demande à Pénélope de choisir une fois pour toute entre lui et son père. Ce qu’elle fait, délicatement, en se couvrant la tête d’un voile, signant ainsi son allégeance à son mari. 

Kirk Douglas et Silvana Mangano dans Ulysse de Mario Camerini en 1954

Arrivés à Ithaque, Ulysse et Pénélope ont un fils, Télémaque. Et c’est pour ne pas quitter son nouveau né qu’Ulysse simule la folie afin de ne pas être envoyé combattre à Troie. Mais sa ruse est dévoilée et le héros n’a d’autre choix que de quitter femme et enfant pour rejoindre les rangs des Achéens. Son fils, il n’est pas prêt de le revoir car une fois à Troie, le siège s’éternise et il lui faudra dix ans pour qu’il mette au point l’idée du fameux cheval qui fera basculer le cours de l’Histoire. Aux dix ans de siège, il faut ajouter les dix ans d’errance avant son retour à Ithaque : notre héros a en effet eu la mauvaise idée d’aveugler le cyclope Polyphème, fils de Poséidon qui lui garde une rancune tenace et le fait s’égarer en mer une décennie entière. 

Mais pendant tout ce temps, que fait Pénélope ? 

Dans le palais d’Ithaque, elle s’occupe de son fils, Télémaque entourée de ses servantes. Pendant les dix premières années de son interminable attente, Pénélope est laissée plutôt tranquille. Mais dès la guerre finie, Ulysse tardant à revenir, la Grèce bruisse de la mort du héros et comme dix ans auparavant, nombreux sont ceux qui rêvent d’épouser la sublime Pénélope. Tous les quatre matins, notre fidèle épouse doit repousser les sollicitations et refuser de croire les mauvais augures qui annoncent la mort d’Ulysse.

Pénélope et les prétendants, de John William Waterhouse (1912)

Mais si la patience de Pénélope semble est sans limite, ce n’est pas le cas de celle de ses prétendants, toujours plus nombreux ! Alors que près de vingt ans se sont écoulés, c’est cent quatorze prétendants qui s’amassent dans le palais. Et la main de la belle Pénélope n’est pas la seule raison de la venue par centaines de ces grossiers personnages : en l’absence d’Ulysse, ils festoient toutes les nuits, pillant les ressources du palais. 

Plus le temps passe, plus la pression augmente autour de la reine, sommée de choisir un nouvel époux. C’est alors qu’elle met au point la fameuse ruse : elle annonce qu’elle choisira un mari une fois le linceul qu’elle tisse pour Laërte, son beau-père, achevé. Mais chaque nuit, Pénélope défait l’ouvrage de la journée*, repoussant indéfiniment l’heure du choix. L’astuce aurait pu fonctionner si l’une de ses servante ne l’avait pas trahie ! Décidément bien seule, Pénélope doit imaginer un nouveau stratagème. Cette fois, elle annonce qu’elle épousera celui qui saura bander l’arc d’Ulysse, persuadée que seul son véritable mari en est capable. Or, entre temps, voici Ulysse (enfin !) de retour. Il se glisse parmi la foule de prétendants déguisé en mendiants. 

Après que tous les princes grecs se sont, un par un, cassé les dents sur l’impossible arc, Ulysse, toujours déguisé, suggère de s’y essayer… Pénélope, l’y autorise mais à cet instant, Télémaque, au courant de la supercherie, demande à sa mère de se retirer dans ses appartements pour qu’elle n’assiste pas au massacre qui arrive. Aidé de son fils et d’Athéna, Ulysse tue alors tous les prétendants. Et il ne s’arrête pas là. Ivre de colère, il fait aussi descendre toutes les servantes qu’il accuse d’avoir pactisé avec les prétendants et les tue elles aussi. Toutes, sauf Euryclée, sa vieille nourrice qui lui est restée fidèle. Le palais débarrassé de ses intrus, Ulysse fait appeler Pénélope…

Bague en or représentant Pénélope trouvée en Syrie datant du Vème siècle. Elle y est mélancolique, la main portée au visage. Cette iconographie de Pénélope est largement diffusée et c’est dans cette posture qu’elle est le plus souvent montrée.  

Les grandes retrouvailles semblent enfin s’annoncer, pourtant Pénélope reste sur ses gardes. Après vingts années d’éloignement, elle peine à reconnaître son mari. Pour en avoir le coeur net, elle met au point un (énième !) stratagème : elle feint de demander à Euryclée de sortir leur lit conjugal de la chambre pour le garnir de “peau de chèvres, de couvertures de laine et de riches tapis“. Or ce lit, construit par Ulysse lui-même, n’est pas transportable. Le rusé Ulysse a trouvé plus rusé que lui puisqu’il tombe dans le piège et fait à sa femme cette réponse : 

« Pénélope, tu viens de prononcer une parole qui m’a déchiré le cœur ! Qui donc a déplacé cette couche ? L’homme le plus habile et le plus fort n’aurait pu en venir à bout.[…] c’est moi seul qui l’ai construite, et nul autre n’y a mis la main. — Dans l’enceinte de la cour s’élevait jadis un superbe et. vigoureux olivier à l’épais feuillage, dont le tronc était aussi gros qu’une colonne. Autour de cet olivier je bâtis la chambre nuptiale avec des pierres étroitement unies ; […] Je coupai ensuite le sommet de l’olivier, […] et j’en formai le pied de ma couche, que je façonnai avec le plus grand soin, et que j’enrichis d’or, d’argent et d’ivoire»**

Copie romaine en marbre blanc se trouvant actuellement au musée du Vatican d’un original grec datant d’environ 460 av. J.-C. 

Désormais rassurée sur l’identité de son époux, Pénélope se jette enfin dans les bras de son mari ! Un lit comme symbole de leur amour, un lit pour se retrouver, dans le souvenir avant de se retrouver charnellement. Et pas n’importe quel lit : un lit creusé directement dans le tronc d’un olivier. C’est vous dire si la symbolique me plait !

Jean-Pierre Vernant nous offre une analyse de ce passage de l’Odyssée passionnante : quand Ulysse rentre à Ithaque, déguisé, il retrouve peu à peu son identité en redevenant le père de Télémaque, en retrouvant ses serviteurs ou en faisant preuve de son habileté. Seule Pénélope refuse dans un premier temps de le reconnaître. Car pour Pénélope, Ulysse n’est pas un mari, un père ou un roi, c’est à dire une fonction, pour elle, Ulysse est une individualité, celui qui partage avec elle un passé, des souvenirs, un lit. Cette relation est une anomalie dans l’histoire du roman grec estime Vernant. Est-ce la clé de la patience de Pénélope ? Irremplaçable pour son père Icarios, elle possède la capacité de reconnaître la singularité d’un amour. Pour Pénélope, un seul être lui manque, et tout est dépeuplé ! 

* Méthode employée par une autre Pénélope à l’Assemblée Nationale, l’empêchant de justifier ses heures de travail ?
** Odyssée, chant XXIII

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