Le jour le plus long

Après un an de cache-cache avec le covid, me voilà rattrapée, obligée de me quarantiner dix jours en ce début de mois. Peu de symptômes hormis cette impression étrange d’être enfermée dans un jour sans fin, sans même l’échappatoire de faire quelques courses ou de descendre les poubelles. Comme je déteste gâcher, la nourriture comme les heures, j’ai décidé de supprimer ces dix jours de ma vie et de reprendre mon existence au 10 avril là où je l’avais laissée le 1er, en commençant par faire quelques poissons d’avril autour de moi.
Cela m’amène à une autre incongruité temporelle, fort d’actualité d’ailleurs : celle concernant la date de Pâques. Si les catholiques l’ont célébré le 4 avril dernier, les orthodoxes devront, eux, attendre le 2 mai prochain. Situé parfaitement entre ces deux Pâques, ce dimanche 18 avril semble le moment idéal pour discuter de la question !
Avant de commencer, laissez moi tester vos connaissances en failles temporelles d’hier et d’aujourd’hui :
1. Pourquoi le Nouvel An a-t-il lieu le 1er janvier et pas le 25 décembre ?

A. Il s’agit de la date de la circoncision de Jésus, huit jours après sa naissance.
B. Jules César, en 46 avant JC, décide de commencer l’année le 1er janvier. Le mois de Janus est idéal puisque c’est celui du dieu aux deux visages : l’un est tourné vers le passé, l’autre vers le futur.
C. La semaine qui sépare Noël du Nouvel An fut sacrée « semaine de l’oubli » par Jésus trop occupé d’engloutir des Ferrero Rocher devant un video-gag spécial fêtes de fin d’année.
2. Pourquoi passe-t-on à l’heure d’hiver le dernier dimanche d’octobre ?

A. Cela permettrait de faire des économies d’énergie (mais ce n’est toujours pas certain).
B. Parce que passer la journée dans le noir complet au mois de novembre, cela développe notre empathie pour les inuits et autres peuples du grand Nord.
C. Il s’agit d’un canular proposé par Benjamin Franklin en avril 1784 pris au premier degré
3. Brad Pitt, né le 18 décembre 1963 est plus vieux que Jean Castex, né le 25 juin 1965. Une explication ?

A. Brad a réussi à gagner de nombreux jours sur la vie en faisant des tours du monde en sens inverse dans son jet privé. Malin !
B. André, agent administratif de la préfecture de Vaucluse en charge de refaire le passeport de Monsieur Jean CASTEX, a fait une faute de frappe et a inscrit ‘1965’ au lieu de ‘1945’ sur le document d’identité flambant neuf de Jean.
C. La génétique est injuste, il faut l’accepter
4. Pourquoi les orthodoxes fêtent Pâques après les catholiques ?

A. En Russie, il fait froid, et le chocolat, c’est moins bon quand c’est gelé.
B. Parce que les Églises d’Orient préfèrent ne pas être d’accord avec le soleil plutôt que de l’être avec la cour de Rome.
C. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Jésus et ses successeurs avaient la pensée complexe, voyez-vous.
Réponses : 1.B 2.A et B 3.C 4.B
Pour l’explication détaillée de la question 4, accrochez-vous !
Pâques commémore la résurrection du Christ. Jusqu’ici je ne vous apprends rien. Elle a lieu quelques jours après la Pâque juive, Pessa’h que Jésus célébrait avec douze de ses amis lors de la fameuse Cène un jeudi soir. La suite, vous la connaissez : le vendredi, Jésus est crucifié, le dimanche, il ressuscite. La date de Pâques est donc liée à celle de la Pâque (sans s), juive célébrant, elle, la sortie d’Égypte du peuple hébreu. Le calendrier hébraïque étant un calendrier lunaire, Pessa’h est toujours célébrée le 15 du mois de Nissan (qui tombe généralement entre nos mois d’avril et de mai), c’est à dire le jour de la première pleine lune de l’équinoxe du printemps.
C’est à ce moment-là que tout se complique !

En 325, l’empereur romain Constantin décide de préciser la date de Pâques et la fixe au « dimanche qui suit le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après ». Avec cette affirmation, Constantin fait donc tomber l’équinoxe du printemps invariablement au 21 mars. Or, le calendrier de l’époque, le calendrier Julien, ordonné par Jules César comme son nom l’indique, comprend une erreur. Notre bon Jules avait calculé que la terre mettait 365,25 jours pour faire un tour complet autour du soleil alors qu’elle ne met que 365,2422*. Soit un décalage de 3 jours tous les 400 ans entre la réalité astronomique et le calendrier. À ce rythme là, comme le dit Bernard dans les Bronzés font du ski : « l’année prochaine, on skie au mois de juillet ».


Pour remédier à ce décalage qui avait trop duré, le pape Grégoire XIII en 1582, propose pendant le concile de Trente une réforme du calendrier : il supprime certaines années bissextiles et pour rattraper tout le retard accumulé, le 4 octobre 1582 est suivi du… 15 octobre, dix jours qui n’ont jamais existé. La France, l’Espagne et l’Italie ainsi que la plupart des pays de la chrétienté suivent la décision du pape mais les pays protestants et orthodoxes européens ne comptent pas se plier à une décision de Rome, aussi valide soit-elle d’un point de vue mathématique. C’est pour cette raison que l’on dit que les « Églises d’Orient préfèrent ne pas être d’accord avec le soleil plutôt que de l’être avec la cour de Rome ». Si la plupart des pays ont petit à petit adopté ce nouveau calendrier, l’Église orthodoxe, elle, s’y est toujours refusée ! Cette rébellion explique pourquoi les dates de Pâques chez les catholiques et chez les orthodoxes diffèrent.
* Rendons à César ce qui est à César : cette erreur de calcul ne doit pas occulter son génie. C’est lui qui, le premier, comprend qu’il est plus judicieux d’indexer le calendrier sur le soleil plutôt que sur la lune. Il décide donc d’abandonner le calendrier lunaire romain en 46 avant JC au profit du calendrier Julien. Pour se réaligner, l’année 46 avant JC dura donc… 445 jours au lieu de 365 et fut appelée, à juste titre il me semble, l’année de la confusion.