Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 10
Première partie

Alors que je m’intéresse le plus souvent à l’île la plus méridionale de Grèce, la Crète, c’est une autre île qui aura toute notre attention aujourd’hui : Lesbos.
Bientôt, vous saurez tout de l’implication de Lesbos dans la Guerre de Troie puis nous ferons un sacré bond temporel pour terminer avec son actualité.
Commençons par une petite mise à jour géographique avec quelques lieux essentiels :




Penthésilée l’amazone

C’est dans l’Iliade que l’île apparait pour la première fois dans les récits mythologiques*. Située juste au Sud de la puissante Troie en Asie Mineure, Lesbos abrite Penthésilée (Πενθεσιλεια), fille d’Arès et d’Otrèré, première reine des Amazones.



Guerrière redoutable, inventeure de la hache de guerre, elle décide de participer à la Guerre de Troie à la mort d’Hector pour venir en aide au roi Priam. Elle se bat aux côtés des Grecs lors de nombreuses batailles mais après une lutte épique qui deviendra un sujet classique de l’art Antique, Achille la blesse mortellement au sein droit. Arrive la séquence émotion de notre récit : Alors qu’il vient d’achever sa fière adversaire, il tombe amoureux d’elle, dévoilant l’autre facette de la personnalité complexe du héros : celle non plus d’un guerrier en colère mais d’un homme sensible. Je laisse le poète Théodore de Banville vous raconter la scène :
Quand son âme se fut tristement exhalée
Par la blessure ouverte, et quand Penthésilée,
Une dernière fois se tournant vers les cieux,
Eut fermé pour jamais ses yeux audacieux,
Des guerriers, soutenant son front pâle et tranquille,
L’apportèrent alors sous les tentes d’Achille.
On détacha son casque au panache mouvant
Qui tout à l’heure encor frissonnait sous le vent,
Et puis on dénoua la cuirasse et l’armure,
Et, comme on voit le cœur d’une grenade mûre,
La blessure apparut, dans la blanche pâleur
De son sein délicat et fier comme une fleur.
La haine et la fureur crispaient encor sa bouche,
Et sur ses bras hardis, comme un fleuve farouche
Se précipite avec d’indomptables élans,
Tombaient ses noirs cheveux, hérissés et sanglants.
Le divin meurtrier regarda sa victime.
Et, tout à coup sentant dans son cœur magnanime
Une douleur amère, il admira longtemps
Cette guerrière morte aux beaux cheveux flottants
Dont nul époux n’avait mérité les caresses,
Et sa beauté pareille à celle des Déesses.
Puis il pleura. Longtemps, au bruit de ses sanglots,
Ses larmes de ses yeux brûlants en larges flots
Ruisselèrent, et, comme un lys pur qui frissonne,
Il baignait de ses pleurs le front de l’amazone.
Tous ceux qui sur leurs nefs, jeunes et pleins de jours,
Pour abattre Ilios environné de tours
L’avaient accompagné, fendant la mer stérile,
Frémissaient dans leurs cœurs, à voir pleurer Achille.
Mais seul Thersite, louche et boiteux et tortu
Et chauve, et n’ayant plus sur son crâne pointu
Que des cheveux épars comme des herbes folles,
Outragea le héros par ces dures paroles :
Cette femme a tué les meilleurs de nos chefs,
Dit-il, puis les ayant chassés jusqu’à leurs nefs,
Envoya chez Aidès, les perçant de ses flèches,
Des Achéens nombreux comme des feuilles sèches
Que le vent enveloppe en son tourbillon fou ;
Toi cependant, chacun le voit, cœur lâche et mou,
Qui te plains et gémis comme le cerf qui brame,
Tu pleures cette femme avec des pleurs de femme !
À ces mots, regardant le railleur insensé,
Achille s’éveilla, comme un lion blessé
Sur le sable sanglant qu’un vent brûlant balaie,
Dont un insecte affreux vient tourmenter la plaie,
Et, voyant près de lui ce bouffon sans vertu,
Il le frappa du poing sur son crâne pointu.
Thersite expira. Car le poing fermé d’Achille
Avait fait cent morceaux de son crâne débile,
De même que l’argile informe cuite au four
Est fracassée avec un grand bruit à l’entour,
Alors que le potier, justement pris de rage
Et fâché d’avoir mal réussi son ouvrage,
En se ruant dessus brise un vase tout neuf.
Il tomba lourdement, assommé comme un bœuf,
Et, regardant encor la guerrière sans armes,
Achille aux pieds légers versait toujours des larmes.



Le plus grand retournement scénaristique depuis Usual Suspect


Octobre 2016 : Les habitant.e.s de Lesbos auront-ils le prix Nobel de la paix ?
Janvier 2020 : Lesbos est-elle la honte de l’Europe ?

L’arrivée massive de migrant.e.s Afghans, Syriens et Irakiens venu.e.s chercher l’asile en Union Européenne depuis 2015 a radicalement transformée l’île qui se situe à moins de 15 kilomètres des côtes turques. L’UE avec la complicité du gouvernement grec a cherché, et a réussi à trouver, les limites de la générosité.
Tout avait pourtant bien commencé. En novembre 2015, un groupe d’universitaires lance même une pétition signée par près de 700 000 personnes pour que les habitant.e.s de l’île reçoivent le prix Nobel de la paix. Sauvetages de bateaux par les pêcheurs, distribution de nourriture, hébergement dans les familles… les initiatives sont nombreuses et la solidarité est belle. Seulement, avec jusqu’à 10 000 arrivées par jour et pris dans un tourbillon sans fin d’arrivées et de retours (car certains migrant.e.s ayant réussis à rejoindre Athènes sont renvoyé.e.s à Lesbos), les locaux voient la situation leur échapper. Le désespoir s’installe alors que l’UE reste silencieuse.



«Θέλουμε πίσω τα νησιά μας, θέλουμε πίσω τη ζωή μας» (Nous voulons retrouver notre île, nous voulons retrouver nos vies) ont crié les habitant.e.s de Lesbos à Mytilène fin janvier 2020. Ce cri de colère qui sent fort le repli identitaire est difficile à entendre. Plus encore, les attaques des migrants « briseurs de quarantaines » ou d’ONG par des locaux aux idées fascisantes sont les signaux gravissimes d’une situation intenable. Actuellement, plus de 18 000 migrants sont entassés dans le camp de Moria, conçu pour accueillir 3 000 personnes. Entre 2015 et 2018, le tourisme, principale source de revenus de l’île a diminué de 75%. Aujourd’hui, la population locale, qui craint que la sur-population du camp de Moria, encourage la propagation du virus, se sent plus isolée que jamais. Il n’y a désormais plus que des victimes sur cette île au passé illustre et aux multiples savoir-faire*.
Un peu d’espoir pour finir ? L’Allemagne et le Luxembourg ont commencé à accueillir de (tout) petits groupes de migrant.e.s isolés dans les îles grecques, principalement des enfants. Dix des 27 pays de l’UE ont promis leur aide. Le 25 avril, 11 000 migrants « vulnérables » ont été transférés des camps se situant dans les îles grecques vers le continent afin de limiter le risque sanitaire.
*l’ouzo de la ville de Plomari est très réputé ainsi que son huile d’olive.