À la recherche du site perdu

Peu de lectures d’enfance ont eu pour moi plus d’importance que les romans d’aventure de Jules Verne. Voyage au centre de la TerreLe Tour du monde en quatre-vingts jours et surtout mon préféré Vingt Mille Lieues sous les mers. C’est à travers les aventures du capitaine Nemo que je découvre pour la première fois le mythe de l’Atlantide. Ce continent perdu me fascine. Quelques années plus tard, en voyage à Rhodes avec ma famille, on me raconte qu’il y avait ici un colosse immense. Il faisait parti des sept merveilles du monde, me dit-on. Ces merveilles, je me les suis longtemps récitées, dans l’ordre, dans ma tête. La pyramide de Khéops, les jardins suspendus de Babylone… à part la pyramide, toutes ou presque étaient soit détruites, soit disparues. Chacune évoquaient pour moi un univers fantastique, mais aucune n’était plus intrigantes que celles dont on ne connait l’existence que grâce à des récits. En me promenant à Rhodes, je m’interrogeais. Comment un géant de pierre peut-il disparaitre ? Et surtout, comment être sûre qu’il a bien existé ? C’est justement une de ces histoires entre le rêve et la réalité que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une cité perdue puis retrouvée, Olympie. 

Les derniers Jeux se déroulent en 393 après JC mais leur légende reste elle bien vivante tout au long des siècles grâce aux récits des auteurs antiques tels qu’Hérodote, Pindare, Pausanias ou Pline l’ancien. Pour le site qui les accueillait, c’est en revanche une autre histoire. Ce n’est qu’en 1766 qu’il est “redécouvert” par l’archéologue britannique Richard Chandler, soit 1373 ans après les derniers Jeux et leur funeste interdiction par l’empereur Théodose Ier. 

Entre temps ? Comme je sais qu’une belle gravure vaut mieux qu’un long discours, je vous laisse admirer :

 La vallée d’Olympie avant les fouilles archéologiques, Julius Springer, 1886

Difficile d’imaginer que ce lieu qui fut au coeur de la civilisation grecque antique, ait été comme effacé de la surface du globe. Pourtant, pendant près de 14 siècles, Olympie est introuvable, comme disparue. 
 Comment est-ce possible de cacher ce Zeus gigantesque d’or et d’ivoire qui est, lui aussi, l’une des sept merveilles antiques ? Le temple d’Héra ? Celui de Zeus ? Le stade et toutes les installations sportives ? 
Contrairement au colosse de Rhodes, plusieurs pistes d’explications existent. Après les derniers Jeux, en 393 après JC, Olympie est rapidement abandonnée. Mais ce sont deux séismes en 522 et en 551 après JC qui expliqueraient sa destruction. Puis, la rivière voisine Kladeos aurait déposé des alluvions de plusieurs mètres qui auraient totalement enseveli le site. Une thèse alternative a été développée en 2011 par le géographe allemand Andreas Vött. Celui-ci affirme que des tsunamis, et non des tremblements de terre, auraient causés la destruction et l’enfouissement du site. 

Olympie avant les fouilles vue par Abel Blouet avec son Expédition de Morée, 1831

Au fil des siècles, la fascination des nations européennes pour l’Antiquité s’intensifie. Les textes des auteurs antiques, conservés grâce aux moines copistes pendant le Moyen-Âge, connaissent un regain d’intérêt pendant la Renaissance et depuis, l’ouest de l’Europe n’a eu de cesse de se réapproprier la civilisation greco-romaine. Que ce soit avec les Grands Tours, ces voyages initiatiques réalisés par les aristocrates français, britanniques, allemands, néerlandais ou scandinaves en Italie ou en Grèce, ou à travers l’apprentissage du latin et grec ancien. En toute logique, l’archéologie se développe et devient même un enjeu de puissance entre les États européens concurrents au XIXème siècle.

C’est un moine bénédictin français qui, le premier, semble avoir émis l’idée de partir à la recherche du site perdu d’Olympie en 1723. Mais ce n’est qu’en 1766 donc que Richard Chandler identifie le site. En 1829, pendant la guerre d’indépendance grecque, l’institut de France propose qu’une expédition scientifique accompagne les troupes françaises venues aider les indépendantistes grecs. Sous le nom de « l’expédition de Morée », les archéologues français passent six semaines sur le site d’Olympie. Puis en 1873, l’Allemagne conclut avec le gouvernement grec un accord pour obtenir le monopole de la gestion archéologique d’Olympie. La concession du site leur est acquise pour dix ans et une première campagne de fouilles est lancée par l’École Archéologique Allemande. C’est à cette époque que la grande majorité du site est exhumée.

Travailleurs grecs et archéologues allemands sur le site d’Olympie en 1875

Soixante ans plus tard, l’Allemagne, toujours, s’empare du site dans un tout autre contexte historique.

Au pouvoir depuis trois ans, Hitler annonce qu’il souhaite relancer les fouilles sur le site d’Olympie à l’occasion des JO de 1936 que l’Allemagne s’apprête à accueillir. Son objectif est de démontrer la filiation entre les Grecs antiques et les proto-Germains, à l’origine, selon lui, de la fameuse race aryenne. L’expédition, bâclée d’un point de vue scientifique, s’évertue alors à obtenir des preuves de la thèse hitlérienne à grand renfort d’aberrations historiques et contre-vérités. L’architecte Hans Schlief, qui devait sa place dans l’expédition plus à son rang chez les SS qu’à ses connaissances en archéologie, prétend que Pélops, le fondateur mythique des Jeux Olympiques, était en réalité un héros nordique de race aryenne. L’universitaire allemand Langlotz affirme quant à lui en 1942 que l’analyse des casques trouvés à Olympie donne des informations sur la forme du crâne des Grecs, qui se rapprocheraient des idéaux aryens.

L’atelier de Phisidias, où aurait été réalisé la statue chryséléphantine de Zeus, considérée comme la troisième merveille du monde

Jusqu’en 1996, les archéologues allemands sont en charge des fouilles à Olympie et ce n’est que très récemment que des archéologues grecs prennent le relais. Avec beaucoup de succès puisqu’un taureau en bronze quasi intact de plus de 2 500 ans vient d’être découvert à côté du temple de Zeus.

Le taureau en bronze en question !

Prouve-le, si t’es une femme !

Vous connaissez l’arrêt Bosman ? [Allergiques au foot, passez directement au paragraphe suivant, vous avez suffisamment soufferts cet été]


En 1990, le belge Jean-Marc Bosman en fin de contrat avec le FC Liège demande son transfert à Dunkerque. Mais son club s’oppose à son départ laissant notre milieu de terrain sans club et sans un sou. Ni une ni deux, il attaque le FC Liège et ses avocats tentent une stratégie audacieuse : le Traité de Rome n’instaure-t-il pas la libre circulation des personnes ? Les clubs de foot ne seraient-ils pas des entreprises comme les autres, sommés de respecter les lois européennes ? Jean-Marc gagne son procès en 1995 sous les yeux ébahis des plus grands clubs qui comprennent alors l’aubaine apportée sur un plateau d’argent par ce petit joueur flamand de seconde division. Oubliée la limite de trois joueurs internationaux (tant qu’ils viennent de la communauté européenne) par équipe, vive la jurisprudence Bosman ! Le Real de Madrid notamment ne s’en prive pas et acquiert le portugais Luis Figo pour 61 millions d’euros en 2000 puis notre Zizou national pour 75 millions d’euros en 2001. Cette année là, le club madrilène gagne la Ligue des Champion avec sur la pelouse le soir de la finale cinq internationaux et seulement six espagnols.

Si je vous parle de l’arrêt Bosman c’est parce qu’il résonne étonnamment avec l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une sportive qui, sans le vouloir, a eu un impact immense sur la législation sportive.

Les cartes Panini de notre héroïne et de notre héros du jour. 

Cette sportive s’appelle Kallipáteira (Καλλιπάτειρα littéralement « celle dont le père est beau »), nous sommes au Vème siècle avant JC à Rhodes et c’est Pausanias qui nous en fait le récit dans sa Description de la Grèce

Kallipáteira est la fille de Diagoras, l’un des plus grands athlètes de l’Antiquité grâce à son triomphe aux JO de 646 avant JC au pugilat et ses multiples victoires aux Jeux isthmiques et aux Jeux néméens. Cette fille de boxeur se marie à un athlète, Callianax et ils donnent naissance, vous l’avez deviné, à un futur grand sportif, Pisidoras qui se spécialise, lui, dans la course à pied. Chez Kallipáteira, les JO sont une religion et elle peine à accepter la règlementation qui interdit aux femmes mariées de venir assister aux épreuves sous peine d’être précipitées du mont Typaion. Alors quand elle prend en main l’entrainement de son fils après la mort de son mari, il lui est impossible de le laisser partir seul à Olympie. Ces Jeux, elle les prépare depuis des années ! Sa décision est prise, elle se déguise en homme pour pouvoir entrer dans le stade et assister à sa prestation. Mais lorsque que le jeune Pisidoras remporte l’épreuve, ivre de joie, elle s’élance sur la piste pour le féliciter, perd sa toge, révélant à tous sa féminité.

Scandale à Olympie ! Seul le pédigrée de sa famille lui évite le mont Typaion. Pour prévenir toute autre tentative de ce genre*, la législation olympique impose par la suite aux maîtres de gymnastique, tout comme à leurs athlètes, d’être nus dans le stade. Cette obligation de nudité constitue le tout premier test de féminité. 

Diagoras porté en triomphe par ses fils par Auguste Vinchon peint en 1814. Il n’existe malheureusement aucune représentation connue de Kallipáteira alors je m’avance un peu et affirme que l’on peut l’apercevoir à droite, sous les traits de la la jeune femme qui cherche à placer une couronne de fleur sur la tête de son père. J’attends les retours des spécialistes d’histoire de l’art !

Depuis, la créativité des hommes pour tenir les femmes à l’écart du sport** semble sans limite.

Dès 1946, l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) exige des certificats médicaux attestant du sexe. Elle va plus loin en 1966 en imposant des consultations gynécologiques aux athlètes, consultations qui sont adoptées par le Comité International Olympique (CIO) et mises en place pour les JO de Mexico de 1968 dans un contexte de guerre froide où les sportives d’Union Soviétique sont suspectées d’être des hommes. Simultanément, ces deux institutions sportives se penchent sur le « Test de Barr », censé révéler la présence d’un deuxième chromosome X. Puis c’est au tour de la méthode SRY d’être testée par le CIO en 1992 qui vise à détecter un chromosome Y indésirable. Mais tous ces examens génétiques posent de nombreux problèmes bioéthiques qui embarrassent sacrément les officiels. Alors l’IAAF a une épiphanie : plus besoin de tests de féminité puisque les contrôles anti-dopages par prélèvement d’urine se font devant témoin visuel. On imagine aisément le malaise. Le CIO attend néanmoins les JO de Sydney en 2000 pour abandonner définitivement le test SRY. On se croyait enfin débarrassé quand le cas Caster Semenya arrive en 2009.

Cette athlète réalise 1:55.45 aux 800 mètres, soit le 5ème meilleur temps mondial, lors des championnats du monde d’athlétisme de Berlin et est immédiatement accusée d’être née « hermaphrodite », sans que ses accusateurs sachent vraiment ce que ce terme recoupe d’un point de vue médical. Est-ce sa musculature imposante ? Sa couleur de peau (les quatre autres femmes ayant fait mieux qu’elle aux 800 mètres sans être inquiétées étaient blanches) comme le dénoncent plusieurs hommes politiques sud-africains ? Toujours est-il que malgré la proposition de la coureuse de « baisser [son] pantalon pour que vous puissiez voir”, l’IAAF, jamais à court d’humiliations, requiert un contrôle hormonal, la privant de compétition dans l’intervalle. Il leur faudra près d’un an pour qu’ils reconnaissent que Caster est bien une femme et lui autoriser de reprendre le chemin du stade. En guise d’excuses, l’IAAF établit en 2011 un nouveau test de féminité basé sur les hormones : toute athlète ayant un taux d’hormones androgènes trop élevé est exclue bien que plusieurs scientifiques démontrent que dans le sport de haut niveau, les taux de testostérone se chevauchent chez les hommes et chez les femmes. Bref, je me serais bien passée de cet exposé qui manque autant de poésie que le CIO et l’IAAF semblent manquer d’humanité !

* « Pun intended » comme disent les britanniques; le jeu de mot était bien volontaire dirons-nous par ici.
** On remercie les travaux des chercheuses Anaïs Bohuon (Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?) et Vanessa Heggie ainsi que les étudiants des Mines Paritech pour leur chronologie interactive très bien réalisée. Sur le sujet, pour les anglophones d’entre-vous, je vous recommande l’excellent article du New York Times The Humiliating Practice of Sex-Testing Female Athletes

Joue-la comme Héra

Héra n’est pas ma déesse préférée. En fait, c’est même celle que j’aime le moins. Il faut dire qu’elle accumule les défauts : cruelle avec son fils Héphaïstos, injuste envers les victimes de son violeur de mari, vindicative pendant la guerre de Troie… Quand elle ne jette pas son nouveau né du mont Olympe car elle le trouve trop laid, elle persécute Io – déjà transformée en vache par Zeus pour la sauver du courroux de sa femme jalouse – en lui envoyant un taon dont la piqure rend fou. Quel que soit le mythe, elle s’illustre par son acharnement à ne s’attaquer qu’à des cibles faibles et vulnérables. 

Les Grec.que.s ne l’entendent pas de cette oreille puisque c’est en son honneur que sont organisés, à Olympie, des Jeux féminins. Et cette nouvelle me réjouit tant que je pourrais (presque) lui pardonner tous ces travers. 

Les Jeux Olympiques ne sont pas ouverts à tous, loin s’en faut. Il faut être Grec, citoyen, n’avoir jamais commis de crime et…. être de sexe masculin. Cela ne vous étonnera guère, les femmes étaient exclues des épreuves mais aussi du spectacle pour la plupart car seules les femmes vierges avaient le droit d’entrer dans le stade. Mais elles ne sont pas privées de sport pour autant ! Car les jeux Héreens, aussi appelés les Héraia, se tiennent tous les quatre ans à Olympie, deux semaines après les Jeux masculins. C’est Pausanias qui, une fois de plus, nous les décrit : ils se composent d’une seule épreuve, une course à pied, à laquelle les athlètes participent par catégorie d’âge. Les gagnantes reçoivent une couronne d’olivier et une partie de la vache sacrifiée à Héra. 

Le temple d’Hera à Olympie reconstitué par… le jeu vidéo Assasin’s Creed

Si l’imaginaire moderne veut que tout ce qui se passe dans un temps ancien est forcément synonyme d’obscurantisme, en ce qui concerne les droits des femmes, la Grèce antique a, à de nombreuses reprises, prouvée que les capacités athlétiques des femmes sont loin d’être méprisées. 

Commençons par les déesses. Athéna, armée de son égide, d’une lance et d’un casque, est la personnification de la stratégie militaire. Comme l’illustre son épithète le plus fameux, Athéna Nikè (Athéna Victorieuse), elle symbolise la puissance, à la guerre comme dans le sport. Arthémis, elle, incarne une autre forme d’athlétisme. Intrépide et sauvage, elle parcourt les forêts munie de son arc et ses flèches. Si l’homme a créé Dieu à son image (ou est-ce le contraire ?), les mythes antiques laissent entrevoir une vision de la femme bien moins domestique que ce que l’on pourrait supposer. 

La civilisation crétoise minoéenne nous donne un autre exemple des relations entre les femmes et le sport. Sur les céramiques et fresques du musée d’Heraklion, on remarque de nombreuses femmes, peintes avec la peau blanche contrairement aux hommes représentés avec la peau foncée, participant aux épreuves de tauromachie ou même de pugilat, comme sur la fresque ci-dessous. 

Sur cette fresque du palais de Knossos, on distingue deux femmes à la couleur blanche de leur peau. Elle ne se contentent pas d’observer la dangereuse épreuve mais prennent pleine part au saut du taureau. 

Et que dire de la puissante Sparte ! Lutte, course à pied, lancer de disque ou javelot, elle sont de toutes les épreuves comme le déplore Euripide dans Andromaque. Écoutons Pelée sermonnant Ménélas qui a eu, d’après lui, le malheur d’épouser une femme de Sparte, Hélène : 

Oui, tu croyais avoir une femme pleine de vertu chez toi, mais c’est en fait la pire de toutes ! D’ailleurs, même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent les mêmes pistes de course et les mêmes palestres que les garçons. Cela m’est insupportable ! 

L’historienne américaine Sarah B. Pomeroy a d’ailleurs démontré la fructueuse participation des femmes spartiates aux Héraia. La boucle est bouclée. 

Cette athlète en Grèce antique est une rare statuette en bronze du Vème siècle avant JC retrouvée à Sparte. On peut aujourd’hui l’admirer, en toute logique, au British Museum. 

C’est peu dire que quand Pierre de Coubertin, à l’origine des JO modernes, déclare en 1912 « Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter  : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine» il démontre son ignorance autant que sa misogynie.

Des Jeux et des Dieux

À l’instant où vous recevez cette lettre, 206 délégations internationales s’apprêtent à fouler la piste flambant neuve du stade olympique de Tokyo pour la cérémonie d’ouverture de la XXXIIème Olympiade. Et comme le veut la tradition, c’est la Grèce qui ouvre le défilé.

Et ce n’est que justice car ce pays entretient avec l’olympisme un lien très singulier.

Commençons par le commencement. Les premiers Jeux Olympiques ont lieu en 776 avant JC, il y a près de 3 000 ans. Leur origine est mystérieuse et, une fois de plus, l’histoire et les mythes se mélangent.

Un récit souvent évoqué est celui du héros Pélops, ancêtre des Atrides qui donna son nom au Péloponnèse. Amoureux de la princesse Hippodamie, il demande sa main à son père Oenomaos, roi d’Elide, à l’ouest du Péloponnèse actuel. Seulement, le souverain n’a nulle intention de laisser partir sa fille chérie si aisément. Dans l’espoir de contrarier toute velléité chez ses prétendants, il édicte une loi : seul celui qui pourra le battre lors d’une course de char aura le droit de prétendre au mariage. Gare aux perdants ! Ils seront décapités par Oenamos lui-même. Mais notre héros-amoureux ne se dérobe pas et accepte le défi. Courageux mais pas téméraire, Pélops se rapproche d’abord de Myrtilos, l’écuyer d’Oenamos et le convainc de l’aider. Celui-ci accepte, négociant au passage la moitié du royaume et une nuit avec Hippodamie* et change une pièce du char du roi par de la cire. Au premier tour de piste, celle-ci fond et le roi se retrouve traîné par ses chevaux avant de mourir sous les yeux horrifiés de sa fille. Pour se faire pardonner de sa trahison, Pélops institue alors les Jeux Olympiques. L’histoire ne dit pas si Hippodamie fut touchée par ce geste mais on se permet d’en douter.

Pélops et Hippodamie, Ier siècle après JC

Pindare, lui, attribue leur fondation à Héraclès : après avoir tué Augias qui lui refuse un salaire en échange d’avoir nettoyé ses fameuses écuries, notre demi-dieu aurait établi des jeux pour honorer son père, Zeus. Pausanias, enfin, évoque aussi un Héraclès, mais un homonyme du dieu superstar aux douze travaux : une divinité énigmatique du Mont Ida de Crète, qui serait venu à Olympie pour s’entrainer à la course avec ses frères.


Douze siècles de Jeux

Les Jeux eux-mêmes sont décrits par le menu par le géographe-voyageur du 2ème siècle après JC Pausanias dont les récits sont la source écrite principale des historiens. Dans les dix tomes de son oeuvre majeure sobrement intitulée Description de la Grèce, rédigée en 174 de notre ère, il témoigne de sa visite à Olympie, raconte les épreuves et l’histoire des Jeux.

Comme le montrent les travaux de l’historienne Monique Clavel-Lévêque, le point de vue de Pausanias permet de comprendre l’importance politique des Jeux dans le monde grec antique. Ce Grec d’Asie Mineure raconte en détail les origines géographiques des vainqueurs, l’importance de leur victoire quand ils rentrent dans leurs cités d’origine et insiste sur l’unité culturelle que forme ce monde grec, pourtant déjà en déclin alors qu’il rédige sa Description de la Grèce. Une unité forgée autour de valeurs communes « de domination de soi, d’intégration dans ce monde réglé, de différences et de violence maîtrisées »**.

Fantasme d’un nostalgique chauvin ou réalité historique ? La rhétorique de l’unité de l’identité grecque a souvent été débattue entre historiens et historiennes. Mais tous et toutes s’accordent pour affirmer que les Jeux étaient bien plus qu’un simple rassemblement sportif. Comme l’affirme Jean-Pierre Vernant, « quand les Grecs se rassemblent à Olympie, c’est indissolublement un spectacle, une fête, une grande foire où se rencontrent des cités différentes et un pèlerinage sacré ».

L’historien Paul Christesen, spécialiste de la Grèce antique dans la prestigieuse université de la « Ivy League » Dartmouth, étudie lui aussi les Jeux Olympiques comme marqueur fondamental de l’identité grecque. Ces jeux viennent, selon lui, combler un besoin d’unité créé par l’explosion géographique de la civilisation hellénique. Contrairement à la civilisation égyptienne, rassemblée aux bords du Nil, la Grèce est constituée de milliers de cités et territoires qui s’étendent de l’actuelle Marseille à l’Asie Mineure en passant par Carthage en Afrique du Nord. Traverser la Méditerranée et participer aux Jeux une fois tous les quatre ans semble donc être une façon d’affirmer son identité, de répondre à la question “Qu’est-ce qui fait que je suis Grec ? ».  De faire Nation en déclarant haut et fort ce qui les rassemble : des Dieux et Déesses, des mythes, une langue, le grec, ainsi que des des valeurs communes. 

Parmi ces valeurs, la vertu et le courage semblent régner. Et si vous aviez manqué le mémo, vous étiez vite rappelé à l’ordre en arrivant à Olympie. Avant d’entrer dans le stade, pas d’autre choix que de passer devant les Zanes, ces statues de bronze à l’effigie de Zeus sur lesquelles étaient inscrits les noms des tricheurs des précédentes éditions ainsi que la nature de leur forfait. Au programme : corruption mais aussi lâcheté car ne pas se présenter à une épreuve par peur de l’échec est tout aussi déshonorant que de pervertir un juge avec quelques amphores d’huile d’olive. Mieux encore, ce sont les fraudeurs eux-mêmes qui doivent payer la réalisation de la statue. Plutôt ironique pour un concours dont le mythe fondateur concerne justement une affaire de tricherie. 

Cette glorification des valeurs de l’olympisme, qui devient synonyme d’hellénisme, explique pourquoi de nombreux athlètes deviennent des figures politiques éminentes de leurs cités quand ils rentrent vainqueurs des Jeux. Toutes les cités et provinces de Grèce respectent l’institution olympique au point qu’une trêve est vite instaurée en amont et en aval des Jeux permettant aux athlètes de traverser tout le monde grec sans être inquiétés.

Et pour comprendre l’importance qu’ont pu avoir les Jeux Olympiques antiques, il suffit de s’arrêter sur la chronologie. Les Jeux sont interdits en 394 par l’empereur romain Théodose Ier, converti au christianisme. Il y a donc près de deux douze siècles qui séparent leur fin de leur création. Pour vous donner un élément de comparaison, si nous voulons faire au moins aussi bien avec nos JO modernes, il faudrait qu’ils soient maintenus jusqu’en… 3 066 ! 

Aujourd’hui encore, l’identité grecque s’émancipe totalement de la notion de territoire. Le droit du sang par exemple permet à quiconque de demander la nationalité tant qu’il ou elle peut justifier que ses parents ou grands-parents étaient grecs. Peu importe d’ailleurs si ses ancêtres n’ont jamais mis un pied en Grèce ! Cette particularité s’exprime aussi fortement quand il s’agit de la diaspora. Il ne serait pas surprenant, dans les rues d’Athènes, d’entendre parler avec fierté du “Grec d’Amérique” Pete Sampras ou de Maria Callas bien qu’aucun des deux ne soient nées en Grèce. On a pu voir un exemple amusant de cette filiation nationale sans limite avec l’athlète Alexis Pappas qui participa aux Jeux de Rio en 2016 avec la délégation grecque malgré le fait d’être née en Californie d’une mère américaine et d’un père né aux États-Unis. Il faut remonter à son grand-père paternel pour retrouver un lien avec la Grèce. Mais qu’importe, elle s’appelle Pappas et elle a explosé le record national du 10 000 mètres. Ça vaut bien un passeport, non ?

* Mal lui en coûta, Pélops peu partageur le tue immédiatement après sa victoire, lui laissant tout de même le temps de maudire toute sa lignée. 
** Pausanias et la mémoire olympique de Monique Clavel-Lévêque et Marie-Madeleine Mactoux