Le plus beau métier du monde

Éternel second rôle, dans les mythes, Hermès est toujours là sans jamais l’être vraiment. Bon et mauvais à la fois, si ce petit malin se contente souvent de faire passer les messages de Zeus, il est aussi le dieu marchand, patron des commerçants. Et c’est bien sûr cet aspect du personnage que nous allons étudier aujourd’hui !

S’il y a une chose à savoir sur Hermès, c’est que la sobriété c’est pas vraiment son truc. À peine né, il annonce la couleur à sa mère : vivre reclus à ses côté dans le dénuement, très peu pour lui. Ce qu’il veut c’est la richesse et l’abondance. Et pour ça, il a un plan : devenir le prince des voleurs, la plus belle de toutes les carrières à ses yeux. 

Vous pensiez que je m’efforcerais ici de redonner ses lettres de noblesses au beau métier de commerçant ? Dommage, même dans la mythologie, commerçants et voleurs sont deux faces d’une même pièce. 

Hermès et son caducée, adaptation romaine du doryphore de Polyclète que l’on peut admirer au Louvre.

Plus précisément, Hermès est le dieu de l’aubaine.

Laissez moi vous donner un exemple : par un beau matin d’été, 100 euros (ou drachmes) tombent de la poche d’une personne. Une deuxième passe quelques minutes après et ramasse les 100 euros. Vous en conviendrez, cette histoire peut être triste ou joyeuse selon que l’on se place du point de vue de la première ou de la deuxième personne. Or les grecs (qui n’exigent pas une grande moralité de leurs divinités) ont trouvé logique d’imputer ces deux facettes à un seul et même dieu : Hermès. Oui, c’est un dieu voleur mais c’est aussi le dieu de l’aubaine. Et l’aubaine, ma p’tite dame, c’est la base du commerce. 

Hermès, c’est le genre à pouvoir vendre du poisson à Poséidon. Il a l’éloquence facile et s’en sert volontiers pour obtenir ce qu’il veut. L’exemple le plus flagrant de ce don pour la manipulation est raconté par Homère dans l’hymne qu’il lui consacre. 

À peine né, Hermès comprend que travailler, c’est trop dur, et que pour devenir riche et célèbre, il faudra plutôt emprunter un chemin de traverse. Chemin qui le mène rapidement jusqu’à Apollon, en pleine rêverie poétique sur une plaine de Béotie. Ni une ni deux, Hermès profite de son inattention pour lui voler tout son troupeau (50 boeufs tout de même). 

Mais bientôt Apollon s’en aperçoit et retrouve rapidement son demi-frère. Prêt à en découdre, Apollon le menace de diverses façons pour récupérer son bétail. Mais Hermès est bien trop malin pour utiliser la force ! Il sort une lyre créée de ses mains et se met à chanter. Le pauvre Apollon a le coeur sensible et ne peut résister à tant de poésie. Le vol est vite oublié, plus rien ne compte à présent que cet instrument aux sonorités si délicates. Hermès, désormais en position de force, accepte alors d’échanger sa lyre contre le troupeau et un fouet brillant. Mais ce n’est pas tout, en échange de sa promesse de ne plus rien lui dérober dans le futur, il reçoit aussi une baguette de félicité et de richesse, qui deviendra le fameux caducée. 

En langage homérique, il s’agit d’une ruse. En langage courant, on appelle ça une arnaque. 

Le saint des seins

J’ai eu quelques fois l’occasion d’aborder le sujet de la maternité dans cette lettre : 

  • Ici, nous faisions un tour d’horizon des maternités, souvent contrariées, de nos déesses 
  • , je vous racontais l’accouchement de Leto à Délos
  • Pendant le confinement, nous avons étudié le cas de Héra, déesse du mariage mais certainement pas de la maternité (malgré ce qu’on a essayé de nous faire croire)
  • Ou encore à travers la paternité très maternelle de Zeus

J’en conviens, ce « quelques fois » est un euphémisme : les liens complexes qui lient les mères à leurs rejetons dans la mythologie me passionnent. Et comme si j’avais besoin d’encouragements, une double actualité me force à me pencher, une fois de plus, sur le sujet !

  1. La fête des mères qui approche à grands pas (le dimanche 4 juin, vous avez un cadeau ?
  2. La sortie de deux livres qui m’ont beaucoup intéressés : Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique de Aurélie Damet et Allaiter de l’Antiquité à nos jours. Histoire et pratiques d’une culture en Europe de Véronique Dasen de Francesca Prescendi*. 

Alors c’est décidé, aujourd’hui, on parle de la mère dans sa fonction nourricière. Mais faites confiance à la mythologie pour apporter une vision, disons peu conventionnelle, de l’allaitement !

Détail d’une céramique grecque du IVème siècle avant JC.

Si on regarde de plus près, les mythes qui s’y intéressent impliquent en effet assez peu les mères elles-mêmes. Et quand elles le sont, c’est pour leur reprocher de ne pas avoir allaité leurs bébés.

C’est le cas tragique de Clytemnestre, qui, épuisée d’avoir donné le sein à ses trois premiers enfants, confie cette tâche à une nourrice pour son petit dernier, Orestre. Mauvaise idée ! Quand des années plus tard, ce même Orestre s’apprête à lui trancher la gorge pour venger son père, elle tente de l’amadouer avec un mensonge « Je t’ai nourri, je veux vieillir à tes côtés », mais Oreste ne se laisse pas avoir par le sein dénudé de sa mère et l’égorge sans frémir. 

Oreste massacrant Egisthe et Clytemnestre de Bernardino (1654)

En revanche, la mythologie foisonne d’histoires de nourrices, qu’elles soient mortelles comme Euryclée ; ou Ino, qui en donnant le sein à Dyonisos deviendra Leucothée divinité protectrice des marins ; ou même animales comme la chèvre Amalthée qu’on ne présente plus, ou la biche qui recueille Téléphe, fils d’Héraklès et de la mortelle Augé. 

Mais l’histoire d’allaitement la plus fameuse est celle d’Héraklès. Il s’agit du mythe étiologique de l’origine de la Voie lactée. 

Le récit commence avec une petit nourrisson laissé seul sur une plaine de Grèce. Ce chérubin en détresse a été abandonné par sa mère Alcmène espérant ainsi échapper à la colère d’Héra. Car Alcmène s’est unie bien malgré elle avec Zeus et de cette union est né le dieu qui volera bientôt la vedette à tous les autres avec ses muscles saillants : Héraklès, encore prénommé Alcide. 

Comme le hasard fait bien les choses, voilà qu’arrivent sur cette plaine Héra et Athéna**, en pleine promenade digestive. Étonnée par la beauté et la vigueur du nourrisson, Athéna encourage Héra à la prendre au sein. Celle-ci ignore qu’il s’agit du fils illégitime de son mari et s’exécute avec joie. Mais le petit Héraklès lui tête le sein de façon si vigoureuse qu’elle l’éloigne violemment d’elle. Un surplus de lait gicle alors dans le ciel : c’est la création de la Voie lactée. 

L’Origine de la Voie lactée de Rubens (1636)

Quel comble ! La mère, Alcmène, censée protéger son enfant, l’abandonne quand la marâtre, d’habitude si peu encline à pouponner, le nourrit.

Cet évènement n’est pas sans conséquence pour notre jeune dieu puisqu’il développe alors une relation privilégiée avec sa belle mère, jusqu’à prendre son nom (Héraklès signifie « à la gloire d’Héra »). Ces fameuses gouttes de lait sorties du sein de la déesse dessinent pour Héraklès la porte d’entrée de l’Olympe. Car par cet allaitement, Héraklès change de statut et devient un dieu olympien.

Quant à Alcmène, elle est emmenée par Zeus à la fin de sa vie sur les îles des Bienheureux, lieu délicieux des Enfers où les âmes vertueuses goûtent un repos bien mérité après leur mort. Enfin une fin heureuse pour une maman !

L’allégorie derrière votre olivier

Le rameau d’olivier d’Éiréné, déesse de la paix, l’olivier qu’Athéna fait jaillir du sol pour gagner le patronage de la ville d’Athènes, la couronne d’oliviers des jeunes mariés : l’olivier porte en lui de multiples allégories. Poursuivons ensemble ce jeu des symboles !

Éiréné / Εἰρήνη

L’allégorie que nous choisissons pour cet arbre-ci est justement Éiréné, la déesse de la paix. Dans l’Énéide, Virgile associe à plusieurs reprises son attribut, le rameau d’olivier, à la Paix. Mais c’est surtout l’Ancien testament, avec Noé, qui impose notre arbre fétiche définitivement comme le symbole de la paix partout en Occident.

Antéros / Ἀντέρως

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Antéros, le dieu de l’amour réciproque, ou de la haine et de l’aversion. Attention, Antéros est susceptible et punit également ceux qui se moquent de l’amour. Celui-là ne badine pas avec l’amour, vous l’avez compris. 

Gélos / Γέλως 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Gélos, l’esprit du rire. On trouve des traces de son culte à Sparte. 

Harmonie / Ἁρμονία 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Harmonie, déesse de l’ordre, de la symétrie et de la concorde. 

Thrasos / Θράσος 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Thrasos, l’esprit de l’audace. Thrasos possède deux visages : personnalisation du courage, il peut devenir arrogant quand il s’emporte. 

Eulabéia / Εὐλάβεια

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Eulabéia, l’esprit de la discrétion, de la prudence et de la circonspection. Dans l’évangile selon Saint Luc, on retrouve le terme “eulabe” (εὐλαβής) pour caractériser un homme pieux. 

Tyché / Τύχη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est  Tyché, la déesse de la chance, de la providence et du destin. Elle est représentée avec une balle qui rebondit de bas en haut, signe de l’insécurité de nos destins. 

Hédoné / Ἡδονή 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Hédoné, l’esprit du plaisir. L’union entre Psyché (l’Âme), et Éros (le Désir), ne pouvait qu’engendrer la plus sensuelle des déesses. 

Édos / Αἰδώς

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Édos, l’esprit de la décence, de la révérence et du respect. 

Pistis / Πίστις

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Pistis, l’esprit de la confiance, de l’honnêteté et de la bonne foi. Les Romains avec son équivalent Fides feront d’elle, plus tard, une divinité de premier ordre. 

Nomos / Νόμος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Nomos, l’esprit de la loi. Décrite par Hérodote, elle seule permet selon lui aux humains de vivre ensemble en harmonie. 

Hormé / Ὁρμή

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est  Hormé, l’esprit de l’élan, de l’enthousiasme, du fait de se mettre en mouvement et de commencer une action. Liée au culte d’Athéna, Hormé est associée aux artisans, à tous ceux qui travaillent avec leurs mains. 

Alètheia / Ἀλήθεια

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Alètheia, l’esprit de la vérité, de l’honnêteté et de la sincérité. Chouchoute des philosophes, elle apparaît dans les textes du Grec Parménide au Vème siècle avant JC puis chez… Heidegger au XXème siècle !

Technè / Τέχνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Technè, la personnification des arts et des compétences. Le terme techné devient chez Aristote l’action efficace qu’il oppose à la praxis, l’action qui permet de se perfectionner. 

Aergie / Ἀεργία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Aergie, l’esprit de l’oisiveté, de la paresse et de l’indolence. D’après l’auteur latin Hygin, elle garderait Hypnos, dieu du sommeil, dans le royaume souterrain des morts. A priori, ils devraient bien s’entendre. 

Euthénie / Εὐθενία

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euthénie, l’esprit de la prospérité, de l’abondance et de la profusion. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire). 

Elpis / Ἐλπίς

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Elpis, l’esprit de l’espérance et des attentes. Seul maux resté au fond de la boîte de Pandore, Elpis interroge notre compréhension de la notion d’espérance. Elle est cette attente ambigüe qui fait le sel de l’existence humaine !

Péitho / Πειθώ

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Péitho, l’esprit de la persuasion et de la séduction. Selon Hésiode, elle aide les Heures et les Charites à parer Pandore (celle de la fameuse boîte) de tous les attributs de la séduction. 

Philophrosyne / Φιλοφροσύνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Philophrosyne, l’esprit de la bienveillance, de la bonté et de la bienvenue. Malgré son nom pas très avenant, elle est l’une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Euthénie (la Prospérité), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire). 

Arété / Ἀρετή

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Arété, l’esprit de la vertu, de l’excellence, de la moralité et de la bravoure. Pour l’helléniste Werner Jaeger, l’arété représente pour les Grecs anciens l’adaptation parfaite, un idéal utile, qui s’ajuste, loin de nos acception modernes de la vertu. 

Ponos / Πόνος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Ponos, l’esprit du travail et du labeur. Fils d’Eris (la Discorde), selon Hésiode, il a entre autres pour soeurs Léthé (l’Oubli), Limos (la Famine), les Algos (la Douleur), les Phonoi (les Meurtres), ou encore les Pseudea (les Mensonges). On choisit pas sa famille…

Adéphagie / Ἀδηφαγία

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Adéphagie, l’esprit de la satiété et de la gloutonnerie. Le jargon médical français, très friand des étymologies grecques, lui a emprunté son nom pour définir une faim excessive. 

Morphée / Μορφεύς

Le Morphée de Houdon (1777)

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Morphée, le dieu des rêves, qui prend forme humaine. Dans l’Iliade, Zeus l’envoie auprès d’Agamemnon pour lui suggérer le rêve destructeur qui incite les Achéens à reprendre le combat. 

Sophrosyne / Σωφροσύνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Sophrosyne, l’esprit de la modération, de la maîtrise de soi, de la tempérance, de la retenue et de la discrétion. Elle a donné son nom à un tout petit crustacé tout aussi modeste qu’elle.  

Euphémé / Εὐφήμη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euphémé, l’esprit des mots de bon augure, de l’acclamation, de l’éloge, des applaudissements et des cris de triomphe. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euthénie (la Prospérité) et Eukléia (la Gloire). 

Kalos kagathos / Καλοκαγαθία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Kalos kagathos, l’esprit de la noblesse. Devenue une expression idiomatique exprimant l’idéal de corps et d’esprit, “kalos kagathos” est en quelques sortes l’ancêtre du fameux “mens sana in corpore sano” latin. 

Niké / Νίκη 

La Victoire de Samothrace représentant Niké

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Niké, la déesse de la victoire. C’est la forme de ses ailes qui inspirera à une célèbre marque de sport américaine son fameux logo

Caerus / Καιρός

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Caerus, l’esprit de l’opportunité. C’est le plus jeune des fils de Zeus, le petit chouchou en quelque sorte. 

Coros / Κόρος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Coros, l’esprit de l’excès. Il accompagne Dyonisos, le dieu de la vigne. On lui avait pourtant dit que boire en excès comporte des risques. 

Épiphron / Ἐπίφρων

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Épiphron, l’esprit de la prudence, de la perspicacité, de la prévenance et de la sagacité. Fils d’Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit), il a retenu la leçon de ses parents : dans l’obscurité, la prudence est de mise, sur la route comme dans la vie. 

Bia / Βία 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Bia, l’esprit de la force, de la puissance, de la force physique et de la compulsion. Avec le dieu Cratos, elle enchaîne Promethée au aux rochers du Caucase sur ordre de Zeus pour le punir d’avoir donné le feu aux humains. 

Écéchéirie / Ἐκεχειρία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Écéchéirie, l’esprit de l’armistice et de la fin des hostilités. Il est honoré aux Jeux Olympiques.

Patiente qui comme Pénélope a fait un beau mariage

Quand on évoque la patience, un prénom vient naturellement en tête, celui de Pénélope qui a attendu vingt ans le retour de son illustre mari, Ulysse. Vingt ans ! En voilà un modèle de fidélité et de patience. Il était donc grand temps de lui rendre hommage. 

Avant d’être la femme d’Ulysse, Pénélope est la fille chérie de son père Icarios, frère du légendaire roi de Sparte Tyndare. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci n’est pas pressé de marier sa fille. Mais comme il le faut, il organise une redoutable course de char pour départager les prétendants. Tout droit venu d’Ithaque, c’est l’habile Ulysse qui remporte la course et le coeur de la jeune fille. Un coup dur pour le pauvre papa qui tente de convaincre Ulysse de rester à Sparte, en vain car, on le sait, Ulysse est toujours heureux de rentrer chez lui après un long voyage. Une fois en route vers la mer Ionienne, Ulysse et Pénélope entendent des gémissement. C’est encore ce vieil Icarios qui suit le char des nouveaux époux en se lamentant. Pour Ulysse, la farce a assez duré :  il demande à Pénélope de choisir une fois pour toute entre lui et son père. Ce qu’elle fait, délicatement, en se couvrant la tête d’un voile, signant ainsi son allégeance à son mari. 

Kirk Douglas et Silvana Mangano dans Ulysse de Mario Camerini en 1954

Arrivés à Ithaque, Ulysse et Pénélope ont un fils, Télémaque. Et c’est pour ne pas quitter son nouveau né qu’Ulysse simule la folie afin de ne pas être envoyé combattre à Troie. Mais sa ruse est dévoilée et le héros n’a d’autre choix que de quitter femme et enfant pour rejoindre les rangs des Achéens. Son fils, il n’est pas prêt de le revoir car une fois à Troie, le siège s’éternise et il lui faudra dix ans pour qu’il mette au point l’idée du fameux cheval qui fera basculer le cours de l’Histoire. Aux dix ans de siège, il faut ajouter les dix ans d’errance avant son retour à Ithaque : notre héros a en effet eu la mauvaise idée d’aveugler le cyclope Polyphème, fils de Poséidon qui lui garde une rancune tenace et le fait s’égarer en mer une décennie entière. 

Mais pendant tout ce temps, que fait Pénélope ? 

Dans le palais d’Ithaque, elle s’occupe de son fils, Télémaque entourée de ses servantes. Pendant les dix premières années de son interminable attente, Pénélope est laissée plutôt tranquille. Mais dès la guerre finie, Ulysse tardant à revenir, la Grèce bruisse de la mort du héros et comme dix ans auparavant, nombreux sont ceux qui rêvent d’épouser la sublime Pénélope. Tous les quatre matins, notre fidèle épouse doit repousser les sollicitations et refuser de croire les mauvais augures qui annoncent la mort d’Ulysse.

Pénélope et les prétendants, de John William Waterhouse (1912)

Mais si la patience de Pénélope semble est sans limite, ce n’est pas le cas de celle de ses prétendants, toujours plus nombreux ! Alors que près de vingt ans se sont écoulés, c’est cent quatorze prétendants qui s’amassent dans le palais. Et la main de la belle Pénélope n’est pas la seule raison de la venue par centaines de ces grossiers personnages : en l’absence d’Ulysse, ils festoient toutes les nuits, pillant les ressources du palais. 

Plus le temps passe, plus la pression augmente autour de la reine, sommée de choisir un nouvel époux. C’est alors qu’elle met au point la fameuse ruse : elle annonce qu’elle choisira un mari une fois le linceul qu’elle tisse pour Laërte, son beau-père, achevé. Mais chaque nuit, Pénélope défait l’ouvrage de la journée*, repoussant indéfiniment l’heure du choix. L’astuce aurait pu fonctionner si l’une de ses servante ne l’avait pas trahie ! Décidément bien seule, Pénélope doit imaginer un nouveau stratagème. Cette fois, elle annonce qu’elle épousera celui qui saura bander l’arc d’Ulysse, persuadée que seul son véritable mari en est capable. Or, entre temps, voici Ulysse (enfin !) de retour. Il se glisse parmi la foule de prétendants déguisé en mendiants. 

Après que tous les princes grecs se sont, un par un, cassé les dents sur l’impossible arc, Ulysse, toujours déguisé, suggère de s’y essayer… Pénélope, l’y autorise mais à cet instant, Télémaque, au courant de la supercherie, demande à sa mère de se retirer dans ses appartements pour qu’elle n’assiste pas au massacre qui arrive. Aidé de son fils et d’Athéna, Ulysse tue alors tous les prétendants. Et il ne s’arrête pas là. Ivre de colère, il fait aussi descendre toutes les servantes qu’il accuse d’avoir pactisé avec les prétendants et les tue elles aussi. Toutes, sauf Euryclée, sa vieille nourrice qui lui est restée fidèle. Le palais débarrassé de ses intrus, Ulysse fait appeler Pénélope…

Bague en or représentant Pénélope trouvée en Syrie datant du Vème siècle. Elle y est mélancolique, la main portée au visage. Cette iconographie de Pénélope est largement diffusée et c’est dans cette posture qu’elle est le plus souvent montrée.  

Les grandes retrouvailles semblent enfin s’annoncer, pourtant Pénélope reste sur ses gardes. Après vingts années d’éloignement, elle peine à reconnaître son mari. Pour en avoir le coeur net, elle met au point un (énième !) stratagème : elle feint de demander à Euryclée de sortir leur lit conjugal de la chambre pour le garnir de “peau de chèvres, de couvertures de laine et de riches tapis“. Or ce lit, construit par Ulysse lui-même, n’est pas transportable. Le rusé Ulysse a trouvé plus rusé que lui puisqu’il tombe dans le piège et fait à sa femme cette réponse : 

« Pénélope, tu viens de prononcer une parole qui m’a déchiré le cœur ! Qui donc a déplacé cette couche ? L’homme le plus habile et le plus fort n’aurait pu en venir à bout.[…] c’est moi seul qui l’ai construite, et nul autre n’y a mis la main. — Dans l’enceinte de la cour s’élevait jadis un superbe et. vigoureux olivier à l’épais feuillage, dont le tronc était aussi gros qu’une colonne. Autour de cet olivier je bâtis la chambre nuptiale avec des pierres étroitement unies ; […] Je coupai ensuite le sommet de l’olivier, […] et j’en formai le pied de ma couche, que je façonnai avec le plus grand soin, et que j’enrichis d’or, d’argent et d’ivoire»**

Copie romaine en marbre blanc se trouvant actuellement au musée du Vatican d’un original grec datant d’environ 460 av. J.-C. 

Désormais rassurée sur l’identité de son époux, Pénélope se jette enfin dans les bras de son mari ! Un lit comme symbole de leur amour, un lit pour se retrouver, dans le souvenir avant de se retrouver charnellement. Et pas n’importe quel lit : un lit creusé directement dans le tronc d’un olivier. C’est vous dire si la symbolique me plait !

Jean-Pierre Vernant nous offre une analyse de ce passage de l’Odyssée passionnante : quand Ulysse rentre à Ithaque, déguisé, il retrouve peu à peu son identité en redevenant le père de Télémaque, en retrouvant ses serviteurs ou en faisant preuve de son habileté. Seule Pénélope refuse dans un premier temps de le reconnaître. Car pour Pénélope, Ulysse n’est pas un mari, un père ou un roi, c’est à dire une fonction, pour elle, Ulysse est une individualité, celui qui partage avec elle un passé, des souvenirs, un lit. Cette relation est une anomalie dans l’histoire du roman grec estime Vernant. Est-ce la clé de la patience de Pénélope ? Irremplaçable pour son père Icarios, elle possède la capacité de reconnaître la singularité d’un amour. Pour Pénélope, un seul être lui manque, et tout est dépeuplé ! 

* Méthode employée par une autre Pénélope à l’Assemblée Nationale, l’empêchant de justifier ses heures de travail ?
** Odyssée, chant XXIII

Petit mais costaud

Peut-on être immortel et vulnérable à la fois ? Autrement dit, les divinités de la mythologie ont-elle droit à la petite enfance, à ce premier âge, celui où la survie est entièrement entre les mains (ou les pattes, nous le verrons) de celles et ceux qui prennent soin de nous ?

Ce paradoxe, les mythes peinent à le contourner quand ils nous font le récit des origines de nos dieux et déesses favorites. Mieux encore, ils semblent se contredire sans que cela ne pose problème à qui que ce soit ! Tandis qu’Athéna nait toute grandie, armée jusqu’aux dents et en pleine possession de ses facultés divines, d’autres, comme son père Zeus, passent d’abord par la case nourrisson.

Laissez-moi rafraîchir votre mémoire et revenons justement sur la naissance de Zeus.

Son père Cronos redoutant de subir le sort qu’il a lui-même infligé à son paternel Ouranos, celui-ci préfère ne prendre aucun risque et avale donc chaque bébé qui naît de son union avec Rhéa. Enceinte de son petit dernier et lassée de voir ses enfants un par un gobés par son terrible mari, Rhéa met en place une supercherie : alors qu’elle vient de mettre au monde le petit Zeus, elle attend la nuit sombre pour le présenter à Cronos. Elle sait que son Titan de mari à l’intention de n’en faire qu’une bouchée alors elle remplace le bébé par une petite pierre dans le lange que Cronos, dans la pénombre, avale sans sourciller. 

La version du mythe par Nicolas Poussin qui, il faut le dire, ne fait la part très belle à notre chè(v)re Amalthée. 

Ouf ! Zeus est sauvé et il est envoyé en Crète sur les flancs du mont Égéon, auprès des nymphes. Difficile d’imaginer le roi des dieux en nourrisson sans défense. Pourtant, le petit Zeus partage avec les Hommes qu’il aimera et aidera tant cette fragilité originelle. Les nymphes chargées de sa protection choisissent soigneusement les nourrices en charge de son alimentation : la chèvre Amalthée est désignée pour son lait et l’abeille Panacris est sélectionnée pour son miel. Devant la grotte, les Curètes, divinités crétoises nées de la pluie, dansent en frappant leur bouclier avec leurs lances pour étouffer les pleurs du nouveau né. Une fois adulte, Zeus part sans plus attendre combattre son père. Avec l’aide de la Titanide Métis, il fait boire à Cronos une boisson émétique qui fait immédiatement vomir son père de toute la fratrie. Désormais en bonne compagnie, la guerre contre les Titans peut commencer…

On note au passage que les frères et soeurs de Zeus avalé.e.s par Cronos, n’étaient par mort.e.s mais seulement prisonnier.e.s du ventre de leur père. Au cours de cette deuxième gestation paternelle, Héra, Déméter, Poséidon et les autres s’aguerrissent. Car chez les Grecs, on ne se débarrasse pas facilement d’un bébé mis au monde ! Gobés par leur père, abandonnés en haut d’une montage comme Pâris et Oedipe ou jetés du haut de l’Olympe comme Héphaistos, mortels ou immortels, les nouveaux-nés ont toujours le don de survivre au sort que leur réserve leurs parents (et ont tendance à sacrément se venger par la suite). 

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre chèvre. 

Si c’est Amalthée qui est choisie pour nourrir le jeune dieu, c’est que la chèvre tient une place toute particulière dans le monde grec. Gardée en troupeau, parfois par des personnages illustres comme Ulysse qui en possède onze hardes sur son île d’Ithaque, elle existe aussi en grand nombre à l’état sauvage, faisant alors des ravages dans les plantations (et sur le bougainvillier de mon père, mais c’est une autre histoire). Familière et indomptable à la fois, elle est à l’intersection entre le sauvage et le civilisé. Elle se trouve dans un espace intermédiaire, un peu comme le petit Zeus dans sa grotte : pas encore tout à fait un Dieu sans être homme pour autant.

Zeus et son allaitement caprin n’est d’ailleurs pas un cas unique. C’est aussi l’histoire d’Asklepios, le fils d’Apollon et de Coronis et des jumeaux Philacis et Philander, nés de l’union entre Acacallis, fille du roi Minos et… d’Apollon, encore lui ! Cette lettre est dédiée à toutes les chèvres d’ici ou d’ailleurs. Coeur avec les cornes.

Dessin à la plume et à l’encre brune de Giulio Romano représentant les nymphes nourrissant Jupiter avec le lait de la chèvre Amalthée. 

Et si l’allaitement par une chèvre peut vous sembler incongru, que dire du cas du petit Pâris ! Abandonné dans la montagne suite au rêve prémonitoire de sa mère Hécube, il est secouru par une ourse qui pendant cinq jours et cinq nuits nourrit de son lait le prince troyen. Quand Agelaos, berger et serviteur de Priam et d’Hécube, revient pour vérifier que le bébé est bien mort et qu’il s’aperçoit avec stupeur qu’il a survécu, il n’a pas le coeur de le tuer et l’élève comme son propre fils. En attendant de croiser la route de trois célèbres déesses, Pâris devient berger, le plus sauvage des métiers, rien de très étonnant pour celui qui a été nourri par le plus sauvage des animaux. 

Qu’elle soit animale ou pas, la figure de la nourrice est omniprésente dans les récits de naissances mythologiques. La plupart des déesses semblent très pressées, une fois leur enfant mis au monde, de le confier à quelqu’une d’autre. Même la très maternelle Leto confie Apollon à peine mis au monde à l’île de Délos anthropomorphisée.

Et si le lien entre nourrice et nourrisson semble très banal dans les mythes, il n’en est pas moins puissant. L’exemple le plus connu de ce lien inaltérable est celui qui unit Ulysse et sa nourrice Euryclée. Quand il rentre (enfin) à Ithaque déguisé en mendiant, la vieille nourrice est une des toutes premières à le reconnaître grâce à une cicatrice qu’il possède sur la cuisse. Pourtant assise à leurs côtés, Pénélope, elle, est incapable d’identifier son mari qu’elle attend fidèlement depuis tant d’années. Ce trio formé par Euryclée la nourrice, Ulysse costumé et Pénélope rongée par la tristesse inspire d’ailleurs les artistes depuis plus de trois mille ans ! En 2022, on peut admirer la scène sur des bas reliefs du 1er siècle avant JC au Metropolitan Museum de New York, sur des toiles du XVIIIe siècle au Louvre ou encore au musée des beaux arts de La Rochelle.

Je vous laisse avec ce petit florilège : 

Leto se resserre

Avant de se plonger dans notre mythe du jour, faisons un petit détour pour explorer ce que nous dit la mythologie sur la maternité.

Pour commencer, un constat. Chez les Grecs antiques, donner la vie est loin d’être un accomplissement. La preuve : la plus puissante de toutes les déesses, Athéna, n’a pas d’enfant et n’en veut pas. Pour autant, le sujet n’est pas mis de côté et les mythes dressent une galerie très vaste de mères, allant des plus tendres (Déméterre avec Perséphone par exemple) aux plus cruelles (comme Héra avec Hephaïstos). En revanche, les premiers instants de la maternité, la grossesse et l’accouchement, sont peu abordés et les dieux et déesses naissent souvent dans leur forme adulte comme Athéna qui sort même du crâne de son père armée jusqu’aux dents.

Loin, si loin de nos « maman hélicoptères » d’aujourd’hui, les déesses en devenant mères portent souvent bien peu d’attention à leur nouveaux nés. En fait, c’est quand ils sont mortels qu’elles s’inquiètent le plus de leur sort (logiquement il faut dire). C’est le cas d’Aphrodite et de son fils mortel Énée. Lors de la guerre de Troie, elle s’implique et le protège. Bien qu’elle ne soit pas portée sur les choses de la guerre, elle se met en danger pour lui, le recouvre d’un pan de son vêtement et le sauve. C’est aussi le cas de Thétis, fille de l’Océan et surtout connue pour être la mère d’Achille. Elle tente de rendre le héros immortel en le trempant dans le Styx, puis essaye, toujours en vain, de le détourner du combat. Mais Achille est mortel et son destin est de mourir, quoiqu’en veuille sa mère impuissante. N’est-ce pas une allégorie sublime de ce que chaque parent redoute le plus au monde ?

Léto enceinte des jumeaux Artémis et Apollon du peintre néerlandais Hendrik Goltzius*

Le plus beau mythe sur l’accouchement est sans doute celui de Léto dans sa version homérique.

Séduite par Zeus, la déesse tombe enceinte et déclenche, une fois de plus, la colère d’Héra. Cette dernière ordonne alors à tous les recoins de la terre de refuser d’accueillir la pauvre Léto pour son accouchement. C’est in extremis qu’elle est recueillie à Délos, entre ciel et terre, alors qu’elle arrive à terme. En échange, la petite île des Cyclades demande simplement que le futur dieu ou la future déesse à naître fasse de l’île son sanctuaire. Mais Héra n’a pas dit son dernier mot ! La reine de l’Olympe interdit à Eileithyia, déesse de la délivrance, d’assister la naissance. Ainsi, pendant neuf jours et neuf nuits, la déesse peine sans parvenir au terme, avant qu’Iris, messagère des dieux et déesses ne parvienne à faire, enfin !, venir Eileithyia. Dès son arrivée, Léto met au monde Artémis. Immédiatement mise à contribution, Artémis aide sa mère à accoucher de son jumeau, Apollon. Marqués par une naissance hors normes et malgré des centres d’intérêts très éloignés – la nature pour l’une, l’art pour l’autre – les deux jumeaux s’aiment et se soutiennent dans toutes leurs aventures. Enfin, pour être honnête, c’est souvent la grande soeur qui vient en aide à son frère qui se fourre toujours dans tous les sales coups. Elle l’assiste quand il affronte le serpent Python, se venge avec lui de la belle Coronis et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité. Et dire qu’il n’a même pas été capable d’inventer une fête des soeurs…

Léto et ses enfants par William Henry Rinehart. 

Sur l’île de Délos comme ailleurs en Grèce, Léto, celle qui a tant souffert, est encore aujourd’hui priée par les futures et les jeunes mamans. J’aurai, de mon côté, une pensée pour elle, quand viendra l’heure de la récolte.

*Titre alternatif au tableau : Léto se prenant en selfie avec sa tablette

Une araignée au plafond

J’avais déjà eu l’occasion de vous parler d’Arachné, cette jeune tisseuse lydienne qui ose rivaliser avec Athéna et finit transformée en araignée. Mais en lisant Les mythes grecs du poète britannique Robert Graves, je suis tombée sur une autre interprétation passionnante de ce mythe étiologique*.

Revenons d’abord sur le mythe un instant

C’est Ovide qui en fait le récit. Jeune fille de Lydie en Asie Mineure, Arachné provoque la colère d’Athéna quand elle affirme être la meilleure tisseuse du monde. Afin de lui prouver sa supériorité et la punir de son arrogance, Athéna organise un concours. Tandis que la déesse choisit d’illustrer sa broderie des dieux de l’Olympe et dans les coins les mortels présomptueux, la jeune fille, elle, représente les dieux en proie à des comportements honteux, notamment Zeus avec ses nombreuses amantes illégitimes. Le tissage est parfait mais jalouse et furieuse, Athéna déchire l’ouvrage d’Arachné. Ainsi humiliée, la mortelle se pend. Pleine de remords, la déesse offre alors une seconde vie à Arachné, mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse tisser pour l’éternité.

Dans cette version du Tintoret, Athéna semble toute puissante, avec son casque et son habit de cuir. Arachné, en revanche, la poitrine nue, se présente bien plus vulnérable. On ne peut que se demander : cette jeune impertinente avait-elle mérité tant de haine ?

Et si cette histoire de jalousie en cachait une autre ?

Ce mythe vous plait ? À moi aussi, pourtant il sonne faux. Il détonne avec ce que l’on sait d’Athéna. Sage conseillère, oui. Stratège, bien sûr. Mais jalouse ? Voilà un défaut qu’on ne lui connait guère. Contrairement à son père, Zeus, elle ne se laisse pas emporter par de vulgaires sentiments humains. Conseillère des Dieux et des héros, elle est le contraire d’une déesse colérique…

C’est ici que Robert Graves intervient. Car dans son ouvrage de référence sobrement intitulé Les mythes grecs, l’essayiste ne se contente pas de faire une relecture des mythes, il les réinterprète à la lumière des connaissances du XXème siècle. En se plongeant dans l’archéologie et l’histoire antique, il déniche mille anecdotes qui permettent de redécouvrir ces histoires illustres. Celle du jour en est le parfait exemple. 

Nous sommes du début du IIème millénaire avant JC. Deux régions de Grèce dominent le commerce de la laine : les tisserands d’Athènes et ceux de Milet, en Asie mineure. Or on a retrouvé au cours de fouilles à Milet de nombreux sceaux à l’effigie… d’une araignée ! D’après Robert Graves, les Milésiens contrôlent à cette époque le commerce de la laine de couleur, de la mer Noire au sud de la Méditerranée, possédant même des entrepôts en Egypte. 

Les Athéniens avaient donc de bonnes raisons de leur en vouloir. De là à écrire une mythe où leur patronne anéantit une tisserande qui ose lui faire de l’ombre, il n’y a qu’un pas ! 

* On appelle mythe étiologique un mythe qui cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel, ou la création d’un être ou d’une chose. Ovide en était particulièrement friand et on trouve de nombreux dans ses Métamorphoses.

Une fleur, deux dieux

Zéphir est la personnification du vent d’Ouest dans la Mythologie. Si son souffle est redouté, c’est surtout pour ses amours déçues qu’il a inspiré Ovide et Euripide.

Hyacinthe changé en fleur de Nicolas-René Jollain, peint en 1769*. Vous pouvez l’admirer au Petit Trianon, à Versailles.

Comme vous le savez, les mythes que je préfère sont les mythes étiologiques, ceux qui cherchent à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Et vous l’avez deviné, ce cher Zéphir nous en fournit un très joli.

Un jour d’été, il tombe fou amoureux de Hyacinthe, jeune Sparte à l’éclatante beauté. Il tente de le séduire mais Apollon s’est lui aussi épris du jeune homme et obtient rapidement ses faveurs aux dépens de notre Dieu colérique. Rongé par la jalousie, Zéphir observe les deux amoureux s’entrainer au stade. Alors qu’Apollon s’élance un disque à la main, Zéphir détourne le vent afin de frapper le Dieu lumineux avec son propre disque. Mais c’est Hyacinthe qui s’effondre à terre, frappé accidentellement à la tempe. Terrassé de chagrin, alors que des gouttes de sang viennent tacher l’herbe du stade, Apollon les fait fleurir. En son honneur, les fleurs nées de ce jour tragique portent le nom de jacinthes.

*Année érotique, peu importe le siècle

Un vieux bateau et la mer

Peu après mon arrivée aux 8 Pillards (vous savez, cette ancienne usine de brûleurs industriels abandonnée puis réinvestie par huit structures artistiques ou associatives qui accueille désormais mon atelier), un étonnant projet a pris vie sous mes yeux : un bateau à taille réelle était assemblé de la coque au mat en passant par toute la charpente, le tout… en carton ! Son auteur est l’artiste Pierre Blanchard, dit Piero. Rapidement, je comprends que ce n’est pas un bateau comme les autres et que Piero et moi avons des choses à nous dire. 

L’usine Pillards avec les docks marseillais en arrière plan

Tout commence il y a 7 ans, Piero prend un verre avec son ami, le sculpteur Malik Ben Messaoud. Ils discutent des migrants et du parcours du combattant pour obtenir des papiers. À un moment, Piero lance «  avec ce qu’il te font faire comme papiers, tu as de quoi te faire un bateau ». Il faut dire, il parle à un professionnel, le support de prédilection de Malik pour ses sculptures, c’est le papier mâché ! Mais Malik décède prématurément en 2015 à seulement 46 ans et l’idée du bateau en papier mâché prend le large. 

C’est en intégrant les 8 Pillards en 2020, alors que le sujet des migrants est plus que jamais d’actualité, que Piero comprend qu’il tient enfin un lieu à la hauteur de son projet. Construire un bateau à taille réelle oui, mais quel bateau ? Il lui revient à l’esprit la légende de la fondation de Marseille. Celle d’un bateau venu de Grèce et d’un mariage entre le Phocéen Protis et la Gauloise Gyptis. Comme une évidence, il comprend que c’est ce bateau là qu’il veut construire, comme pour rappeler qu’à Marseille, tout à commencé par un métissage. 

D’où que l’on vienne, à Marseille, on partage la même mer, le même coin de rocher” nous rappelle Pierre Blanchard dit Piero, ici dans son atelier aux 8 Pillards

Petit détour par le mythe de la fondation de Marseille

Nous sommes en 600 avant JC quand un petit groupe de courageux mené par le jeune Protis quitte Phocée, en Grèce d’Asie mineure à bord d’une petite mais solide embarcation. Après une escale à Rome, ils décident de s’aventurer plus loin qu’aucun autre Grec auparavant. Arrivés dans le golf de Fos, non loin de l’embouchure du Rhône, les marins trouvent les lieux si beaux qu’ils décident de s’y attarder un instant. Sans le savoir, ils mettent le pied sur le territoire des Ségobriges. 

Les Ségobriges ? Si ce peuple celtique a laissé peu de traces dans notre mémoire historique, il est pourtant l’un des plus ancien peuple gaulois connu. Leur territoire vaste et puissant s’étend du Rhône jusqu’au contreforts de Marseille, tout autour de l’Étang de Berre.

Or, le jour du débarquement de nos valeureux phocéens n’est pas un jour comme un autre, c’est celui du mariage de Gyptis, la fille de Nannos, roi des Ségobriges. Pour ne pas contrarier les lois de l’hospitalité celtique, les autochtones proposent aux nouveaux venus d’assister à la noce et de découvrir la tradition nuptiale : la future mariée se présente avec une coupe remplie d’eau, fait le tour des prétendants et offre sa coupe à l’élu de son choix. En ce jour de fête, tous les princes celtes des environs ont fait le déplacement. Mais après un premier tour des convives, Gyptis s’arrête devant celui qui s’y attend le moins, Protis, notre beau navigateur grec ! Son père Nannos, intrigué mais convaincu qu’il s’agit là d’une volonté des Dieux accepte cette union inattendue. Prodigue, il offre même au jeune Phocéen une terre « au fond d’un golfe, et comme dans un coin de la mer*».

La terre qui abritera l’ainée des villes de France, Marseille. 

Mais l’entente entre les Celtes et les Grecs ne dure pas. Nannos s’inquiète des ambitions de son gendre. Lui qui pensait lui avoir légué un territoire rocailleux et sans valeur comprend que si les Phocéens sont de mauvais agriculteurs, ils sont en revanche de très bons marins ! Depuis le port de Massalia, les Grecs prennent le contrôle des mers, laissant aux Celtes les terres intérieures. Par la mer, ils font venir le vin et les jarres en céramique capables de stocker ce précieux liquide. Grâce à ce commerce lucratif, les Phocéens dominent rapidement la région et fondent de nouvelles citées, les actuelles Avignon, Nice ou Aléria en Corse. Malgré une résistance des Ségobriges, le destin est plié. Et tant mieux pour nous ! Car après la vigne, c’est l’olivier que les Grecs introduisent en Gaule. On remercie donc Gyptis pour son bon goût !

Mais retrouvons Piero où nous l’avions laissé

Au cours de ses recherches sur ce premier bateau mythique, il tombe sur un documentaire qui raconte l’histoire du navire retrouvé en 1993 dans le centre de Marseille lors de fouilles archéologiques. Le reportage retrace la volonté un peu folle, vingt ans plus tard, d’un groupe d’ingénieurs, d’archéologues et de scientifiques de reconstruire ce bateau de 2 600 ans avec les techniques de l’époque. Avec le soutien du CNRS, il leur faut sept mois pour achever la construction du fameux bateau grec, tresser sa charpente avec des fils de lins, assembler sa coque sans une seule vis ni clou et étanchéifier le tout grâce à de la cire d’abeille. Cette reproduction, mise à l’eau en 2013, est appelée le Gyptis, en hommage à la fondatrice de Marseille.

Pendant le générique du documentaire, un nom attire son attention : Pierre Jacquot, crédité comme ingénieur maritime sur le projet Gyptis. Ce nom il le connait bien : Pierre, il le croise tous les jours aux 8 Pillards ! Ni une ni deux, il lui envoie un message et lui demande les plans du bateau. 

Pierre Jacquot en train d’apporter les dernières finissions à son Gyptis en 2013

Un coup de fil au CNRS plus tard, Piero se retrouve avec les plans du tout premier bateau débarqué à Marseille. Il concède quelques mètres à l’original de dix mètres de long, le sien en fera sept. Pour ce qui est de la technique, il renonce à coudre les lattes entre elles, comme l’original et la copie de 2013, et se contente de carton, d’un cutter et d’un pistolet à colle. Avec l’aide d’un ami, Alexandre Gennetier, il lui faut un mois pour réaliser son Gyptis. 

Et maintenant ? Pas question de laisser le bateau, renommé OFPRAIL, clin d’oeil de ce fan d’aïoli à Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, s’échouer au plafond des 8 Pillards. Non, son Gyptis partira bientôt pour une croisière éphémère vers une destination improbable. Je ne vous en dis pas plus… pour le moment !

*Extrait des Histoires philippiques de Trogue Pompée, aujourd’hui perdues mais résumées par l’historien romain Justin 

Pomme de déesses et pomme dÉris

Pire que l’orange comme cadeau de Noël, la pomme comme cadeau de mariage !

L’histoire que je vous raconte aujourd’hui est celle d’un cadeau pas comme les autres, à l’origine de la plus mythique de toutes les guerres. 

Tout commence avec la néréide Thétis, divinité du fond de l’océan. Comme ses soeurs, elle est d’une grande beauté, et comme souvent dans la Mythologie, sa beauté est aussi son fardeau. Alors qu’il passe par là, Zeus aperçoit Thétis et projette immédiatement de la faire sienne. Mais il entend juste à temps la prédiction la sage Thémis  : “Déesse de l’onde, il faut que tu deviennes mère ; de toi naîtra un fils dont les exploits surpasseront ceux de son père et qu’on proclamera plus grand encore.” Refroidi par la prophétie, Zeus comprend qu’il ne peut laisser Thétis s’unir à un dieu, au risque de venir bousculer l’ordre bien établi de l’Olympe. Il choisit donc le mortel Pelée, roi de Phthie, comme époux pour la belle néréide. 

Seulement, Thétis, elle, n’est pas du tout de cet avis.

La déesse refuse de s’unir à un simple mortel et s’échappe. Avec l’aide du centaure Chiron, Pelée se met à sa poursuite et la retrouve dans une grotte de Magnésie. Ultime tentative de fuir ce mari encombrant, elle se transforme alors tour à tour en lion, serpent, feu, seiche, arbre et eau. Mais ce dernier l’attache avec des chaines et l’enserre si fort de ses bras qu’elle reprend sa forme humaine. “Ce ne peut être, dit-elle, que par la volonté des Dieux que tu triomphes.”* : Le mariage peut enfin avoir lieu. 

Le peintre flamand Hendrick van Balen nous offre une version très baroque des noces de Thétis et Pêlée. L’univers marin de la mariée, à gauche, rencontre le monde terrestre du marié, à droite. 

Sur le mont Pélion, les Hommes et les Dieux se retrouvent pour célébrer leur union. Chaque dieu, chaque déesse rivalise de cadeaux : des armes magiques, une armure invisible ou encore deux chevaux immortels, Xanthe et Balios, offerts par Poséidon et que Pelée donnera plus tard à son fils, un certain Achille… Mais n’allons pas trop vite en besogne !

C’est à ce moment de l’histoire que le somptueux mariage prend une tournure bien moins festive.

 

Éris, la Discorde, dont on redoute la présence, n’a pas été conviée. Pire encore c’est même la seule de toutes les divinités à avoir été mise de côté. Pour se venger de cet outrage, elle apporte un cadeau de mariage singulier : une pomme d’or sur laquelle on peut lire l’inscription « À la plus belle ! ». Trois déesses présentes se lèvent pour réclamer leur dû : Héra, Athéna et Aphrodite. Comme aucun des convives ne souhaite se mouiller dans cette affaire qui ne peut que mal tourner, Zeus décide de laisser le choix à un jeune berger du mont Ida. Son nom ? Pâris. 

Le Jugement de Pâris par Sandro Botticelli (et son atelier), vers 1482-1485, dont vous pouvez retrouver l’analyse du magazine Beaux-Arts en suivant ce lien.

Accompagnées d’Hermès, les trois déesses se rendent à la rencontre du jeune homme. À son oreille, chacune lui murmure des promesses en échange de son vote. Héra, la souveraine, lui promet de devenir le roi des mortels. Athéna, la guerrière, s’engage à faire de lui un conquérant. Aphrodite, elle, lui offre l’amour de la plus belle de toutes les femmes, Hélène. Le jeune berger a le coeur tendre et c’est la troisième déesse qui a sa préférence. 

Un siècle et demi plus tard,Rubens rejoue le Le jugement de Paris (1638) dans une version plus dénudée. 

Oui mais Hélène est déjà mariée à Ménélas, frère du roi des rois de Grèce, le terrible Agamemnon ! Pâris, de son côté, n’est pas un berger comme les autres, il est un prince troyen, fils de Priam. Alors quand Pâris enlève Hélène, Éris, à travers son terrible cadeau, obtient la discorde qu’elle venait semer. La guerre de Troie aura bien lieu ! 

* Ovide, Les Métamorphoses

Le cheval qui murmurait à l’oreille des Dieux

À l’image de la pomme de la discorde, dont je vous parlais lors de l’épisode précédent, les cadeaux dans la Mythologie ont la fâcheuse habitude de porter en eux une intention dissimulée. Avec la boîte de Pandore ou le cheval de Troie, elle nous invite à nous méfier de ces présents trop beaux pour être vrais. Le piège, toujours, se referme sur celui qui le reçoit. Hourra, ce n’est pas le cas de notre cadeau du jour. Mais l’intention innocente du donateur suffira-t-elle à protéger le bénéficiaire ? 

L’histoire du jour vous a été introduite la semaine dernière, il s’agit du cadeau de mariage de Posédion à Thétis et Pêlée, les chevaux Xanthe et Balios. Immortels, ils tirent leur noms de leurs robes : alezane pour l’un (de ξανθός / xanthos signifiant « blond ») et tacheté pour l’autre (de βαλιός / balios, « moucheté, tacheté »). 

Poséidon-Neptune et ses chevaux sur la fontaine de Trévise, à Rome

C’est avec le fils de Thétis et Pélée, Achille, que Xanthe et Balios rentrent dans la légende. 

Quand le héros part pour Troie, il les reçoit en cadeau de son père, Pélée.  Accompagné d’Automédon, fidèle cocher et conducteur de son char, ainsi que de son cousin Patrocle, Achille arrive à Troie. Sur la plage, devant les remparts de la ville, les deux chevaux immortels tiennent une place de choix dans le récit homérique si bien que dans l’Iliade toutes les prouesses guerrières du héros leur sont également attribuées. 

Le dos musclé de Patrocle et le regard perçant de Briséis sur une fresque de Pompéi

Mais voilà que ce nigaud de Ménélas se met à dos Achille en enlevant Briséis et que notre héros au talon fragile refuse de combattre. Du répit pour nos deux chevaux ? Hélas non ! Les voici de retour sur le champ de bataille avec sur le char non pas Achille, mais Patrocle, le cousin avide de faire ses preuves. Achille laisse partir son jeune ami à condition que celui-ci se contente de repousser les Troyens sans tenter de prendre la ville par lui-même. 

Le premier assaut de Patrocle est un succès. Hector et son armée de Troyens reculent et, encouragé par Zeus, Patrocle les poursuit jusque dans l’enceinte de la cité mythique… trahissant la parole donné à son illustre cousin.

C’est alors qu’Apollon entre en scène. Protecteur de Troie, il repousse par trois fois l’intrépide Patrocle et permet à Hector de le blesser fatalement. À peine Patrocle tué qu’Hector se précipite vers le char où se trouve encore Automédon tiré par Xanthe et Balios. Capturer la monture d’un ennemi vaincu, voilà une pratique qui semble tout à fait ordinaire, mais c’est sans compter la loyauté de nos deux chevaux qui filent à l’approche du prince Troyen.

Automédon ramenant les coursiers d’Achille des bords du Scamandre d’Henri Regnault, 1868

 

À ce moment, une fois de plus, les dieux s’en mêlent. Pas n’importe quel dieu d’ailleurs puisqu’il s’agit de Zeus en personne. Il s’approche du char et observe Xanthe et Balios. Laissons Homère nous compter ce moment douloureux : 

« Et de chaudes larmes tombaient de leurs paupières, car ils regrettaient leur conducteur ; et leurs crinières florissantes pendaient, souillées, des deux côtés du joug. Et Zeus fut saisi de compassion en les voyant »*

Zeus, qui s’illustre pourtant rarement pour sa sensibilité, se désole du sort des deux équidés : 

« Ah ! malheureux ! Pourquoi vous avons-nous donnés au roi Pélée qui est mortel, vous qui ne connaîtrez point la vieillesse et qui êtes immortels ? Était-ce pour que vous subissiez aussi les douleurs humaines ? Car l’homme est le plus malheureux de tous les êtres qui respirent, ou qui rampent sur la terre. »

C’est ici tout le drame de Xanthe et Balios, celui d’avoir introduit le mortel dans le divin. On se souvient que pour protéger l’ordre établi de l’Olympe, le roi des dieux a choisi un mortel, Pélée, pour s’unir à la divine Thétis. Xanthe et Balios, sacrifiés par les dieux, sont alors destinés à partager les peines de l’espèce humaine. Humains, trop humains comme dirait l’autre ! Peu empathique vis à vis des pauvres mortels, Zeus l’est beaucoup plus envers Xanthe et Balios. Le dieu empêche Hector de les capturer et leur permet de retourner à Achille. Tient-on notre happy end ? Loin de là !

Achille (tiré par Xanthe et Balios) traînant le corps d’Hector derrière son char, Brindisi, Ier siècle avant JC

De retour sur la plage avec les armées grecques, les deux chevaux, encore abattus par le deuil, doivent affronter la colère de leur maître, Achille, qui leur reproche de n’avoir pas rapporté la dépouille de Patrocle et demande leur aide pour l’affrontement à venir. À cet instant, Héra décide d’accorder la parole à l’un des deux, Xanthos, qui annonce au héros : 

« Certes, nous te sauverons aujourd’hui, très brave Achille; cependant, ton dernier jour approche. »

Immortels, bavards et possédant même le don de prophétie, décidément, ces chevaux-là ne sont pas comme les autres. La prédiction de Xanthos continue, il en profite pour se dédouaner au passage de toute responsabilité quant à la fin funeste du héros :

«  Quand notre course serait telle que le souffle de Zéphyr, le plus rapide des vents, tu n’en tomberais pas moins sous les coups d’un Dieu et d’un homme. »

Ce dieu, c’est Apollon, et cet homme, c’est Pâris, dont la flèche vient percer le talon du héros… 

Rassurez-vous, pour les deux chevaux qui n’avaient rien demandés, l’histoire finit bien : endeuillés une seconde fois, nos deux équidés au coeur sensible sont renvoyés chez Poséidon. La vie chez les Hommes est bien trop bouleversante pour de simples immortels ! 

* Chant XVII, traduction de Leconte de Lisle

Pour tous les trépieds du monde

Pour ce qui est des cadeaux, c’est l’intention qui compte. Mais l’intention est-elle toujours innocente ? N’y avait-il vraiment aucune arrière-pensées derrière ce vélo d’appartement, offert à son mari qui a pris un peu de poids ? Ou derrière ces costumes Arnys, gentiment donnés à cet homme politique ? Pour trancher la question, on se penche sur un épisode fameux de l’Iliade

Nous sommes au XIIème siècle avant JC et Troie est assiégée par l’armée grecque depuis dix longues années. Alors que tout avait plutôt bien commencé pour les troupes du Grec Agamemnon, le situation tourne désormais au vinaigre : Le troyen Hector enchaine les victoires depuis qu’Achille a déserté le champ de bataille pour exprimer sa colère contre Agamemnon qui a enlevé Briséis, sa captive. 

La reddition d’Achille de Briséis à Agamemnon sur une fresque de Pompéi, Ier siècle après JC

Entouré du sage Nestor, roi de Pylos, et du rusé Ulysse, Agamemnon commence à comprendre que se mettre à dos le seul guerrier capable de vaincre Hector n’était probablement pas une très bonne décision. Et quand on sait que toute cette histoire a commencé car son propre frère, Ménélas, souhaitait récupérer sa femme, Hélène, enlevée par le troyen Paris, on se dit qu’ils se seraient tous évités pas mal d’ennuis s’ils s’était retenus de capturer des femmes. Agamemnon ravale donc sa fierté et décide de convaincre Achille de reprendre les armes à leurs côtés. Courageux mais pas téméraire, il envoie Ulysse, Nestor et le vieil éducateur d’Achille, Phénix, comme émissaires.  

Arrivés dans la tente d’Achille, Ulysse prend la parole.

Pour commencer, il tente de l’attendrir et décrit la situation militaire calamiteuse. Il se désole « si cela continue comme cela, tous les Grecs risquent de mourir ici, à Troie* ». Face au visage fermé du héros, Ulysse tente la culpabilisation : s’il ne vient pas les sauver, c’est sûr,  Achille sera « saisi de douleur, car il n’y a point de remède contre un mal accompli ». Pourtant, toujours aucune réaction du héros.

Les manipulations psychologiques ayant échoué, Ulysse passe aux choses sérieuses et lui présente l’offre d’Agamemnon : « sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course », ainsi que des chevaux aux sabots massifs. Et ce n’est pas tout ! Il promet aussi « sept belles femmes Lesbiennes**», en plus de Briséis, qu’il lui rend volontiers, avec le serment qu’elle n’a jamais connu son lit. Le roi s’avance même en lui promettant des choses qu’il ne possède pas encore : la nef d’or et d’airain de Troie et les vingt plus belles femmes de la ville. Et si tout cela ne suffit pas, Agamemnon lui donne aussi la main d’une de ses trois filles, celle de son choix, et de sept villes en guise de cadeau de mariage ! Commencer par offrir des trépieds pour finir par des villes, on sent que la panique a pris le dessus.

Achille recevant les envoyés d’Agamemnon,  Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1801

Mais rien n’y fait.

Jamais à court d’idées, Ulysse tente alors d’appuyer sur un point sensible, son ego : « et tu tueras Hector qui viendra à ta rencontre et qui se vante que nul ne peut se comparer à lui ». Hélas, même cette insolence du Troyen ne parvient à venir à bout de la colère de notre héros décidément inébranlable. Sa réponse est sans équivoque: les « dons d’Agamemnon me sont odieux, et lui, je l’honore autant que la demeure d’Hadès» (autrement dit les enfers), c’est à dire assez peu. 

Incorruptible face aux cadeaux, Achille finit pourtant par reprendre le chemin du champ de bataille pour venger son ami Patrocle, tué par Hector. Et vous, les trépieds vous auraient-ils fait céder ? 

* Tous les extraits de l’Iliade viennent du Chant IX, traduction de Charles-René-Marie Leconte de L’Isle

** Originaires de l’île de Lesbos, cela ne s’invente pas.

Prouve-le, si t’es une femme !

Vous connaissez l’arrêt Bosman ? [Allergiques au foot, passez directement au paragraphe suivant, vous avez suffisamment soufferts cet été]


En 1990, le belge Jean-Marc Bosman en fin de contrat avec le FC Liège demande son transfert à Dunkerque. Mais son club s’oppose à son départ laissant notre milieu de terrain sans club et sans un sou. Ni une ni deux, il attaque le FC Liège et ses avocats tentent une stratégie audacieuse : le Traité de Rome n’instaure-t-il pas la libre circulation des personnes ? Les clubs de foot ne seraient-ils pas des entreprises comme les autres, sommés de respecter les lois européennes ? Jean-Marc gagne son procès en 1995 sous les yeux ébahis des plus grands clubs qui comprennent alors l’aubaine apportée sur un plateau d’argent par ce petit joueur flamand de seconde division. Oubliée la limite de trois joueurs internationaux (tant qu’ils viennent de la communauté européenne) par équipe, vive la jurisprudence Bosman ! Le Real de Madrid notamment ne s’en prive pas et acquiert le portugais Luis Figo pour 61 millions d’euros en 2000 puis notre Zizou national pour 75 millions d’euros en 2001. Cette année là, le club madrilène gagne la Ligue des Champion avec sur la pelouse le soir de la finale cinq internationaux et seulement six espagnols.

Si je vous parle de l’arrêt Bosman c’est parce qu’il résonne étonnamment avec l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une sportive qui, sans le vouloir, a eu un impact immense sur la législation sportive.

Les cartes Panini de notre héroïne et de notre héros du jour. 

Cette sportive s’appelle Kallipáteira (Καλλιπάτειρα littéralement « celle dont le père est beau »), nous sommes au Vème siècle avant JC à Rhodes et c’est Pausanias qui nous en fait le récit dans sa Description de la Grèce

Kallipáteira est la fille de Diagoras, l’un des plus grands athlètes de l’Antiquité grâce à son triomphe aux JO de 646 avant JC au pugilat et ses multiples victoires aux Jeux isthmiques et aux Jeux néméens. Cette fille de boxeur se marie à un athlète, Callianax et ils donnent naissance, vous l’avez deviné, à un futur grand sportif, Pisidoras qui se spécialise, lui, dans la course à pied. Chez Kallipáteira, les JO sont une religion et elle peine à accepter la règlementation qui interdit aux femmes mariées de venir assister aux épreuves sous peine d’être précipitées du mont Typaion. Alors quand elle prend en main l’entrainement de son fils après la mort de son mari, il lui est impossible de le laisser partir seul à Olympie. Ces Jeux, elle les prépare depuis des années ! Sa décision est prise, elle se déguise en homme pour pouvoir entrer dans le stade et assister à sa prestation. Mais lorsque que le jeune Pisidoras remporte l’épreuve, ivre de joie, elle s’élance sur la piste pour le féliciter, perd sa toge, révélant à tous sa féminité.

Scandale à Olympie ! Seul le pédigrée de sa famille lui évite le mont Typaion. Pour prévenir toute autre tentative de ce genre*, la législation olympique impose par la suite aux maîtres de gymnastique, tout comme à leurs athlètes, d’être nus dans le stade. Cette obligation de nudité constitue le tout premier test de féminité. 

Diagoras porté en triomphe par ses fils par Auguste Vinchon peint en 1814. Il n’existe malheureusement aucune représentation connue de Kallipáteira alors je m’avance un peu et affirme que l’on peut l’apercevoir à droite, sous les traits de la la jeune femme qui cherche à placer une couronne de fleur sur la tête de son père. J’attends les retours des spécialistes d’histoire de l’art !

Depuis, la créativité des hommes pour tenir les femmes à l’écart du sport** semble sans limite.

Dès 1946, l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) exige des certificats médicaux attestant du sexe. Elle va plus loin en 1966 en imposant des consultations gynécologiques aux athlètes, consultations qui sont adoptées par le Comité International Olympique (CIO) et mises en place pour les JO de Mexico de 1968 dans un contexte de guerre froide où les sportives d’Union Soviétique sont suspectées d’être des hommes. Simultanément, ces deux institutions sportives se penchent sur le « Test de Barr », censé révéler la présence d’un deuxième chromosome X. Puis c’est au tour de la méthode SRY d’être testée par le CIO en 1992 qui vise à détecter un chromosome Y indésirable. Mais tous ces examens génétiques posent de nombreux problèmes bioéthiques qui embarrassent sacrément les officiels. Alors l’IAAF a une épiphanie : plus besoin de tests de féminité puisque les contrôles anti-dopages par prélèvement d’urine se font devant témoin visuel. On imagine aisément le malaise. Le CIO attend néanmoins les JO de Sydney en 2000 pour abandonner définitivement le test SRY. On se croyait enfin débarrassé quand le cas Caster Semenya arrive en 2009.

Cette athlète réalise 1:55.45 aux 800 mètres, soit le 5ème meilleur temps mondial, lors des championnats du monde d’athlétisme de Berlin et est immédiatement accusée d’être née « hermaphrodite », sans que ses accusateurs sachent vraiment ce que ce terme recoupe d’un point de vue médical. Est-ce sa musculature imposante ? Sa couleur de peau (les quatre autres femmes ayant fait mieux qu’elle aux 800 mètres sans être inquiétées étaient blanches) comme le dénoncent plusieurs hommes politiques sud-africains ? Toujours est-il que malgré la proposition de la coureuse de « baisser [son] pantalon pour que vous puissiez voir”, l’IAAF, jamais à court d’humiliations, requiert un contrôle hormonal, la privant de compétition dans l’intervalle. Il leur faudra près d’un an pour qu’ils reconnaissent que Caster est bien une femme et lui autoriser de reprendre le chemin du stade. En guise d’excuses, l’IAAF établit en 2011 un nouveau test de féminité basé sur les hormones : toute athlète ayant un taux d’hormones androgènes trop élevé est exclue bien que plusieurs scientifiques démontrent que dans le sport de haut niveau, les taux de testostérone se chevauchent chez les hommes et chez les femmes. Bref, je me serais bien passée de cet exposé qui manque autant de poésie que le CIO et l’IAAF semblent manquer d’humanité !

* « Pun intended » comme disent les britanniques; le jeu de mot était bien volontaire dirons-nous par ici.
** On remercie les travaux des chercheuses Anaïs Bohuon (Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?) et Vanessa Heggie ainsi que les étudiants des Mines Paritech pour leur chronologie interactive très bien réalisée. Sur le sujet, pour les anglophones d’entre-vous, je vous recommande l’excellent article du New York Times The Humiliating Practice of Sex-Testing Female Athletes

Joue-la comme Héra

Héra n’est pas ma déesse préférée. En fait, c’est même celle que j’aime le moins. Il faut dire qu’elle accumule les défauts : cruelle avec son fils Héphaïstos, injuste envers les victimes de son violeur de mari, vindicative pendant la guerre de Troie… Quand elle ne jette pas son nouveau né du mont Olympe car elle le trouve trop laid, elle persécute Io – déjà transformée en vache par Zeus pour la sauver du courroux de sa femme jalouse – en lui envoyant un taon dont la piqure rend fou. Quel que soit le mythe, elle s’illustre par son acharnement à ne s’attaquer qu’à des cibles faibles et vulnérables. 

Les Grec.que.s ne l’entendent pas de cette oreille puisque c’est en son honneur que sont organisés, à Olympie, des Jeux féminins. Et cette nouvelle me réjouit tant que je pourrais (presque) lui pardonner tous ces travers. 

Les Jeux Olympiques ne sont pas ouverts à tous, loin s’en faut. Il faut être Grec, citoyen, n’avoir jamais commis de crime et…. être de sexe masculin. Cela ne vous étonnera guère, les femmes étaient exclues des épreuves mais aussi du spectacle pour la plupart car seules les femmes vierges avaient le droit d’entrer dans le stade. Mais elles ne sont pas privées de sport pour autant ! Car les jeux Héreens, aussi appelés les Héraia, se tiennent tous les quatre ans à Olympie, deux semaines après les Jeux masculins. C’est Pausanias qui, une fois de plus, nous les décrit : ils se composent d’une seule épreuve, une course à pied, à laquelle les athlètes participent par catégorie d’âge. Les gagnantes reçoivent une couronne d’olivier et une partie de la vache sacrifiée à Héra. 

Le temple d’Hera à Olympie reconstitué par… le jeu vidéo Assasin’s Creed

Si l’imaginaire moderne veut que tout ce qui se passe dans un temps ancien est forcément synonyme d’obscurantisme, en ce qui concerne les droits des femmes, la Grèce antique a, à de nombreuses reprises, prouvée que les capacités athlétiques des femmes sont loin d’être méprisées. 

Commençons par les déesses. Athéna, armée de son égide, d’une lance et d’un casque, est la personnification de la stratégie militaire. Comme l’illustre son épithète le plus fameux, Athéna Nikè (Athéna Victorieuse), elle symbolise la puissance, à la guerre comme dans le sport. Arthémis, elle, incarne une autre forme d’athlétisme. Intrépide et sauvage, elle parcourt les forêts munie de son arc et ses flèches. Si l’homme a créé Dieu à son image (ou est-ce le contraire ?), les mythes antiques laissent entrevoir une vision de la femme bien moins domestique que ce que l’on pourrait supposer. 

La civilisation crétoise minoéenne nous donne un autre exemple des relations entre les femmes et le sport. Sur les céramiques et fresques du musée d’Heraklion, on remarque de nombreuses femmes, peintes avec la peau blanche contrairement aux hommes représentés avec la peau foncée, participant aux épreuves de tauromachie ou même de pugilat, comme sur la fresque ci-dessous. 

Sur cette fresque du palais de Knossos, on distingue deux femmes à la couleur blanche de leur peau. Elle ne se contentent pas d’observer la dangereuse épreuve mais prennent pleine part au saut du taureau. 

Et que dire de la puissante Sparte ! Lutte, course à pied, lancer de disque ou javelot, elle sont de toutes les épreuves comme le déplore Euripide dans Andromaque. Écoutons Pelée sermonnant Ménélas qui a eu, d’après lui, le malheur d’épouser une femme de Sparte, Hélène : 

Oui, tu croyais avoir une femme pleine de vertu chez toi, mais c’est en fait la pire de toutes ! D’ailleurs, même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent les mêmes pistes de course et les mêmes palestres que les garçons. Cela m’est insupportable ! 

L’historienne américaine Sarah B. Pomeroy a d’ailleurs démontré la fructueuse participation des femmes spartiates aux Héraia. La boucle est bouclée. 

Cette athlète en Grèce antique est une rare statuette en bronze du Vème siècle avant JC retrouvée à Sparte. On peut aujourd’hui l’admirer, en toute logique, au British Museum. 

C’est peu dire que quand Pierre de Coubertin, à l’origine des JO modernes, déclare en 1912 « Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter  : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine» il démontre son ignorance autant que sa misogynie.

Un corps de dieu grec

Été olympique oblige, Adravasti met le sport à l’honneur. Alors aujourd’hui nous discutons musculation !

Il se trouve que je connais un peu l’univers de la « muscu » car l’un de mes cousins est, justement, ce qu’on appelle dans le jargon un « coach ». Pas du genre à vous hurler dessus, plutôt le genre bienveillant et… incollable sur tout ce qui touche à la nutrition. Mais quand on demande autant à son corps, logique de prêter une attention toute particulière à ce qu’on met dedans, non ? 

Après ce que vous lirez ci-dessous, vous comprendrez pourquoi les adeptes de la salle de sport vouent, comme moi, une vraie passion pour l’huile d’olive. 

Voici les quatre raisons pour lesquelles huile d’olive et musculation font bon ménage. 

Les tablettes de chocolat de l’Hercule Farnèse de Lysippe (IVème siècle av. J.-C.).

Raison n°1 : Des kilocalories à ne plus savoir qu’en faire 

Faire du muscle, ça demande beaucoup, beaucoup, d’apport calorique. Donc autant les consommer le plus rapidement possible, ça laisse du temps pour pousser de la fonte. 

Justement, l’huile d’olive, ce n’est que du gras. Oui, 100% de lipides. Ce qui m’a d’ailleurs toujours fait rire quand je rédige l’obligatoire « tableau nutritionnel européen » sur le côté du bidon. 

Valeurs nutritionnelles pour 100g : 

Gras : 100g
Toutes les autres catégories : 0g

En conséquence, si vous vous amusez à boire un demi-verre d’huile d’olive au réveil, soit 100ml, vous aurez du même coup ingurgité pas moins de 900kcal. Pour la plupart d’entre nous, c’est beaucoup. Mais pas pour l’acteur américain et ancien catcheur Dwayne « The Rock » Johnson  (qui était accessoirement l’acteur le mieux payé d’Hollywood en 2020 pour la deuxième année consécutive) capable d’avaler 6 000 calories…. en un seul repas. 

Abdominaux latéraux et vascularisation chez le Discobole de Myron (450 avant JC).

Raison n°2 : L’amie des tubes digestifs

On dit que l’huile d’olive est un aliment eupeptique, du grec εὖ (eu) « bon » et πεπτικός (peptikos), « digestif ». Cela signifie qu’elle facilite la digestion. Pour un sportif, il s’agit donc de calories propres, de celles qui apportent de l’énergie sans en retirer en sous-main, vous forçant à la sieste après le repas. 

Comment ? Consommée à jeun, l’huile d’olive accélère les contraction de la vésicule biliaire. Ce qui est pratique puisque la vésicule produit justement une bile qui facilite la digestion des graisses. Et ce n’est pas tout ! Parce qu’elle lubrifie toutes les parois par où elle circule, l’huile d’olive assouplit tout le système digestif. On lui dit merci. 

L’impressionnant V abdominal, que l’on appelle aussi “ceinture d’Apollon” du Doryphore de Polyclète (440 avant JC).

Raison n°3 : La blessure reste au vestiaire

Quand on passe beaucoup de temps à faire des « développé couché », la déchirure musculaire n’est jamais loin. Ça tombe bien, l’huile d’olive est bourrée d’oléocanthal aux propriétés anti-inflammatoires. Non, l’oléocanthal n’est pas la rencontre entre l’olive et notre fameux fromage du massif central mais un composé organique de l’huile. Je vous épargne le dessin de sa molécule chimique et je passe plutôt à l’histoire, assez jolie, de sa découverte. Alors que le biologiste américain Gary Beauchamp participe à une dégustation d’huile d’olive en Sicile, il est frappé par la sensation poivrée qu’il ressent dans la gorge. Ce petit picotement* lui est étonnamment familier. Après quelques instants d’hésitation, il n’a plus de doute : c’est le même que celui provoqué par l’ingestion d’ibuprofène liquide, le médicament anti-inflammatoire bien connu sur lequel il travaillait dans le passé. De retour dans son labo, il consacre plusieurs années à démontrer le lien entre l’huile d’olive et la lutte contre l’inflammation. 

Depuis, ses travaux ont été validés par de très nombreux scientifiques et athlètes du monde entier qui utilisent l’huile d’olive pour récupérer après un effort musculaire. 

Deltoïdes et pectoraux du prêtre (oui oui, c’est un prêtre) troyen Laocoon, Groupe du Laocoon (40 avant JC).

Raison 4 : Accepter de perdre pour mieux gagner ? C’est non**

Pour faire du muscle, il ne suffit pas de produire du muscle nouveau, il faut aussi s’assurer de ne pas perdre le muscle existant. Notre corps passe en effet son temps à dégrader les composés chimiques de notre corps, les fibres musculaires notamment, pour produire de l’énergie. Énergie utilisée, au hasard, pour faire des tractions.

Justement, le professeur-chercheur en nutrition Douglas S. Kalman affirme que l’huile d’olive agit comme un nutriment anti-catabolique. C’est à dire comme un agent spécial en mission pour sauver les protéines musculaires. Je ne rentre pas plus dans le détail parce qu’il faudrait que je vous parle d’une sombre protéine cellulaire qui répond au doux nom de « TNF-α » mais croyez le sur parole : les abdos-fessiers c’est bien, accompagnés d’un peu d’huile d’olive, c’est mieux.
Vous êtes convaincu.e ? Et pourtant je ne vous ai même pas parlé des tonnes d’anti-oxydants qui luttent contre le vieillissement des cellules, de la vitamine A très utile dans l’entretien des fibres musculaires, de la vitamine C pour l’énergie…

D’ailleurs, le lien entre préparation physique et huile d’olive ne date pas d’hier. Dans les gymnases de la Grèce Antique, les jeunes éphèbes se frottaient le corps d’huile d’olive et de sable avant les entrainements pour se protéger du soleil. Puis, elle était utilisée comme huile de massage pour soulager leurs muscles endoloris. Le spécialiste de l’épigraphie, l’étude des inscriptions gravées, et de l’histoire hellénistique, le bien-prénommé Olivier Curty a même découvert que certains gymnases pouvaient fermer leurs portes plusieurs mois pour cause de pénurie d’huile. C’est dire son importance dans le rituel sportif antique. 

En conclusion, à l’intérieur ou à l’extérieur, une chose est sûre : en ces temps pré-olympiques, l’huile d’olive ne peut faire que du bien. 

* que l’on appelle aussi l’ardence 
** Point de vue partagé par Kylian Mbappé

Ouvrons ensemble la boîte de Pandore

Si le mythe de Pandore prouve, une fois de plus, que Forest Gump avait raison (la vie, c’est comme une boîte d̶e̶ ̶c̶h̶o̶c̶o̶l̶a̶t̶ , on ne sait jamais sur quoi on va tomber), il pose surtout de nombreuses questions quant à son interprétation. Il a fasciné Goethe, Camus et Bernard Weber, alors pourquoi pas vous ?

Commençons par le commencement : le mythe. 

Pandore est la première de toutes les femmes. C’est Hésiode, dans sa Théogonie qui nous en livre le récit le plus complet. Mortelle, elle est forgée en argile par l’adroit Hephaistos à la demande de son père, Zeus. Pour achever son oeuvre, le roi des Dieux convoque Athéna, qui confère à Pandore l’habileté, Aphrodite, qui lui donne la grâce et les désirs dévorants ainsi qu’Hermès, qui insuffle chez elle la perfidie. Enfin, il lui donne un nom, Pandore, du grec πᾶν (tous) δῶρον (le don), celle dotée de « tous les dons ». 

Mercure transportant Pandore de Jean Alaux dit Le Romain, milieu du XIXème siècle

Cette création est tout sauf innocente : Zeus cherche à se venger de Prométhée, qui a volé le feu pour l’offrir aux hommes. Par l’intermédiaire d’Hermès, Pandore est donc offerte en mariage à Epiméthée, frère de Promethée. Hélas, celui-ci est aussi idiot que son frère est malin et, trop occupé à admirer la beauté de sa future épouse, il ne se doute de rien et accepte volontiers la proposition. 

Mais avec elle vient une boîte* mystérieuse, que Zeus lui avait malicieusement ordonné de ne pas ouvrir. La curiosité de Pandore est trop forte et celle-ci ouvre la boîte, libérant ainsi tous les maux de l’humanité à commencer par la vieillesse dont les hommes étaient jusqu’alors préservés. Seule l’espérance, Elpis, tout au fond de la boîte, est retenue. 

Détail de la Pandore de Ruxthiel. Rendez-vous plus bas pour la voir en entier et de face !

L’histoire de « la boîte de Pandore », passée dans le langage courant, nous est familière. 

Et pas seulement pour des raisons linguistiques ! Elle ressemble en effet étrangement à une autre histoire, fondatrice, s’il en est, de notre civilisation judéo-chrétienne : celle d’Ève et du fruit défendu. En croquant dans la pomme, n’a-t-elle pas, comme notre Pandore en ouvrant sa boîte, transgressé l’interdit et apporté tous les malheurs sur la Terre ? Mais n’oublions pas que dans les deux cas, ces premières femmes ont aussi apporté la connaissance à l’humanité. Bref, dans la Genèse comme dans la Théogonie, sans l’arrivée des femmes, les hommes semblaient destinés à rester de parfaits imbéciles heureux. 

Mais ce qui me trouble le plus dans ce mythe, c’est l’apparition de l’espoir. Pourquoi diable l’avoir mis dans le même sac (ou devrais-je dire boîte) que tous les autres maux de l’humanité ? Et plus encore, pourquoi le laisser dans la boîte ? L’espérance n’est-elle pas un sentiment terriblement humain ? 

Ici, la question de la traduction est majeure. Jean-Pierre Vernant, grand spécialiste de la Mythologie dont je vous ai souvent parlé, explique que le terme grec utilisé par Hésiode, Elpis, fut traduit à tort par « espoir ». Elpis signifie en réalité l’attente, l’expectative. Et dans ce nouveau monde où les malheurs ont submergés les humains, l’attente peut être terrible et douloureuse. Si la vieillesse et la mort nous guettent, que faire de cette espérance ? Comment entreprendre ou rêver sans être paralysé par une attente stérile ? 

Elpis reste donc dans la boîte et permet, toujours selon Vernant, aux humains de vivre dans une contradiction riche, celle d’un monde entre espérance et anxiété. La contradiction entre le présent, personnifié par le benêt Epiméthée, et le futur, que symbolise Prométhée. 

Laissons la parole à Camus, qui nous présente son analyse dans L’Homme révolté, en 1951 :

« Dans la boîte de Pandore où grouillent tous les maux de l’humanité, les Grecs firent sortir l’espoir après tous les autres comme le plus terrible de tous. Je ne connais pas de symbole plus émouvant. Car l’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner » 

Si Camus, dans une interprétation assez personnelle du mythe, décide de faire sortir l’espoir de la boîte, il conforte en revanche l’idée théorisée par Vernant que l’espoir est une force qui nous terrasse face aux épreuves. Pour vivre, nous devons transformer l’attente en un combat, en un refus de renoncer, pour qu’elle devienne la source d’une infinie motivation**. 

Je vous laisse désormais méditer, au présent et au futur, sur la place que vous désirez laisser à l’Elpis dans votre vie !

Et comme vos interprétations m’intéressent (presque) tout autant que celles de Vernant ou Camus, j’attends avec espoir vos réponses à cette lettre ! 

* Il s’agirait en réalité d’une jarre mais ne chipotons pas. 
** D’autant plus quand on visualise son objectif en se rasant tous les matins, il semblerait 

La revanche d’une blonde

L’origine de plusieurs fleurs a été expliquée par la mythologie grecque. L’égocentrisme de Narcisse et la mort accidentelle de Hyacinthe nous offrent deux beaux exemples. Pourtant, celle qui personnalise les fleurs, Chloris, n’a que peu d’importance dans les récits antiques.

Il faut attendre Ovide pour la découvrir dans un rôle de premier plan. Dans ses Fastes, le poète latin raconte la transformation de la nymphe Chloris en Flore, souveraine des fleurs. Alors qu’il souffle sur l’île des Bienheureux, Zéphir, le vent d’Ouest aperçoit la jeune fille et tombe fou amoureux. Il l’enlève, copiant les manières brutales de son frère Borée, le vent du Nord, et se rachète en l’épousant*. Comme cadeau de mariage, il lui offre le pouvoir de régner sur les fleurs.

« Avant, la Terre n’avait qu’une seule couleur » chante-t-elle au vers 5 222. Désormais, chaque printemps, mille teintes viennent embellir la nature qui renait. 

Quelques siècles plus tard, les artistes de la Renaissance, appréciant l’érotisme du souffle de Zéphir sur la jolie nymphe, s’emparent du mythe qui devient un sujet classique de la peinture et de la sculpture. 

Mais le tournant de sa carrière, elle le doit à Botticelli qui fait d’elle une star en la faisant apparaitre dans ses deux tableaux les plus célèbres : la naissance de Vénus et le Printemps.

Chloris enlace Zéphir qui souffle sur Vénus un vent de fleurs. 

Savoir (in)utile !
La déesse des fleurs partage son étymologie avec le mot « chlorophylle » qui, bien plus qu’un simple parfum de chewing-gum, désigne ce pigment vert permettant la photosynthèse et la transformation du dioxyde de carbone en oxygène.

* au mois de mai, bien entendu. 

Ma soeur, ma bataille

La mythologie grecque, bien plus que nos récits modernes il me semble, explore de nombreuses facettes de l’amour. L’amour romantique, qui unit par exemple Hélène et Paris, ou celui plus charnel entre Aphrodite et Arès,l’amour filial de Zeus pour Dyonisos qu’il porte dans sa cuisse, celui de Déméter pour sa fille Perspéhone ou encore l’amitié d’Achille pour Patrocle* qu’Homère utilise comme un élément déclencheur de la guerre de Troie, tous les visages de l’amour s’y côtoient et s’y mêlent. Plus encore, la mythologie ne semble pas établir de hiérarchie entre ces formes d’amour. 

À la lecture des mythes antiques, je suis souvent frappée par la récurrence du sentiment amoureux qui uni les frères et soeurs. Loin des cruelles et envieuses Javotte et Anastasie de Cendrillon, on y trouve des fratries aimantes, qui se complètent et s’entreaident. C’est le cas, par exemple, des jumeaux Artémis et Apollon. Tout juste arrivée sur terre, Artémis s’empresse d’aider sa mère Léto à accoucher de son jeune frère. Plus tard, elle l’assiste dans son combat avec le serpent Python et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité fraternelle. 

Un autre mythe développe ce thème, c’est celui des soeurs Procné et Philomèle, et ayant moi-même deux soeurs, j’y suis particulièrement sensible. Il s’agit aussi un mythe étiologique, c’est-à-dire qu’il cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant mais je pense que vous ne regardez plus jamais les hirondelles de la même façon…

Avec son Philomèle et Progné de 1861, la peintre Elizabeth Jane Gardner Bouguereau nous présente la tendresse qui unit les deux soeurs. 

Procné et Philomèle sont les deux filles de Zeuxippe et Pandion, cinquième roi légendaire d’Athènes. L’ainée, Procné est mariée à Térée, roi de la lointaine Thrace** et de cette union est née un fils, Itys. Cinq ans plus tard, Athènes et sa famille lui manquent et elle exprime à son mari le désir de revoir sa soeur. Térée se rend donc à Athènes pour demander au roi Pandion l’autorisation d’amener la jeune Philomèle avec lui.  Mais dès qu’il aperçoit la princesse, il oublie toutes ses bonnes intentions et n’a plus qu’une idée en tête : posséder Philomèle coûte que coûte. Pour convaincre le roi de laisser partir sa fille chérie***, il redouble d’éloquence et, à sa voix, vient s’ajouter celle de Philomèle, très désireuse de revoir sa grande soeur adorée. Laissons Ovide nous décrire cette scène tragique dans ses Métamorphoses : 

Dieux d’en haut, quelle nuit noire aveugle les coeurs des hommes !
Les efforts mêmes de Térée pour perpétrer son crime
passent pour de la piété, et son forfait lui vaut des éloges.
Que dire de Philomèle dont le désir est le même ? Caressante, elle met
ses bras autour des épaules de son père, demande d’aller voir sa soeur :
son salut en dépend, prétend-elle, mais elle agit contre son propre salut.

Dès leur arrivée en Thrace, Térée met à exécution le crime odieux. Il emmène de force Philomèle dans une étable et abuse d’elle. Mais après l’effroi vient la colère et la jeune femme jure de se venger en allant dénoncer son viol devant toute la cité. Effrayé d’une mise en accusation sur la place publique, Térée lui coupe la langue avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme la mort de sa petite soeur. 

Un an passe, et alors que Procné, dans son palais de Thrace, porte le deuil de sa chère soeur, cette dernière, bien vivante, est toujours enfermée dans l’étable. Sans voix, elle ne peut hurler au monde sa rage mais comme le dit si bien Ovide : la douleur est très ingénieuse, et l’habileté naît du malheur.

Philomèle se met en effet au travail et tisse une superbe tapisserie. Derrière le motif innocent, elle brode avec un fil pourpre le récit de son calvaire. Elle confie l’ouvrage à une servante qui l’apporte à Procné. Grâce à ce subterfuge, celle-ci découvre enfin le sort de sa sœur. Le désir de vengeance s’empare à son tour de Procné. 

Elle attend le soir de la fête de Dionysos et feint d’être enivrée pour parvenir à se glisser jusqu’à la bergerie qui sert de geôle à sa soeur mutilée. Elle la libère et l’emmène avec elle au château. Enfin réunies, les deux soeurs décident de la plus terrible des vengeances : Procné tue son fils Itys dont les traits lui rappèlent trop son violeur de mari. Elle le frappe au coeur avec un poignard et bien que le coup fut fatal, sa soeur signe elle aussi le crime en lui tranchant la gorge. Les deux femmes cuisinent le corps d’Itys et le servent à Térée. Une fois le repas achevé, celui-ci demande à voir son fils. Les yeux brillants de haine, sa femme lui annonce : « celui que tu réclames, tu l’as à l’intérieur. ». Pour ne laisser aucun doute sur l’horreur qui vient d’être commise, Philomèle sort de sa cachette et lance la tête de l’enfant à son père. 

Rubens quant à lui, nous expose une vision beaucoup plus terrifiante du mythe avec son Térée voyant de la tête d’Itys de 1638. Son dégout pour les soeurs va jusqu’à les effacer du titre du tableau. 

Les soeurs se sauvent et c’est alors que les Dieux s’en mêlent. Émus par le destin tragique des deux soeurs, ils les transforment en oiseaux pour qu’elles échappent à une mort certaine. Philomèle, privée de sa voix, est métamorphosée en rossignol chanteur et Procné en hirondelle, dont les reflets rouges sur la gorge rappelle l’épouvantable infanticide. Térée est lui aussi changé en oiseau : il devient huppe, dont le bec démesuré évoque l’épée meurtrière. 

Le rossignol chanteur, l’hirondelle libre mais tachée de sang et la huppe au bec menaçant. 

L’Olympe réserve, cette fois-ci, un sort bien magnanime à un violeur et deux meurtrières.

* Je vois vos airs amusés 
** La Thrace est la région au nord est de la Grèce qui couvre l’actuelle Bulgarie et la partie européenne de la Turquie.  
***Comme Arianne, qui, à peine avait-elle quitté son père et la Crète pour vivre le grand amour avec Thésée, était abandonnée sur l’île de Naxos. Il ne fait pas bon quitter son père dans la mythologie. 

Liaisons dangereuses

Détail du Jupiter et Callisto de Rubens

Le 31 octobre dernier, un prêtre un prêtre orthodoxe Grec, Nikos Kakavelakis était attaqué devant son église du VIIème arrondissement de Lyon. Deux jours seulement après l’attentat de la basilique de Nice, la France entière craignait une nouvelle attaque terroriste. Depuis, vous aurez remarqué que les informations concernant l’affaire se sont faites plus discrètes. Et pour cause ! Pas de djihad à l’horizon mais un simple dépit amoureux. Ce soir là, l’attaquant venait d’apprendre que l’ecclésiastique entretenait une relation adultère avec sa compagne et décidait de régler ses comptes en personne. Le Parisien nous prévient : « Le parquet national antiterroriste ne s’était pas saisi des faits au regard de ces éléments et de la personnalité de la victime, qui était connue pour sa vie personnelle agitée. » Si on lit plus en détail les différents témoignages, on comprend qu’il s’agit d’un euphémisme. Le terme « tragi-comique » semble avoir été inventé précisément pour cette actualité… Mais rassurez-vous, après avoir passé quelques jours dans le coma, notre père Crétois (comme son nom l’indique*) s’est réveillé et se porte bien.

L’infidélité passionne les Grecs depuis toujours. La mythologie en est particulièrement friande à travers notamment les nombreuses aventures extra-conjugales de Zeus, immanquablement suivies de la vengeance de son épouse, Héra. En voici une liste non-exhaustive :

  • Zeus se métamorphose en Artémis pour approcher la nymphe Callisté. Pour échapper à Héra, il la transforme en ours mais celle-ci est alors chassée par Artémis, qui ne reconnait pas sa fidèle suivante. 
  • Zeus se transforme en Amphitryon pour faire l’amour avec sa femme, Alcmène. Une fois que son roi de mari comprend la supercherie, il tente de brûler vive son épouse, sauvée de justesse par Zeus dont la pluie éteint le bucher.
  • Zeus se change en nuage pour s’unir à Io, une des prêtresses d’Héra. Elle est changée en génisse blanche pour la protéger de la terrible épouse. 
  • Zeus prend l’apparence d’un aigle pour séduire Sémélé…avant de la foudroyer en se révélant à elle.
Dans son oeuvre Diane et Callisto réalisée en 1744, François Boucher nous présente l’immense tendresse partagée entre Callisté et celle qu’elle pense encore être Artémis…

Bref, les histoires d’amour de Zeus ça finit mal, en général surtout pour celles dont il est amoureux. Mais laissons Zeus un instant et intéressons nous plutôt à un autre triangle amoureux, celui composé d’Aphrodite, d’Arès et d’Héphaïstos


On ne présente plus, Aphrodite. Déesse de la beauté et de l’amour, protectrice de Troie pendant la guerre du même nom, elle est aussi une des plus anciennes divinités Grecques. Héphaïstos, lui, ne bénéficie pas des mêmes atouts. Dieu de la forge, il est un des seuls enfants d’Héra. À sa naissance, sa mère horrifiée d’avoir enfanté un être si laid le jette du haut de l’Olympe. Une manne pour les psychologues de l’Antiquité. Il est élevé en cachette par les divinités Thétis et Eurynomé qui lui transmettent l’art de la forge. Pour se venger de sa mère, il construit un trône sublime qui emprisonne quiconque s’y assoit. Héra tombe dans son piège et nul ne parvient à la libérer. D’abord décidé à la laisser ainsi emprisonnée, Héphaïstos finit par accepter de se rendre sur l’Olympe après avoir été enivré par Dionysos. En échange de la liberté de sa mère, il exige la main de la plus belle de toutes : Aphrodite. Zeus n’a alors d’autre choix que d’exaucer son voeux. 

Aphrodite et Arès, peinture murale de Pompeï que l’on peut admirer au musée de Naples. 

C’est l’Odyssée, au chant VIIII qui nous relate la suite. Alors qu’Héphaïstos passe toutes ses nuits dans la forge à façonner armures et bijoux, Aphrodite en profite pour accueillir dans leur lit son amant, le bel Arès. Dieu de la guerre et de la destruction, il est avec sa maitresse Aphrodite, protecteur de Troie dont il est le premier chef de guerre. Toutes les nuits, les amants se retrouvent. Arès demande à son serviteur Alectryon de surveiller le lever du soleil pour éviter d’être surpris par Hélios. Mais une nuit, las de cette mission fastidieuse le jeune éphèbe s’endort permettant Dieu Soleil de découvrir Aphrodite et Arès enlacés dans le lit conjugal. Outré, il s’empresse de tout raconter au mari trompé. Pour se venger (décidément !), Héphaïstos construit un filet en or aussi robuste que délicat. Il l’installe au dessus du lit et annonce à son épouse son départ pour Lemnos. À peine a-t-il tourné les talons qu’Arès se faufile jusqu’à son amante. Mais une fois les deux tourtereaux enlacés, le filet tombe sur eux. Pris au piège dans leur plus simple appareil, la déesse et le dieu supplient Héphaïstos de les libérer. Celui-ci préfère convoquer tout l’Olympe pour rire des deux amants. À la suite de cet épisode, Aphrodite s’exile à Rhodes et Arès, s’enfuit de son côté en Thrace sans oublier auparavant de punir Alectryon. Pour sa négligence, il est transformé en coq, forcé à chanter à chaque apparition du soleil…

* Les patronymes crétois se reconnaissent au suffixe “akis”, imposé par l’occupant Ottoman au XVIIème siècle

Monstres & Cie

En parcourant la page Wikipedia consacrée à la greffe sur végétaux, on découvre qu’elle a été importée de Chine à l’Antiquité par… les Grecs. Une information qui ne devrait pas nous étonner car si on se réfère aux oeuvres de l’époque, sur vase, papyrus ou parchemin, les greffes étaient déjà au coeur de l’imagination grecque. Je parle cette fois des greffes d’être vivants, cette manie de coller une tête de taureau sur une corps d’homme ou de multiplier les têtes de serpent sur un corps de chien. Quand il s’agit de greffer l’impossible, personne ne peut les battre. La chimère, soit l’association d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de serpent reste inégalée en termes de bizarrerie. Bien avant le LSD, la Mythologie a inventé des êtres hybrides improbables, souvent terrifiants, qui continuent de fasciner philosophes et psychanalystes. 

Pour cet épisode, on s’intéresse à un monstre mythologique dont les représentations ont été aussi diverses que multiples : la sirène. Entre celle, en bronze, de Copenhague, la petite de Disney, celles du port d’Alexandrie ou les terribles monstres des aventures d’Ulysse, difficile de s’y retrouver. D’ailleurs, qu’est-ce qu’une sirène ?

Détail du Vase aux sirènes, céramique réalisée au Ier siècle avant JC en Attique. Logiquement, vous pouvez le voir aujourd’hui au British Museum. 

Contrairement à l’imaginaire collectif, les sirènes mythologiques sont mi-femmes mi-oiseaux. Les mythes nordiques, bien plus tard, introduiront la sirène en être mi-femme mi-poisson. Celle d’Anderson, douce et romantique, possède donc bien une queue de poisson tandis que celles d’Ulysse, cruelles et trompeuses, sont en même temps un oiseau menaçant et une femme séductrice. Mais au cours des siècles, les deux représentations se sont mêlées de sorte que dans son Ulysse et les sirènes, Picasso les peint avec des ailes mais aussi avec des queues de poisson. 

En ce qui concerne leur origine, plusieurs théories s’affrontent. Ovide la fait remonter, une fois de plus, au mythe de Perséphone. La fille de Déméter est accompagnée de nymphes lorsqu’Hadès surgit de terre pour l’emporter aux Enfers. Pour avoir failli à secourir sa fille, Demeter transforme alors ses suivantes en ces terribles créatures. Ce qui me parait un peu injuste, mais après tout, la Mythologie n’a jamais été très tendre avec les femmes. Quant à Homère, ce n’est pas mieux, il raconte qu’elles sont crées par Aphrodite en punition d’avoir refusé d’offrir leur virginité à un Dieu…

C’est Homère qui les rendra célèbre dans l’Odyssée. Circé, fille du Soleil, alerte Ulysse du danger alors qu’il s’apprête à reprendre la mer pour rentrer chez lui après une année passée à ses côtés. Elle lui annonce : 

Tu rencontreras d’abord les Sirènes qui charment tous les hommes qui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure.

Homère, L’Odyssée, Chant XII 

John William Waterhouse – Ulysses et les Sirènes (1891)

Plus qu’une mise en garde, elle poursuit en lui expliquant très précisément ce qu’il devra faire pour ne pas tomber dans leur piège : mettre de la cire molle dans les oreilles de ses matelots et se faire attacher au mat pour ne pas succomber à leur projet diabolique*. Ulysse s’exécute et permet à son équipage de passer sans embûche. Le chant des sirènes, cette merveilleuse métaphore de toutes ces choses que l’on aime entendre, mais qui nous mènent à notre perte. Cette copine qui t’affirme que oui, oui, une frange fera ressortir tes yeux ou ce conseiller qui a assuré à Donald Trump que c’était une bonne idée de ne pas reconnaitre sa défaite. 

Pour finir, comme cette lettre a aussi une mission de service public et que je sais que les futurs parents sont toujours à la recherche de prénoms originaux, voici la liste des noms de sirènes que les auteurs Antiques nous ont fait parvenir** :

Aglaopé, Aglaophone – elle pourra regarder The Crown sans sous-titres, c’est sûr – Ligie, Leucosie – un prénom qu’il ne faut porter qu’en bonne santé– , Molpé, Pisinoé, Thelxiope, Thelxinoé, Thelxiépie et ma préférée, Parthénope. 

* Mes excuses pour cet anachronisme 
**Mes excuses, en avance, aux instits qui devront dans quelques années faire l’appel des petites Parthénope et autres Aglaopé. 

Un champ labouré et un double coup de foudre 

Vous avez rencontré votre âme-soeur à un mariage ? Vous n’êtes pas seul.e, c’est justement ce qui est arrivé à Demeter !

Détail de Eiréné portant Ploutos

Alors que tout l’Olympe se réunit en Crète pour les noces d’Harmonie et Cadmos, la déesse repère Iasion, fils de Zeus et d’Électre et accessoirement frère de la mariée. Sans plus attendre, elle lui promet « son amour et son lit »* et enivré.e.s par un nectar millésimé, les deux amoureux partent s’unir dans un champ labouré trois fois. À leur retour, Zeus aperçoit les traces de boues sur le bras du héros et comprend ce qu’il vient de se passer. Pour le punir d’avoir oser s’unir à une déesse, il le frappe de sa foudre. De cette union tragique nait Ploutos, dieu de la richesse, souvent représenté sous les traits d’un enfant accompagné d’une corne d’abondance**. Ce jeune dieu donne alors raison à la méfiance de Zeus : à travers l’agriculture, sans discrimination, il distribue la richesse aux divinités comme aux hommes. Mais le pauvre, comment lui en vouloir ? Il est né aveugle !

Statue de Demeter au British Museum

Il est assez ironique que Demeter ait enfanté le dieu de la richesse, elle qui se désintéresse de tout ce qui passionne les Dieux comme les Hommes, à savoir le pouvoir et l’amour. Elle ne fait d’ailleurs pas partie des douze Dieux de l’Olympe car plutôt que se prélasser sur le Mont mythique, elle préfère la culture des champs. En fait, ce n’est qu’avec Aristophane que Ploutos porte en lui l’aspect le plus négatif de la richesse. Il reprend la tradition présentant Ploutos aveugle pour en faire le symbole de l’immoralité de l’argent, le jeune Dieu visitant indifféremment les bons comme les mauvais.

C’est un des seuls mythes qui met en scène Demeter amoureuse. Elle a vécu l’amour dans la passivité avec Zeus et la violence avec Poséidon. Dans ce mythe, l’acte d’amour avec un simple mortel, Iasion, est le fruit de sa décision. Il y a donc une double inversion. D’abord celle du choix qui revient à la femme. C’est aussi l’inversion du schéma classique de la Mythologie où un dieu s’unit à une mortelle. Ici l’immortelle est femme et le mortel est homme.***

Je terminerai en soulignant que la plupart des mythes fondateurs de Demeter se situent en Crète, comme celui-ci ou celui de l’enlèvement de Perséphone. Bon signe de produire de l’huile d’olive sous le patronage de la déesse de l’agriculture, vous ne trouvez pas ?

* dans la version d’Homère. Dans la Théogonie, Hésiode parle lui « d’amour charmant » (philotês) pour décrire leur union.
** et sans Rolex
*** Sylvie Vilatte, Déméter et l’institution matrimoniale : le refus du passage (RBPH, 1992) 


Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 10

Première partie

Alors que je m’intéresse le plus souvent à l’île la plus méridionale de Grèce, la Crète, c’est une autre île qui aura toute notre attention aujourd’hui : Lesbos

Bientôt, vous saurez tout de l’implication de Lesbos dans la Guerre de Troie puis nous ferons un sacré bond temporel pour terminer avec son actualité.

Commençons par une petite mise à jour géographique avec quelques lieux essentiels :

Penthésilée l’amazone

C’est dans l’Iliade que l’île apparait pour la première fois dans les récits mythologiques*. Située juste au Sud de la puissante Troie en Asie Mineure, Lesbos abrite Penthésilée (Πενθεσιλεια), fille d’Arès et d’Otrèré, première reine des Amazones.

Guerrière redoutable, inventeure de la hache de guerre, elle décide de participer à la Guerre de Troie à la mort d’Hector pour venir en aide au roi Priam. Elle se bat aux côtés des Grecs lors de nombreuses batailles mais après une lutte épique qui deviendra un sujet classique de l’art Antique, Achille la blesse mortellement au sein droit. Arrive la séquence émotion de notre récit : Alors qu’il vient d’achever sa fière adversaire, il tombe amoureux d’elle, dévoilant l’autre facette de la personnalité complexe du héros : celle non plus d’un guerrier en colère mais d’un homme sensible. Je laisse le poète Théodore de Banville vous raconter la scène : 

Quand son âme se fut tristement exhalée
Par la blessure ouverte, et quand Penthésilée,
Une dernière fois se tournant vers les cieux,
Eut fermé pour jamais ses yeux audacieux,
Des guerriers, soutenant son front pâle et tranquille,
L’apportèrent alors sous les tentes d’Achille.
On détacha son casque au panache mouvant
Qui tout à l’heure encor frissonnait sous le vent,
Et puis on dénoua la cuirasse et l’armure,
Et, comme on voit le cœur d’une grenade mûre,
La blessure apparut, dans la blanche pâleur
De son sein délicat et fier comme une fleur.
La haine et la fureur crispaient encor sa bouche,
Et sur ses bras hardis, comme un fleuve farouche
Se précipite avec d’indomptables élans,
Tombaient ses noirs cheveux, hérissés et sanglants.
Le divin meurtrier regarda sa victime.
Et, tout à coup sentant dans son cœur magnanime

Une douleur amère, il admira longtemps
Cette guerrière morte aux beaux cheveux flottants
Dont nul époux n’avait mérité les caresses,
Et sa beauté pareille à celle des Déesses.
Puis il pleura. Longtemps, au bruit de ses sanglots,
Ses larmes de ses yeux brûlants en larges flots
Ruisselèrent, et, comme un lys pur qui frissonne,
Il baignait de ses pleurs le front de l’amazone.
Tous ceux qui sur leurs nefs, jeunes et pleins de jours,
Pour abattre Ilios environné de tours
L’avaient accompagné, fendant la mer stérile,
Frémissaient dans leurs cœurs, à voir pleurer Achille.
Mais seul Thersite, louche et boiteux et tortu
Et chauve, et n’ayant plus sur son crâne pointu
Que des cheveux épars comme des herbes folles,
Outragea le héros par ces dures paroles :
Cette femme a tué les meilleurs de nos chefs,
Dit-il, puis les ayant chassés jusqu’à leurs nefs,
Envoya chez Aidès, les perçant de ses flèches,
Des Achéens nombreux comme des feuilles sèches
Que le vent enveloppe en son tourbillon fou ;
Toi cependant, chacun le voit, cœur lâche et mou,
Qui te plains et gémis comme le cerf qui brame,
Tu pleures cette femme avec des pleurs de femme !
À ces mots, regardant le railleur insensé,
Achille s’éveilla, comme un lion blessé
Sur le sable sanglant qu’un vent brûlant balaie,
Dont un insecte affreux vient tourmenter la plaie,

Et, voyant près de lui ce bouffon sans vertu,
Il le frappa du poing sur son crâne pointu.
Thersite expira. Car le poing fermé d’Achille
Avait fait cent morceaux de son crâne débile,
De même que l’argile informe cuite au four
Est fracassée avec un grand bruit à l’entour,
Alors que le potier, justement pris de rage
Et fâché d’avoir mal réussi son ouvrage,
En se ruant dessus brise un vase tout neuf.
Il tomba lourdement, assommé comme un bœuf,
Et, regardant encor la guerrière sans armes,
Achille aux pieds légers versait toujours des larmes.

Détail de sarcophage représentant nos deux guerrier.e.s, 180 après JC. Retrouvé à Thessalonique, vous pouvez tout naturellement l’admirer aujourd’hui… au Louvre. 

Le plus grand retournement scénaristique depuis Usual Suspect

Octobre 2016 : Les habitant.e.s de Lesbos auront-ils le prix Nobel de la paix ? 


Janvier 2020 : Lesbos est-elle la honte de l’Europe ?

L’arrivée massive de migrant.e.s Afghans, Syriens et Irakiens venu.e.s chercher l’asile en Union Européenne depuis 2015 a radicalement transformée l’île qui se situe à moins de 15 kilomètres des côtes turques. L’UE avec la complicité du gouvernement grec a cherché, et a réussi à trouver, les limites de la générosité. 

Tout avait pourtant bien commencé. En novembre 2015, un groupe d’universitaires lance même une pétition signée par près de 700 000 personnes pour que les habitant.e.s de l’île reçoivent le prix Nobel de la paix. Sauvetages de bateaux par les pêcheurs, distribution de nourriture, hébergement dans les familles… les initiatives sont nombreuses et la solidarité est belle. Seulement, avec jusqu’à 10 000 arrivées par jour et pris dans un tourbillon sans fin d’arrivées et de retours (car certains migrant.e.s ayant réussis à rejoindre Athènes sont renvoyé.e.s à Lesbos), les locaux voient la situation leur échapper. Le désespoir s’installe alors que l’UE reste silencieuse. 

«Θέλουμε πίσω τα νησιά μας, θέλουμε πίσω τη ζωή μας» (Nous voulons retrouver notre île, nous voulons retrouver nos vies) ont crié les habitant.e.s de Lesbos à Mytilène fin janvier 2020. Ce cri de colère qui sent fort le repli identitaire est difficile à entendre. Plus encore, les attaques des migrants « briseurs de quarantaines » ou d’ONG par des locaux aux idées fascisantes sont les signaux gravissimes d’une situation intenable. Actuellement, plus de 18 000 migrants sont entassés dans le camp de Moria, conçu pour accueillir 3 000 personnes. Entre 2015 et 2018, le tourisme, principale source de revenus de l’île a diminué de 75%. Aujourd’hui, la population locale, qui craint que la sur-population du camp de Moria, encourage la propagation du virus, se sent plus isolée que jamais. Il n’y a désormais plus que des victimes sur cette île au passé illustre et aux multiples savoir-faire*. 

Un peu d’espoir pour finir ? L’Allemagne et le Luxembourg ont commencé à accueillir de (tout) petits groupes de migrant.e.s isolés dans les îles grecques, principalement des enfants. Dix des 27 pays de l’UE ont promis leur aide. Le 25 avril, 11 000 migrants « vulnérables » ont été transférés des camps se situant dans les îles grecques vers le continent afin de limiter le risque sanitaire. 

*l’ouzo de la ville de Plomari est très réputé ainsi que son huile d’olive. 

Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 8

Vous n’avez pas fait un seul cours de yoga à distance ? Il vous est impossible de vous concentrer, même devant le bureau des légendes ? Vos enfants passent cinq heures par jour devant la télé quand vous aviez juré que jamais, JA-MAIS !, ils n’approcheraient un écran avant leurs dix huit ans ? Rassurez-vous car il y a au moins un engagement envers lequel vous n’avez pas failli : une bouteille à a été ouverte chaque jour confiné.

Loin de moi d’encourager l’alcoolisme mais j’ai conscience que quand les temps sont durs, les bouchons sautent plus facilement. Alors aujourd’hui on parle d’alcool, sans attendre l’apéro.

Après avoir lu ce qu’il suit, vous en saurez sur Dionysos, Dieu de la vigne, vous aurez joué avec les alcools crétois et pourrez profiter le bon plan de ma soeur Léa : 6 bouteilles pour 59€ transport compris de sa sélection Vins d’avenir livrées chez vous. 

Zeus et Dionysos : une paternité maternelle 

La Mythologie m’a donné plus d’une fois eu l’occasion de vous parler de maternité. Celle de Déméter, qui la porte jusque dans son nom ou celle disons… contrariée d’Héra. Dionysos nous permet d’aborder cette fois le sujet de la paternité.

On a été habitué.e.s à étudier la paternité comme source de conflits : c’est en tuant son père Cronos, qui s’est lui-même opposé à son père Ouranos, que Zeus prend le pouvoir sur l’Olympe. Comme dans le cas d’Oedipe et Laios, pour un homme, donner naissance est souvent une projection de sa propre mort.

Mais le mythe de Dionysos permet d’entr’apercevoir un autre type de relation père-fils : Une relation aimante, protectrice, que l’on pourrait qualifier de maternelle.  

Dionysos est né des amours de Sémélé et de Zeus. Manipulée par la jalouse Héra qui la sait enceinte, elle supplie son amant de la laisser le contempler dans toute sa splendeur. Mais ne pouvant supporter la vue de ses éclairs, elle brûle. Zeus retire alors son fils du ventre de sa mère et le place dans sa cuisse pour mener la gestation à son terme. Dionysos est donc le Dieu « né deux fois », d’abord de sa mère puis de son père*.

La naissance de Dionysos – Détail d’une céramique du IVème avant JC

Cet épisode est raconté dans les Bacchantes d’Euripide :

Dans les transes des maternelles douleurs, quand tomba la foudre ailée de Zeus, sortit de la matrice avant l’heure – car sa mère foudroyée venait de quitter la vie… À l’instant Zeus le Kronide lui ménage un abri d’où il naîtra : dans sa cuisse il le dissimule et l’enferme, au moyen d’agrafes d’or, et le cache ainsi d’Héra… Et lorsque le terme vint, fixé par les Destinées, il le mit au jour, ce Dieu, encorné comme un taureau…

Ce rôle maternel, Zeus l’assume au même point d’éprouver les douleurs de l’enfantement dans la version d’en donne Euripide. 

On notera que Dionysos, fils d’une mortelle, n’est pas un demi-Dieu mais bien un Dieu à part entière. Comme si son séjour dans la cuisse de son père avait supprimé tout héritage maternel. 

Mosaïque du IVème siècle

Mais son ascendance très masculine ne le prive pas de qualités féminines, au contraire ! Dionysos, Dieu aux diverses représentations, ne se contente pas d’être le Dieu du vin : il est aussi le Dieu de la fécondité et du renouveau saisonnier. Son culte est essentiellement porté par des femmes, notamment lors des Dyonisies. Icône de la masculinité, on rappelle que les Dionysies consistent dans la procession d’un phallus géant, il est en même temps un dieu habillé en femme, avec des cheveux longs. Une ambiguïté qui fait de lui l’un des Dieux les plus intéressants de la Grèce Antique.

* thème repris avec plus ou moins de brio dans les films Junior avec Arnold Schwarzenegger ou L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune de Jacques Demi

Un de perdu, un Dionysos de retrouvé 

Quand Thésée parvient à sortir du labyrinthe du roi Minos et à échapper au terrible Minautore grâce à l’astucieuse Ariane, il est bien décidé de rentrer à Athènes avec sa sauveuse. Ariane quitte alors son père et la Crète pour l’aventure de l’amour avec son héros.

Dionysos et Ariane, Albacini , XVIIIe siècle

Pourtant, il ne faudra pas longtemps pour que la romance se transforme en cauchemar : en escale sur l’île de Naxos, Ariane s’assoupi un instant. Mais à son réveil, Thésée est parti en l’abandonnant sur l’île. En matière d’ingratitude, difficile de faire mieux. Heureusement Dionysos passe bientôt par ici et tombe fou amoureux d’elle. En cadeau de mariage, il offre à notre amoureuse une couronne d’or, oeuvre d’Héphaïstos, puis il place la parure de mariée dans le ciel pour former la constellation de la couronne boréale et Zeus, pour récompenser son fils bien-aimé, fait d’elle une immortelle.

C’est ce qu’on appelle le karma.

Jean-Pierre Vernant : “Dionysos, c’est la figure de l’autre”

Je vous recommande chaudement l’entretien de Jean-Pierre Vernant à la Radio Télévision Suisse sur le thème de Dionysos. Il a été réalisé en 2002 mais certaines citations comme «C’est un dieu vagabond. Il arrive dans les villes comme une maladie, une épidémie» sonnent plus actuelles que jamais. 
Voilà 32 minutes bien utilisées.

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Yamas !

Trouverez vous quels alcools crétois se cachent derrière ces rébus ?

Un plus difficile pour finir :

Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 7 (Partie 2)

Pour ce deuxième chapitre de notre mini-série consacrée au mariage grec, on s’intéresse à deux divinités habituellement appelées déesse ou dieu du mariage. 

Pour rester dans le thème je vous proposerai une recommandation culturelle, enfin…, disons une recommandation tout court !

Mariage et mythologie

La mariage est un thème récurrent de la mythologie grecque. Plus volontiers comme prétexte pour une guerre, on pense à celui d’Hélène et Paris, que pour pour vanter la félicité de la vie maritale d’ailleurs. Les Grecs anciens différencient le mariage de l’amour, de la sexualité et même de la famille*. Chez les Dieux, nul besoin de sentiments, le mariage vous sera généralement imposé, le plus souvent par Zeus lui même. C’est ce qui arrive par exemple à Aphrodite et Héphaïstos ou Perséphone et Hadès. Parfois, il est le fruit d’une malédiction comme pour Jocaste et Oedipe. Bref, loin très loin du “il se marièrent et eurent beaucoup d’enfants“. 

Deux divinités portent plus spécifiquement en elles la symbolique du mariage. 

Mariage de Zeus et d’Héra sur le mont Ida, Pompéi

Héra (Hρα)représente l’union conjugale en opposition à la maternité. D’ailleurs, l’épouse de Zeus n’est guère féconde : ses enfants sont des divinités mineures (Hébé) ou en conflit avec elle (Héphaïstos). C’est avec d’autres épouses (Létô, Maïa, Dioné, Sémélé…) ou seul (pour Athéna) que Zeus engendre les grandes divinités. 
Héra tente, souvent en vain, de défendre les intérêts de ses enfants légitimes. Mais ce souci s’exprime bien plus dans son acharnement pour les enfants adultérins que par sa sollicitude pour ses propres enfants. D’ailleurs, quand elle met au monde Héphaïstos, fâchée d’avoir enfanté un être boiteux, elle le lance du haut du ciel ! Dans la mythologie, l’épouse et la mère ne se trouvent pas dans la même personne… 

Il est très intéressant de noter que Héra a connu un retour de grâce au XIXème puis XXème siècle en Grèce sous l’influence de l’Église orthodoxe. Loin de la débauche Zeus, de l’infidèle Aphrodite, des amours homosexuels d’Apollon ou de l’indépendante et rebelle Athéna, Héra, elle, remplit tous les critères de la parfaite épouse chrétienne. l’Église orthodoxe, qui je le rappelle a été à l’origine de la guerre d’indépendance de 1821 et qui exerce toujours une influence majeure en Grèce, décide habilement de s’emparer de cette figure pour prôner un ordre social normé et conservateur. Difficile dans ce pays toujours ramené à son antiquité illustre de s’affranchir tout à fait de ses mythologies. Alors un travail de réécriture se met à l’oeuvre. Jusque dans les années 1960, les jeunes enfants Grecs apprennent par exemple à l’école qu’Héra est la mère d’Athéna. Ainsi, la déesse amère et malveillante décrite par Ovide ou Homère devient la mère aimante de la protectrice de la capitale. 

Je vous déclare unis par les liens du mariage…. 
Détail d’une céramique, Grèce, Vème siècle avant J

Hymen (Ὑμέναιος), lui, est une divinité qui apparait bien plus tard et c’est les Romains qui feront de lui le Dieu du mariage. Appelé Hyménaios chez les Grecs, on le découvre chez Homère et Hésiode mais il désigne le chant nuptial qui accompagne la future mariée vers la demeure de son époux. C’est Euripide qui, le premier, invoque Hyménaios en tant que divinité. 

Une des légendes tardives les plus célèbres est celle qui l’oppose aux pirates. Ce fils de Caliope et d’Apollon est si beau qu’il est souvent pris pour une femme, ce qui n’empêche pas ce jeune Athénien d’être ignoré par l’élue de son coeur. Pour s’approcher d’elle, il se déguise en vieille femme et se glisse parmi le groupe d’amies. Elles sont justement sur le départ pour se rendre à Éleusis pour sacrifier à Démeter**. Mais à cet instant, des pirates les font prisonnières et prennent avec elles notre malchanceux Hyménaios***. Celui-ci va profiter de ces circonstances malheureuses pour prouver sa valeur. Il attend la nuit et, à lui seul, tue les pirates. Il rentre alors à Athènes et promet de rendre les jeunes filles à condition qu’on lui donne en mariage celle qui l’aime. 

* Une situation similaire à la notre donc
 ** les lecteurs et lectrices les plus appliqué.e.s remarqueront que les newsletter se répondent entre elles 
  *** qui aurait déclaré « je suis pas venu ici pour souffrir ok? »

Rubrique 7ème art : Mariage à la grecque

On commencera par dire que le titre original de ce chef d’oeuvre est beaucoup plus explicite : my big fat greek wedding.

Au cas où quelqu’un aurait l’espoir qu’on éviterait les clichés, la fameuse police de caractères “grecque” de l’affiche permet éviter toute confusion. On utilise le sigma, le “s” grec, comme un “e” ? Peu importe, nous sommes à Hollywood !

Mais avec le bon état d’esprit (avec du vin donc), on saura apprécier quelques répliques cultes et se dire que finalement, notre famille est vraiment super. 

Avec un budget de 5 millions de dollars, le film a rapporté près de 370 millions, dont 90% sont attribués par moi-même à la diaspora grecque que l’on sait nombreuse et nostalgique !

Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 7 (Partie 1)

Quand il s’agit de leur héritage culturel, musical ou culinaire, les Crétois sont très conservateurs.

Pour vous faire une idée, pensez à la personne la plus conservatrice que vous connaissez. Vous l’avez ? Non, je ne vous parle pas de cet oncle chauvin qui dit “on fait quand même de bonnes choses en France” en dégustant un St Joseph. Je vous parle plutôt de celui qui a refusé de goûter ce whisky Talisker de 16 ans d’âge parce qu’il préfère le calva maison du voisin. 

Le problème avec le conservatisme, c’est que ce whisky écossais, il était vraiment très bon. L’avantage, c’est qu’il permet aux traditions de perdurer, de se transmettre et de réunir les générations. 

Aujourd’hui, en l’honneur de tous les mariages reportés, oui même ceux auxquels vous étiez ravis d’échapper, on enfile nos habits de lumière et on file à la plus traditionnelle des traditions : le mariage grec ! 

Et comme il y avait fort à dire sur le sujet, ce n’est que le premier acte d’une saga en deux partie. 

Quatre mariages et deux mille invités 

Dans un pays où plus de 90% de la population se reconnaissent comme orthodoxes (et seulement 4% athées), le mariage religieux est de rigueur pour tous les couples qui auraient l’espoir de dîner ensemble au restaurant sans provoquer un mini-scandale. 

Il y a chez la jeunesse grecque une grande fierté vis-à-vis de leurs traditions et elle semble bien déterminée à maintenir ses rituels.

Il y a chez la jeunesse grecque une grande fierté vis-à-vis de leurs traditions et elle semble bien déterminée à maintenir ses rituels.

C’est particulièrement marquant lors de la cérémonie religieuse, avec, par exemple, le rite des Stefana (στέφανα), ces couronnes tressées placées tour à tour sur la tête du marié et de la mariée. C’est souvent l’occasion pour le ou la pauvre témoin responsable de ce passe-passe d’emmêler les rubans et de marcher sur la traine. La cérémonie se poursuit malgré tout et après avoir partagé une coupe de vin, les mariés font trois fois le tour de l’autel et embrassent la croix tenue par le pope*. Pendant son discours, en particulier durant le passage sur les obligations de la mariée envers son époux, les femmes modernes ont le bon goût d’écraser le pied de leur fiancé. Pour qu’il ne se fasse pas trop d’illusions en quelques sortes. 

Après la cérémonie, on rejoint le lieu de la fête et si vous avez déjà croisé un.e Grec.que dans votre vie, vous savez qu’ils s’y connaissent en générosité. Alors on oublie la liste de mariage et on invite tout simplement le village en entier. 500 personnes ? Même pas peur. 

Les grandes tables sont installées et le Meltemi, le vent du Nord qui souffle l’été, vient s’engouffrer sous les nappes en papier. Pas de plan de table, pas de buffet. Les assiettes de mezze sont déjà servies et chacun peut déguster une tiropita, un peu de xigalo, le fromage de chèvre et brebis local ou un dolmades. Puis arrive un plat de spaghetti (trop cuites) sauce tomate à la viande façon bolognaise avant l’agneau (ou le porc) au four, toujours accompagné de frites. C’est souvent froid mais on est pas venu pour ça. 

Opa!

Danseurs et danseuses à un mariage au centre de la Crète en Juillet 2019 photographié.e.s par Georges Tatakis.

Mieux que Claude François pour réunir les générations, la seule musique acceptée est le rebetiko (ρεμπέτικο), ce style de musique grec dont j’aimerai beaucoup vous parler une prochaine fois. En ce qui concerne la danse, vous avez sûrement entendu parlé du Sirtaki, celle que l’on aperçoit dans le mythique Zorba Le grec par exemple ? De façon similaire, en Crète, on danse en ligne en se tenant par le bras. Et à chaque région de Grèce, sa déclinaison. En Crète, nous avons le Siganos (σιγανος) ou le rapide Maleviziotis (μαλεβυζιώτης).

Quelques fois, le mariage se transforme en véritable performance de danse comme lors de celui-ci. À d’autres, plus sérieux, des danseurs professionnels viennent ouvrir le bal comme lors de celui-ci ou celui-là.

Vous voulez profiter du confinement pour apprendre quelques pas ? Voici un tuto ! 

 * je vous parle d’un temps que les pré-covid19 ne peuvent pas comprendre. 

Le mariage de Thétis et Pelée

Pire encore que le mariage de mon meilleur ami*, je vous présente le mariage de Thétis et Pelée.

Pelée retenant Thétis par la taille. Un petit lion semble surgir derrière sa tête pour venir mordre le bras de Pelée, faisant allusion aux transformations de Thétis. 

Alors que Zeus lui-même convoite la belle néréide Thétis, la sage Thémis fait la prédiction suivante  : Déesse de l’onde, il faut que tu deviennes mère ; de toi naîtra un fils dont les exploits surpasseront ceux de son père et qu’on proclamera plus grand encore.” Inquiet, Zeus préfère alors la marier à Pelée. On est jamais trop prudent.

Fâchée de devoir épouser un simple mortel, Thétis s’échappe. Avec l’aide du centaure Chiron, Pelée se met à sa poursuite et la retrouve dans une grotte de Magnésie. Ultime tentative de fuir ce mari encombrant, elle se transforme alors tour à tour en lion, serpent, feu, seiche, arbre et eau. Mais ce dernier l’attache avec des chaines et l’enserre si fort de ses bras qu’elle reprend sa forme humaine. “Ce ne peut être, dit-elle, que par la volonté des Dieux que tu triomphes.”** : Le mariage peut enfin avoir lieu. 

Tous les Dieux sont invités à l’union sur le mont Pélion. Tous ? Non ! Eris, la Discorde, dont on redoute la présence n’est pas conviée. Pour se venger, celle-ci apparait tout à coup et jette sur le banquet une pomme d’or qui porte l’inscription “A la plus belle!”. C’est cette pomme qui, indirectement, sera la cause de la guerre de Troie. Et pour boucler la boucle, devinez qui nait de l’union de Thétis et Pelée ? Je vous le donne en mille : Achille !

Mariage de Thétis et Pélée par Rubens

 * Classique de 1997 avec Julia Roberts
 ** Ovide, 
Les Métamorphoses. Qui a dit que ces astérisques ne servaient qu’à faire des blagues ?

Confinés dans l’huile – Épisode 5

Heure d’été cette semaine, passage de l’hiver au printemps il y a dix jours sans compter ma grand-mère qui m’a encore dit hier qu’il “y’a plus de saisons”. Bref, on ne pouvait imaginer un meilleur moment pour vous parler d’un de mes mythes préférés, celui du rapt de Perséphone par Hadès et la création des saisons.

Sur une plaine ensoleillée,
narcisses blanches et nymphe Cyané…

Perséphone (Περσεφονη), souvent appelé Coré (Κόρη, la jeune fille), est la fille de Demeter (Δημήτηρ, composé de μήτηρ, la mère), déesse de l’agriculture et de la fertilité et de Zeus. 

Alors qu’elle cueille des narcisses avec la nymphe Cyané dans la plaine d’Enna, en Sicile, Perséphone est enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, qui surgit soudainement des entrailles de la Terre sur son char tiré par ses chevaux bleu nuit.

La nymphe Cyané tente de s’interposer mais d’un coup de sceptre, Hadès disparait de la surface terrestre et emporte Perséphone avec lui. Terrassée par le chagrin, Cyané, en larmes, se transforme immédiatement en fontaine. C’est comme cela que la pauvre Perséphone rentre dans la longue tradition des femmes capturées et abusées de la mythologie grecque*.

Avant de disparaître, Perséphone a juste le temps de pousser un cri. 

Terre cuite datant du 1er siècle avant JC découverte en Asie Mineure représentant Démeter et Perséphone. On y perçoit l’immense tendresse qui unit la mère et sa fille.

Pendant neuf jours et neuf nuits, Demeter, sous les traits d’une vieille femme crétoise, cherche sa fille adorée dans le moindre recoin. Pleine de fureur, elle quitte l’Olympe et délaisse les champs et les cultures. Selon l’hymne homérique à Déméter, seul.e.s Hécate, la déesse de la Lune et Helios, la personnification du Soleil, ont entendu le cri de Coré. Démeter, se rend justement auprès d’Hélios qui lui confirme l’insupportable nouvelle : inutile de remuer ciel et terre plus longtemps car c’est aux Enfers que sa fille est cachée !

Sans la protection de la plus fertile des déesses, plus rien ne pousse, le bétail meure et très vite, la famine ravage la Terre. 

Les dieux s’en inquiètent à commencer par Zeus, complice du rapt de la jeune Perséphone. Toujours soucieux du sort des mortels, le roi de l’Olympe souhaite trouver une issue au conflit qui oppose Hadès et Démeter.

Il envoie donc Hermès dans le monde souterrain pour exiger d’Hadès qu’il rende Perséphone. N’osant s’opposer trop frontalement à son frère tout puissant, Hadès tente une habile manipulation : il acceptera de renvoyer Perséphone à condition qu’elle n’ait pas goûté à la nourriture des morts. Quand elle lui affirme qu’elle n’a rien touché depuis son terrible enlèvement, Hadès, pris à son propre piège, n’a d’autre choix que de la laisser partir. 

Détail du Rapt de Proserpine du Bernin, 1624.

Mais hélas ! Au moment où Perséphone s’apprête à quitter les Enfers, Ascalaphos assure l’avoir vu manger un grain de grenade. Dans la version d’Ovide, pour le punir de cette odieuse délation, Démeter le transforme en chouette**. Pour un seul grain de grenade, Perséphone est condamnée à ne plus voir la lumière du jour…

Démeter est inconsolable et la famine continue de faire rage. Bien embêté, Zeus propose alors le compromis suivant : Perséphone passera la moitié de l’année sur Terre avec Déméter et l’autre aux Enfer avec Hadès. Six mois par an, notre jeune Coré qui aimait cueillir les fleurs avec les nymphes sous le soleil de Sicile se métamorphose en cruelle reine des Enfers. Elle est souvent représentée auprès de son mari, tenant un pavot dont les vertus soporifiques symbolisent le sommeil annuel de la nature car nous tenons ici l’explication des saisons : Perséphone, aux côtés de son mari, rien ne pousse et rien ne fleurit : c’est l’automne et l’hiver. Mais dès qu’elle retrouve sa mère, les cultures reprennent, c’est le printemps et l’été.

Le Rapt de Proserpine, Rembrandt, 1631

* Nos pensées à Cassandre, Daphné, Danaé, Callisto, Méduse…
** Confirmant que «snitches get stitches»  

Pour les complotistes d’entre vous

Les amateurs de Martis remarqueront que cette histoire rejoint celle de nos petits bracelets rouge et blanc.

Détail de la grande stèle des mystères d’Éleusis, ou relief de l’initiation, découverte à Éleusis en 1859. Elle représente Démeter, à gauche qui donne un objet mystérieux au jeune roi d’Éleusis Triptolème sous les yeux de Perséphone, à droite. 

Nikolaos Politis, pionnier de l’étude des folklores grecs, lie la coutume des Martis aux origines mystérieuses au mythe de Déméter, la déesse de la terre. Alors que Démeter est à la recherche de sa fille, elle arrive déguisée en mendiante dans la ville d’Éleusis, près d’Athènes. Malgré son apparence modeste, le roi Céléos la reçoit avec respect et lui offre du vin et du fromage. Pour le remercier, elle lui enseigne l’art de l’agriculture et l’initie à ses “Mystères”. C’est  le point de départ d’une tradition, les fameux Mystères d’Éléusis, qui devient une des fêtes les plus célèbres et énigmatiques de la Grèce antique. Castors & Pollux, les fondateurs de Rome, ou encore le philosophe Hippocrate (et Beyoncé aussi, selon moi) auraient fait partie des initiés.
On sait peu de choses des rituels respectés au cours de cette fête hormis que ses initiés portaient un bracelet rouge et blanc à leur main droite…

Pourquoi la tartine qui tombe atterrit-elle
toujours du côté où se trouve la confiture ?

On appelle mythe étiologique un mythe qui cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel, ou la création d’un être ou d’une chose. La création des saisons par exemple ! Ovide en était particulièrement friand et on trouve de nombreux dans ses Métamorphoses.


Trouverez-vous lequel de ses phénomènes n’a pas été expliqué par Ovide ? *

1. Pourquoi nos voix forment un écho ?

2. Pourquoi le vernis sur les doigts de pieds tient beaucoup plus longtemps que sur les mains ?

3. Pourquoi les araignées tissent un fil ?

4. Pourquoi Nicolas et Carla sont-ils tombé.e.s amoureux ?

5. Pourquoi le plumage du paon semble dessiner des yeux ?

LES RÉPONSES

Pourquoi nos voix forment un écho ?

Nymphe des montagnes, Echo est condamnée à ne plus pouvoir parler, sauf pour répéter les derniers mots qu’elle avait entendus par Héra après que cette dernière eut compris qu’Écho couvrait les infidélités de Zeus en embarquant Héra dans d’interminables récits qui l’empêchaient de prendre son époux sur le fait.

Pourquoi les araignées tissent un fil ?

Jeune fille de Lydie en Asie Mineure, Arachné provoque la colère d’Athéna quand elle lui affirme qu’elle est la meilleure tisseuse du monde, meilleure même que la déesse. Afin de lui prouver sa supériorité et la punir de son arrogance, Athena organise un concours. Tandis que la déesse choisit d’illustrer sa broderie des dieux de l’Olympe et dans les coins les mortels présomptueux, la jeune fille, elle, représente les dieux en proie à des comportements honteux, notamment Zeus avec ses nombreuses amantes illégitimes. Le tissage est parfait mais jalouse et furieuse, Athena déchire l’ouvrage d’Arraché. Ainsi humiliée, la mortelle se pend. Pleine de remords, Athena offre alors une seconde vie à à Arachné, mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse tisser pour l’éternité.

Pourquoi on ne peut rien faire contre l’amour ?

Amoureuse ? Amoureux ? Ne chercher plus si c’est ce petit nez retroussé qui vous a séduit ou cette culture encyclopédique. C’est tout simplement ce cher Cupidon, fils d’Aphrodite, qui vous a touché d’une de ses flèches ! Si Carla n’a rien pu faire, vous non plus.

Pourquoi le plumage du paon semble dessiner des yeux ?

Héra confia à Argos, géant doté de cent yeux, la surveillance d’Io, prêtresse du temple d’Héra, qu’elle soupçonne d’entretenir une relation avec Zeus, son mari. Ce dernier confie alors à Hermès la mission de tuer le géant. Hermès l’endort en lui chantant une longue chanson accompagnée de sa lyre et profite de son sommeil pour lui couper la tête. Pour honorer sa mémoire, Héra récupère alors ses yeux et s’en servit pour garnir la queue de son animal favori, le paon.

 * On m’a indiqué que mes jeux de la lettre 3 étaient trop durs, je m’adapte donc à mon lectorat 😉  

Le rapt de Perséphone, le florilège

Ce mythe, je ne suis pas la seule à l’aimer. Sujet classique s’il en est, il inspire les artistes depuis plus de deux mille ans ! Je vous ai concocté un florilège de ses représentations du Bernin à Rembrandt en passant par Dürer : 

Sarcophage romain en haut-relief en marbre,

2ème siècle après JC 

Albrecht Dürer, 1516

Nicolo dell’ Abate, 1570

Le Bernin, 1624

Cette statue du Bernin, j’ai eu la grande chance de l’admirer à la villa Médicis à Rome. La détresse de Perséphone, le geste violent et charnel d’Hadès, la rage du cerbère aux trois tête dissimulé ici, tout y est magnifique.

Les larmes de Perséphone

La force d’Hadès

Rembrandt, 1631 

Simone Pignoni, 1650 

Frederic Leighton, 1891

John William Waterhouse, 1912

La jeune fille et la mort, ballet de Stephan Thoss, 2015

Confinés dans l’huile – Épisode 4

Quelle meilleure occasion de prendre un peu soin de nous que ce confinement ?

Si c’est l’aspect culinaire qui monopolise d’habitude mon attention, l’huile possède aussi de nombreuses qualités cosmétiques.  Alors on sort de son pyjama et on apprend deux trois choses au passage. 

Les corps (nus et huilés) à l’Antiquité 

Au bain ! 

Chez les grecs de l’Antiquité, la beauté passe avant tout par la propreté. Les demeures les plus riches possèdent leurs propres salles de bain, alimentées en eau par les aqueducs, voire des thermes privés pour les plus vastes domaines et pour les autres, les thermes publics sont omniprésents en ville. Verdict : confiné.e ou pas, on file sous la douche. 

Des corps huilés

Intérieur d’une coupe. Un athlète verse de l’huile dans sa main alors qui se prépare pour l’exercice, 510 avant JC

Ceux qui prennent le plus le soin de leur corps, ce sont les athlètes. Avant les exercices, ils se lavent à une fontaine puis se frictionnent d’huile d’olive pour éviter les accidents musculaires. Souvent, ils mélangent l’huile à du sable avant de s’en recouvrir pour se protéger du froid, du soleil et des coups portés. L’huile est gardée dans des amphores en terre cuite. Pendant les prestigieuses Panathénées, les jeux d’Athènes, des amphores sont offertes aux vainqueurs sur lesquelles est le plus souvent représentée Athena, elle qui avait justement offert un olivier à la ville qui porte son nom.

Athena couronne le vainqueur d’un match de boxe. 363 avant JC

Tous nus et tous bronzés 

N’importe quel enfant lâché au Louvre l’aura vite remarqué : les grecs s’embarrassaient assez peu de textile.  Mais attention, la nudité n’est pas pour tout le monde. Les femmes restent couvertes quand les corps des hommes se dévoilent comme on le voit sur cette amphore du 4ème siècle avant JC. 

Boxeurs nus couronnés par Olympia, habillée sur la gauche, 340 avant JC

À l’inverse de notre époque moderne, c’est sur les jeunes hommes que la pression sociale de l’apparence s’exerce. Sans toge pour cacher ce petit bourrelet acquis lors du dernier banquet, il n’est pas question de se laisser aller, d’autant plus que les normes esthétiques sont sévères : on les veut minces, élancés et le muscle saillant s’il vous plait !

Pour les grecs, être nus, c’est accéder à une forme supérieure de civilisation. D’ailleurs, seuls les citoyens peuvent avoir cet honneur. La nudité athlétique est au grec ce que le dernier iPhone est au californien du XXIème siècle : une certaine idée du progrès.  

Voici ce qu’en dit Platon dans sa République :

– Il n’y a pas si longtemps qu’aux yeux des Grecs certaines choses paraissaient honteuses et ridicules, qui le sont encore aujourd’hui aux yeux de la majorité des Barbares, à savoir que les hommes se laissent voir nus. Rappelons que, lorsque les Crétois, les premiers, et ensuite les Lacédémoniens se mirent à pratiquer nu, les policés de ce temps avaient quelque droit de railler toutes ces nouveautés ; ne le crois-tu pas ?
– Si.
– Mais lorsqu’en s’exerçant ils s’aperçurent qu’il était préférable de se dévêtir que de demeurer vêtu, même ce qui semblait ridicule à leurs yeux disparut devant ce que les arguments révélaient comme ce qu’il y a de meilleur. 

Beaux et belles comme des dieux


Fini la théorie ! Voici trois idées pour vous chouchouter à la grecque.

1. Un gommage pour la peau 

Détail de la Venus/Aphrodite de Milo, 2ème siècle avant JC

Le corps sexuellement idéal, pour le Grec de l’Antiquité, est un corps jeune à la peau éclatante, douce et lisse comme celle des statues de bronze qui étaient entretenues polies et brillantes pour rester lumineuses et douces au toucher. 

Alors pour se la jouer statue grecque, on suit le programme suivant : 

Ingrédients : 
– Deux cuillères à soupe de sucre fin
– Deux cuillères à soupe d’huile d’olive (ou amande douce ou macadamia)
– Une cuillère à soupe de miel liquide
– Un demi citron (qui cicatrise les petits boutons)

Appliquez  le gommage sur peau humide pour les peaux sensibles, en réalisant des mouvements circulaires et en insistant au niveau des genoux, coudes et talons, puis rincez à l’eau claire.

2. Un masque pour les cheveux 

Détail de Dionysos avec Panthère et Satyre, 2ème siècle après JC

Ingrédient :
– Huile d’olive 

On démêle les cheveux s’ils sont longs et on applique l’huile petit à petit en commençant par la racine. Avec un peigne, on applique l’huile jusqu’aux pointes et on laisse poser sous une serviette chaude si possible ou un torchon (vous allez avoir des taches de gras !). Habituellement, je vous aurais conseillé de le garder toute la nuit mais grâce au confinement, vous pouvez le faire en pleine journée. L’astuce : mettre un bonnet de bain de piscine et hop, on peut vaquer à ses occupations ! 

Bonus : Ça marche aussi pour les barbes (qui sont j’imagine de plus en plus fournies !) 

3. Un soin pour les ongles

Détail de l’aurige de Delphes, ou Hêniokhos (du grec ἡνίοχος, « qui tient les rênes ») 478 avant JC

Ingrédients : 
– Huile d’olive 
– Quelques gouttes de jus de citron 

Massez vos ongles chaque soir avec de l’huile d’olive et quelques gouttes de citron connu pour ses propriétés blanchissantes. L’huile d’olive donnera un aspect brillant à vos ongles et assouplira vos cuticules, que vous pourrez plus facilement repousser par la suite.

Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ! 

… dirait Baudelaire pour parler de ce qui nous arrive. 

Raymond, un parrain d’olivier, a lui aussi pris sa plume pour répondre à ma dernière lettre. Je vous laisse en profiter : 

Vous ne rêvez pas, oui, il s’agit bien d’un sonnet en alexandrins ! Alors bravo et merci à lui pour ce cadeau qui fut un vrai rayon de soleil dans mon confinement.

Et en Grèce ?

On m’a demandé de faire un point sur la situation en Grèce.

Les grecs se sont confinés assez tôt, dès le 10 mars quand il y avait moins de 100 cas sur le territoire, et comptent encore peu de malades et de morts (environ 1000 cas confirmés et moins de 30 morts au moment où j’écris). Il y a néanmoins deux sujets d’inquiétude : l’état de l’hôpital public grec tout d’abord, terrassé par les politiques d’austérité, et les camps de migrants, notamment celui de Lesbos où le virus pourrait faire des ravages. 


J’échange régulièrement avec nos producteurs crétois. La proximité de la nature et le bon air crétois leur permettent de ne pas souffrir autant que nous du confinement. Cependant, Manolis, notre producteur d’huile d’olive, craint pour l’avenir économique de son pays qui panse encore les plaies d’une crise terrible. Il est aussi inquiet du gel des commandes d’un de ses clients allemand qui constitue, avec nous, un de ses plus gros comptes. Brigitte, la productrice de savon est, elle, très occupée par l’école à la maison de ses deux filles. En famille, ils profitent de ce moment suspendu pour planter des graines, les regarder pousser et savourer encore un peu plus le luxe inouï d’être entourés d’une nature si belle.

Pour finir, l’hymne “on reste chez nous” (“Θα κάτσω σπίτι”) chantée par des célébrités grecques, qui m’a été partagée par une de nos marraines, Cécile !

Chouchoutez vous bien et à très vite, 

Manon

Confinés dans l’huile – Épisode 3

Fini la déprime pour cet épisode trois !

Au menu : des jeux, des jeux et encore des jeux. Vous avez des ados à la maison ? J’ai pensé à vous. Vous aimez vous creuser la tête ? Il y en a aussi pour vous.

1er jeu :
Mythologies modernes


On finit par le film en question : 

Merci à Manuel pour son savoir illimité, surtout quand il s’agit de cinéma d’action américain 🙂 

Réponses :

A-6-β, B-5-ζ, C-4-δ, D-3-γ, E-2-α, F-1-ε

2ème jeu :
Rébus mythologiques

Trouverez vous ces divinités qui se cachent derrière ces rébus ??

#1 

  • Mon premier m’évoque Angela Davis et les Jackson 5
  • Mon deuxième est une addition réalisée Agatha Christie mais bon, aujourd’hui ça ne se dit plus 
  • Mon troisième est une version glottophobe de ma boisson préférée

 “Infortunée que je suis, te voilà encore à mes côtés, pleine de desseins perfides” dira Hélène à mon tout. 

#2 

  • Mon premier dit « Monsieur » en allemand 
  • Mon deuxième est un synonyme de boutons, sans le nez 
  • Le loup n’en avait pas mais il avait tout le temps faim donc l’un dans l’autre… 

Mon tout a un jumeaux qui est aussi son demi-frère, ce qui est, vous l’admettrez, peu courant. 


#3 (l’instant regression)

  • De mon premier, Jean-Marie Bigard adore parler 
  • Mon deuxième est un prout grec 
  • Pour mon troisième, reprendre c’est voler 

Mon tout est très sollicité tous les ans au mois de février

#4

  • Ma première est avocate des droits de l’homme. Elle prend aussi son p’tit dej avec Georges Clooney. 
  • En faisant le lit, ma grand-mère appelait mon deuxième « têtes » et c’est mon erreur de français préférée 

Mon tout, Zeus lui doit la vie !

Assez réfléchi ?

Réponses :

  1. Aphrodite
  2. Herakles
  3. Cupidon
  4. Amalthée

D’ailleurs, en parlant d’Amalthée, fierté crétoise oblige, je vais vous en toucher quelques mots : 

Dans la mythologie grecque et, à l’origine, dans la mythologie crétoise, Amalthée est la mère nourricière de Zeus. On la représente soit sous la forme d’une chèvre qui allaite le Dieu encore bébé dans une grotte de Crète, soit, et le plus fréquemment, sous les traits d’une nymphe qui lui donne à boire le lait d’une chèvre. La chèvre s’étant cassée une corne, Zeus l’offrit à Amalthée, en lui promettant que cette corne se remplirait miraculeusement de fleurs et de fruits : c’est la corne d’abondance. La peau de cette même chèvre fournit plus tard l’armure de Zeus, l’égide. Le dieu plaça Amalthée et l’animal parmi les astres (comme quoi Mufasa n’avait pas tort).

3ème jeu :
Dis le moi en emoji

Retrouvez les mythes grecs qui se cachent derrière ces emoji ! 


#1 –  🦁🐉🦌🐖🐎🐤🐂🐎👸🏻🐲🍏👹

#2 –   👩🏻🌳🧜🏼‍♂️🐎

#3  –  👼🏼⚡️🐏🐝👑

#4 –  💑 ⛵️😴🐎🔥

Et maintenant, à vous !

Traduisez les mythes suivants en emoji : 

  • La naissance de Dionysos de la cuisse de Zeus 
  • Et celle d’Athena, cette fois, du crâne de Zeus
  • Le mythe de Cupidon, fils d’Aphrodite et d’Arès, qui se blesse de sa propre flèche et tombe malencontreusement amoureux de Psychée
  • Et celui de Perséphone, enlevé par Hadès à sa mère Déméter, expliquant l’origine des saisons
  • Sans oublier d’Oedipe, condamné à épouser sa mère et tuer son père, qui résolu l’énigme du Sphinx et libéra Thèbes
  • Ou Thésée, qui a combattu le Minotaure et réussi à sortir du labyrinthe grâce au fil d’Ariane…

Et surtout pensez à me partager vos trouvailles !!


Réponses :

1. Les douze travaux d’Herakles : Tuer le lion de Némée; Tuer l’hydre de Lerne, un serpent à plusieurs têtes; Capturer la biche de Cérynie, une biche ayant la particularité de posséder des pieds d’airain, protégée par Artémis; Capturer le sanglier d’Érymanthe;  Nettoyer les écuries d’Augias en un jour; Tuer les oiseaux du lac Stymphale, qui mangent les hommes; Capturer le taureau furieux de Crète; Capturer les juments de Diomède, qui ont la particularité de se nourrir de la chair des hommes; Rapporter la ceinture d’Hippolyte, reine des Amazones; Tuer le monstre Géryon et voler son troupeau; Prendre les pommes d’or du jardin des Hespérides; Capturer Cerbère et délivrer Thésée des enfer

2. La fondation d’Athènes (voir newsletter #1)

3. La naissance de Zeus et son enfance, nourri et protégé en Crète par la chèvre Amalthée et les abeilles qui butinent pour lui le miel de thym avant de devenir une fois pour toutes roi des Dieux.

4. La guerre de Troie. Hélène et Paris tombent amoureux et partent ensemble à Troie ce qui provoque la colère de Ménélas. Les grecs partent en bateau, tiennent le siège de la ville et finissent pas s’introduire avec un cheval de bois grâce à l’ingénuité d’Ulysse et de brûler la cité.


Réponse : 
¡ ǝƃɐɹnoɔ uoq

Confiné.e.s dans l’huile – Épisode 1

Nous y voilà ! À l’image du Minotaure dans son labyrinthe, nous sommes toutes et tous enfermé.e.s chez nous, avec notre attestation sur l’honneur comme fil d’Ariane.

Pour commencer, retournons au commencement, au temps que les moins de 5 siècles avant JC ne peuvent pas connaître : l’antiquité grecque avec l’histoire (huilée forcément) de la fondation d’Athènes ainsi qu’un petit jeu. 

Mythologies de l’olivier

La fondation d’Athènes 

Athéna contre Poséidon
Noël Hallé, 1748
Musée du Louvre

Sous le règne de Cécrops le terrible roi-serpent, premier souverain légendaire d’Attique et fondateur d’Athènes, deux divinités de l’Olympe se disputent pour devenir la marraine ou le parrain de cette nouvelle cité promise à devenir la plus prospère et la plus puissante de toutes : Athena, déesse de la sagesse, de la raison et de la stratégie guerrière, affronte Poséïdon, dieu des mers.

Poséïdon se présente en premier et frappant le rocher de son trident fit apparaitre un magnifique cheval*. Athena, quant à elle, fit naître de la terre un bel olivier. 

Plus plusieurs versions du mythes co-existent :

  • La version « c’est ma ville, c’est moi qui choisit » 

Cécrops choisit Athena, dont le présent est le plus utile. Simple, basique.

  • La version « et à  la fin, c’est les hommes qui gagnent »

Selon la variante de Varron, Cécrops soumet le choix à une assemblée mixte. Les femmes votent en faveur d’Athena et les hommes de Poséïdon. Les femmes, plus nombreuses d’une voix, font pencher la balance en faveur d’Athena. Furieux, Poséïdon submerge l’Attique sous les flots. Pour apaiser sa colère, les Athéniens doivent imposer aux femmes trois punitions : les femmes n’auront plus le droit de vote, aucun enfant ne portera le nom de sa mère et les femmes ne seront plus appelées Athéniennes**.

  • La version « c’est pas pour rien que l’expression jeune et con existe »

La foule pousse en avant un aîné pour affirmer que les deux cadeaux étaient dignes d’être choisis, et précisant : le cheval représente la force, le courage, la guerre, alors que l’olivier symbolise la prudence, la sérénité et la paix. Le vieillard en question avança que la guerre pouvait apporter richesses et pouvoir, mais qu’il était incertain. Par contre, la paix apportait des biens moins beaux et originaux, mais ils étaient plus sûrs et plus durables. Tous approuvèrent et choisirent le don d’Athena, qui donna finalement son nom à la ville. 

Mais comme on est jamais trop prudents, les citoyens promirent à Poséïdon de lui élever un temple malgré tout et s’engagèrent à lui apporter des offrandes dans l’espoir de garder sa faveur.

*Une version alternative veut qu’une source d’eau salée en jaillit (“l’eau est là” dirait Kirikou qui a fait aussi bien même si, lui, il était tout petit)
** Une version votée par un membre de l’académie des Césars, probablement.

Objets mythologiques en bois d’olivier 

Un jeu à faire en famille ! 

 Devinez ce que sont ces objets aux propriétés aussi magiques qu’un filet d’huile sur un fromage de chèvre et associez les avec les définitions ci-dessous :

A. Heracles, demi-dieu fils de Zeus et d’Alcmène, est presque toujours représenté avec sa mythique massue taillée dans une grosse branche d’olivier sauvage, dont le bois est lourd et serré. 


B. Dans l’Odyssée d’Homère, le pieu avec lequel Ulysse crève l’œil du cyclope Polyphème est taillé dans un olivier, symbole de sagesse et de force.


C. Couple mythique s’il en est, Pénélope et Ulysse fondent leur amour sur la mémoire et la volonté. La reconnaissance des deux époux a lieu grâce à un acte de mémoire, un signe secret : le lit conjugal que seuls eux deux savent construit sur un tronc d’olivier. 


D. Les Grecs récompensaient les héros des Jeux olympiques antiques par des branches d’olivier et des jarres d’huile d’olive. Mieux qu’une médaille non ?


RÉPONSES : 

1-D, 2-A, 3-B, 4-C

Je vous souhaite à tous d’être protégé.es par Hygie, déesse de la santé, de profiter de ce confinement pour passer de doux moments avec Morphée, dieu des rêves et de laisser à votre porte Éris, déesse de la discorde

Manon

Χρόνια πολλά μαμά!

La fête des mères est très fêtée en Grèce. D’abord liée au culte de Rhéa, elle est célébrée pendant les Ides de mars. Puis, sous influence orthodoxe, les grecs se mettent à la célébrer à travers la figure de Marie. La fête a alors lieu le 2 février, 40 jours après la naissance de Jésus. Ce n’est que dans les années 1960,  qu’elle est décalée au mois de mai, pour s’aligner aux pratiques occidentales. 

Terre cuite trouvée à Myrina, sur l’île de Limnos, représentant Déméter et sa fille Perséphone, -330 avant JC. 

Maternité et mythologie grecque

La figure de la mère est un thème développé dans sa complexité dans la mythologie grecque. Mais si presque toutes les divinités ont une progéniture, très peu d’entre elles leur accordent de l’attention…

L’instinct maternel d’Aphrodite, déesse de l’amour, n’est guère développé. Elle aura néanmoins une relation très complémentaire avec son fil Eros, dieu du désir, et c’est vis-à-vis d’Enée, Prince de Troie, son fils mortel, qu’elle se montre la plus protectrice : elle intervient dans la bataille, elle qui n’est pas guerrière, au risque de se blesser. 

Demeter, elle, porte sa maternité jusque quand son nom (Δη-μήτηρ). Mère célibataire, elle conçoit ses enfants hors mariage. Après le rapt de sa fille Perséphone par Hadès, le dieu des Enfers, elle part à sa recherche et délaisse les cultures. Pour mettre fin à la sécheresse et à la famine qui règnent soudainement sur Terre, Zeus trouve un compromis : Perséphone passera un tiers de l’année avec son mari aux Enfers, l’hiver, et le reste de l’année aux côtés de sa mère sur Terre. Ce que la mythologie nous apprend, c’est que la douleur d’une mère blessée peut la rendre terriblement puissante. 

Son opposé est probablement Héra, l’épouse de Zeus. Celle-ci représente bien plus l’union conjugale que la maternité. D’ailleurs, elle n’est guère féconde : ses enfants sont des divinités mineures (Hébé) ou ayant pas mal de problèmes avec elle (Héphaïstos). C’est avec d’autres épouses (Létô, Maïa, Dioné, Sémélé…) ou seul (pour Athéna) que Zeus engendre les grandes divinités. 
Héra tente, souvent en vain, de défendre les intérêts des enfants légitimes. Mais ce souci s’exprime bien plus dans son acharnement pour les enfants illégitimes que par sa sollicitude pour ses propres enfants. D’ailleurs, quand elle met au monde Héphaistos, fâchée d’avoir enfanté un être boiteux, elle le lance du haut du ciel ! Dans la mythologie, l’épouse et la mère ne se trouvent jamais dans la même personne… 

Plus tard, la religion orthodoxe, ne parvenant pas à s’émanciper tout à fait de la mythologie antique, tenta de réhabiliter Héra comme mère, protectrice du foyer.