Avec ou sans filtre ?

La récolte achevée, l’heure est au repos ! Pour les travailleuses et travailleurs mais aussi pour l’huile nouvelle, qui patiente dans une grande cuve en inox. Et avant d’être embouteillée, elle passe par une étape plus importante qu’il n’y paraît : le filtrage. 

L’huile non filtrée possède un aspect trouble que vous avez peut-être déjà observé. Sa turbidité et le petit dépôt qui se forme parfois évoque une culture naturelle, authentique. Avant de vous laisser charmer par sa rusticité, laissez-moi vous en dire un peu plus. 

Avec Manolis, le producteur, notre choix est de filtrer l’huile avant de la mettre en bidon. Et nous avons de bonnes raisons pour le faire ! 

Détail de bouteilles d’huile d’olive non filtrée.

La turbidité de l’huile non filtrée est créée par la présence d’éléments qui n’ont pas eu le temps de redescendre pendant la phase de repos : de la pulpe d’olive, des restes de noyau et un peu d’eau qui se trouvait dans le fruit.

Mais il faut se méfier de l’eau qui dort, encore plus quand elle dort dans notre huile chérie. L’eau fait augmenter l’acidité de l’huile. Or, ce taux d’acide oléique qui détermine si une huile peut obtenir la mention « vierge extra » doit rester le plus bas possible. Pour les restes de noyaux, s’ils passent inaperçus la plupart du temps, ils peuvent de temps en temps fermenter et dégrader l’huile qui développe alors des défauts. Hormis ces défauts organoleptiques qu’il prévient, le filtrage n’a aucun impact sur les arômes d’une huile. 

Enfin, filtrer permet de protéger les machines d’embouteillement qui pourraient s’enrayer. Cela peut paraître anecdotique mais comme nous avons la chance d’embouteiller « à la maison », c’est à dire chez Manolis qui stocke l’huile dans son atelier, les machines utilisées pour la mise en bidon sont efficaces mais sommaires. Nous les traitons donc avec grande précaution pour continuer de les utiliser très longtemps !

L’huile qui vient d’être pressée est trouble et possède ce vert insolite qui surprend souvent la première fois.

Dans ce cas, pourquoi trouve-t-on de l’huile non filtrée ? 

Chaque cas est différent mais la mode de l’huile non filtrée ces dernières années semble surtout reposer sur l’aspect « naturel » d’une huile trouble. Bref un argument purement marketing . De plus, un peu d’huile est retenue dans l’appareil de filtrage, ce qui constitue un manque à gagner pour les producteurs et productrices.

Tous les arguments à l’encontre du filtrage ne sont pas fallacieux pour autant. J’ai rencontré un producteur par exemple qui avait à coeur d’optimiser les qualités nutritionnelles de l’huile car il est vrai que certains anti-oxydants de l’huile voient leur teneur diminuer après filtrage. Enfin, certains « tout petits » producteurs n’ont, tout simplement, pas accès à des machines de filtrage. 
C’est décidé, on filtre. Mais comment ?

Nous utilisons une machine à plaques de cellulose, ce matériau qui compose le coton à 99%. Ici, il a une texture plus dense, plus caoutchouteuse. L’huile passe à travers et  y dépose les petites particules non désirées.

Comme on le voit ci-dessous, l’huile non filtrée y entre par la droite et ressort translucide par la gauche. 

Machine à filtre similaire à celle utilisée par Manolis. La photo est empruntée au magazine Jus d’olive, qui avait consacré un super article à la question du filtrage en juin 2019. 

Attention, le filtrage est loin d’être le facteur principal qui détermine la qualité d’une huile. La variété des oliviers, leur âge, la quantité d’eau qu’on leur aura donnée ou le moment choisi pour récolter ont, par exemple, une influence bien supérieure sur la qualité des arômes. Mais j’aime à penser que ce sont les petits questionnements qui font les grandes huiles !

La (véritable) querelle des Anciens et des Modernes

La récolte a commencé ! Tandis que les producteurs et productrices crétois.e.s s’activent sous les oliviers, nous devons aujourd’hui trancher le plus grand dilemme des temps modernes : faut-il préférer les caisses en plastique aux traditionnels sacs en toile de jute pour récolter les olives tout juste tombées des arbres ? Quelques arguments pour que vous vous fassiez votre idée.

À ma gauche, le choix classique : le sac en toile de jute

Les plus :

  • Écolo… enfin presque : 99% de la production mondiale de toile de jute se trouve en Inde ou au Bangladesh.
  • Une fois la récolte finie, ils sont faciles à ranger et à stocker, pas comme ces satanées caisses qui prennent une place folle.
  • 2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, le sac se transforme en coussin. Pratique !

Les moins :

  • Une fois remplis, ils pèsent 30 à 50 kilos, on souffre pour les petites olives qui sont tout au fond du sac. Or une olive en parfait état, c’est l’assurance d’une huile de grande qualité.
  • Pour la même raison, ils sont un vrai calvaire à transporter du champ au pick-up, du pick au moulin

À ma droite, le choix des puristes : la caisse en plastique

Ces jolies petites olives se sont gentiment laissées prendre en photo la semaine dernière, dans un de nos champs.

Les plus :

  • Fini les olives écrasées, elles sont aérées et en parfait état jusqu’au moulin.
  • 2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, la caisse se transforme en tabouret. Pratique !

Les moins :

  • Dans “caisses en plastiques”, il y a le mot… plastique.

Verdict : Si les caisses sont peu à peu préférées aux sacs par de nombreux producteurs et productrices consciencieuses, moi la première, beaucoup considèrent encore que si les olives sont récoltées au bon moment, la variété koroneiki est suffisamment robuste pour qu’elles restent fermes, même tout au fond du sac. Bref, pour faire une super huile, quand l’affaire est dans le sac, pas besoin d’en faire des caisses.

Pour finir, un instantané de récolte, prit la semaine dernière dans le village d’Adravasti alors que je préparais les olives destinées devenir des olives de table.

Les fleurs du bien

L’olivier a la floraison modeste. Chaque mois de mai, de petites fleurs blanches parsèment discrètement les branches de nos arbres. Elles n’ont pas d’odeur et ne tiennent pas plus d’une semaine. À peine avez-vous le temps de sortir votre appareil photo qu’elle se fanent, jaunissent et disparaissent pour laisser la place au véritable protagoniste, le fruit.

Mieux qu’un cours de sciences naturelles, revenons ensemble sur cette étape cruciale du cycle de l’olivier. 

Comme tous les arbres fruitiers, sa fleur se transforme en fruit grâce à l’échange entre les organes femelles, le pistil, et les organes mâles, les étamines. Cet échange est appelé pollinisation. 

La plupart du temps, elle est opérée par les abeilles (que l’on embrasse au passage) : c’est le cas de tous les arbres mellifères, les arbres butinés pour produire le miel. Mais l’olivier aime se distinguer et préfère compter sur le vent pour assurer l’échange. 

D’ordinaire*, le mois de mai n’est pas particulièrement venteux. Contrairement aux terribles mois de juillet et d’août où le Meltemi, le vent du Nord, souffle volontiers à plus de 50 kilomètres par heure jusqu’à faire s’envoler les petites filles, en mai, ce sont les chapeaux de paille qu’il se contente de faire voler. Et c’est tant mieux ! Venus des quatre points cardinaux, ces vents font frissonner les branches juste ce qu’il faut pour que le pollen s’échappe et féconde l’ovule qui se trouvent dans le pistil. Les tissus de l’ovaire vont former la chair de l’olive et l’ovule devient le noyau. 

L’olivier, comme la vigne, est hermaphrodite : il possède à la fois des organes mâles et femelles qui lui permettent de s’autopoliniser. Pratique non ?

Chez les arbres fruitiers, la floraison est une saison émouvante et inquiétante. Émouvante car elle est annonciatrice de l’arrivée des fruits : La quantité de fleurs sur l’arbre présage de la quantité d’olives qui pourront être récoltées. Mais c’est aussi un moment d’inquiétude pour les producteurs et productrices. Une intempérie, une forte chaleur ou au contraire un coup de froid peuvent faire tomber les fragiles fleurs et réduire tout espoir de récolte. Au moins, aucune chance dans ces contrées méridionales de subir le risque du gel qui a cette année fait des ravages dans les vignobles français. 

Illustration tirée du guide médicinal de l’allemand Franz Eugen Köhler publié en 1887. 

Au risque d’être un peu fleur bleue, je vous encourage à profiter de cette période d’épanouissement des arbres pour vous balader dans la nature et vous émerveiller de la beauté du monde !

* Ordinaire n’est pas coutume ! Cette année, une véritable tempête s’est abattue sur l’est de Crète au point de faire tomber un poteau électrique et de laisser la moitié de Zakros (et d’Adravasti) sans réseau ni télévision pendant 3 jours début mai. 

L’arbre et la manière

La taille des oliviers s’effectue au mois de février, une fois les arbres récoltés et avant leur floraison. C’est une étape cruciale, technique et qui peut, mal réalisée, avoir des conséquences lourdes sur la quantité d’olives obtenue la saison suivante. En Crète, de nombreuses familles la confient à un spécialiste plutôt que de s’y coller eux-même. Ces maîtres de la taille vous en parlent avec un certain lyrisme sans toujours maitriser l’explication savante liée à l’art de la taille. Un peu comme nos « méthodes de grand-mère », cette expression aux accents légèrement misogynes, pour qualifier un remède efficace prescrit sans compréhension de l’origine de cette efficacité. Je parlais justement avec un pépiniériste Français qui m’affirmait qu’entre un.e novice qui a potassé toute la théorie et un local qui s’appuie sur un savoir empirique et ancestral, il faut toujours faire confiance au second. Si vous lui demandez pourquoi il coupe cette branche et non celle-ci, son explication sera peut-être farfelue, mais le résultat sera, lui, d’une fiabilité déconcertante.

Comme je sais que, comme moi, vous aimez creuser le pourquoi du comment, je vais – malgré cet éloge de l’expérience sur le théorique – vous en dire un peu plus sur l’art subtil de la taille des olivier.

Plusieurs règles tiennent du bon sens : Couper les branches sèches qui ne produisent plus, celles trop hautes que l’on ne pourra récolter ainsi que les rameaux sauvages qui partent du tronc. D’autres en revanches, méritent qu’on s’y attarde. 

L’enjeu d’ensoleillement

Chaque côté de l’arbre ne bénéficie pas du soleil également. La partie Sud de l’arbre sera taillée plus basse pour permettre à la partie Nord à l’orientation moins généreuse d’avoir du soleil. Bien sûr, tout cela se complique sur les terrains en pente. En comme ceux-ci constituent l’immense majorité des terrains, il faudra adapter la taille à chaque parcelle en fonction de son orientation. Le centre de l’arbre, lui, est taillée pour que les rayons du soleil puissent s’y engouffrer. En Italie, on dit qu’un oiseau doit pouvoir voler entre les branches sans se frotter les ailes. 

L’enjeu de récolte

Pour faciliter le travail des valeureux perchistes et ne pas leur imposer trop d’acrobaties, l’objectif est de n’obtenir des fruits que sur les branches extérieures de l’arbre et non pas sur celles uniquement accessibles de l’intérieur. On coupe donc toutes les branches fructifères qui se dirigent vers le centre de l’arbre. 

L’enjeu de productivité de l’arbre

Certaines branches sont fructifères (donneront des fruits), tandis que d’autres sont charpentières (les bifurcations du tronc qui ne donnent pas directement des fruits). Quand on taille, on doit avoir en tête le parcours de la sève et optimiser son flux. C’est pourquoi on coupe les « gourmands », ces grand rameaux verticaux lisses qui partent des branches charpentières : ces jeunes pousses sont avides de sève et privent donc les branches fructifères du précieux nectar de vie. 

Le fordisme, version crétoise

Une fois la récolte achevée, l’huile est stockée dans de grandes cuves pouvant accueillir jusqu’à cinq mille litres chez notre producteur, Manolis Lantzanakis à Achladia. Nous la laissons reposer quelques semaines puis, le laborieux travail d’embouteillement peut commencer.

Dans son atelier, pas de tapis roulant façon Coca-Cola company, pas de bras articulés ou machines impressionnantes : nous embouteillons chaque bidon un à un, grâce à une machine réglée pour verser un litre précisément. Puis, avec le pouce, ou les deux, on ferme le bidon grâce au bec verseur. 

En général, nous sommes trois : Manolis, sa mère Georgia et moi. Chacun prend un poste et la chaine de production se met en place.

Au travail, Georgia est inarrêtable : sur la gauche, elle commence à organiser les bidons vides et avant que vous ayez eu le temps de tourner la tête, elle se tient à votre droite, une pile de carton dans les bras. Et quand elle a pris trop d’avance sur Manolis et moi, elle s’éclipse pour revenir avec une assiette de fruits coupés et de kourabiedes, ces gâteaux secs terriblement sucrés et délicieux qu’elle fait elle même, vous vous en doutez. Manolis, lui, aime prendre en charge l’embouteillement que vous voyez ci-dessous, prétextant qu’il faut parfois vérifier les réglages de la machine. Il s’agit en fait de faire glisser les bidons vides devant l’embouteilleur et d’appuyer sur le bouton. Sa mère me regarde alors d’un air entendu et m’adresse un clin d’oeil pour signaler qu’elle n’est pas dupe. Ce poste est en effet le seul que l’on peut faire assis, je vous laisse tirer vos propres conclusions. De mon côté, armée d’un dévidoir, cet instrument fort pratique qui permet de coller du scotch d’un simple coup de poignet, je monte les cartons qui accueillerons bientôt les bidons pleins, je remplis les cartons, j’organise la palette…. tout en discutant de politique avec Manolis ou de tatouage avec Georgia, tendance qu’elle désapprouve fortement. 

Prises dans nos filets

La récolte 2020 fut à l’image de l’année 2020 : pénible et semblant ne jamais s’achever. À cause de la fermeture des frontières liée à la pandémie, les ouvrier.e.s agricoles originaires de Bulgarie et d’Albanie ont été dans l’impossibilité de venir porter main forte aux familles grecques. Or récolter avec moins de bras, c’est récolter plus longtemps. Des semaines, parfois des mois supplémentaires. Et à la fatigue s’ajoute l’inquiétude car avec la majorité des restaurants du monde fermés, les débouchés pour les exportations se raréfient risquant d’entraîner une dégringolade des prix. Pas les nôtres bien entendu, et c’est notre fierté : je ne négocie jamais les prix aux producteurs, bonnes et mauvaise années, Adravasti répond présente !

Aujourd’hui, je m’attarde sur l’accessoire essentiel de toute récolte : le filet. 

Commençons par le commencement, c’est à dire la fin. Oui, la fin de la récolte précédente. Sales et graisseux d’avoir accueilli des milliers d’olives, les filets doivent d’abord être lavés. Mais pour des filets de plusieurs dizaines de mètres de long, pesant une vingtaine de kilos, pas question de les passer dans votre petite machine à laver domestique. Ils sont confiés à des professionnels ! À Zakros, c’est le garagiste-mécanicien qui en a fait sa spécialité. Une fois propres, il faut les rafistoler. Abimés par des terrains rocheux et des ronces En tous genres, les filets finissent souvent pleins de trous à la fin de la saison. Or un trou, c’est le risque de voir des olives s’échapper. Alors les γιαγιάδες* se munissent de grosses aiguilles et patiemment raccommodent les filets.  En voici un bel exemple :

Une fois propres et soigneusement réparés, le temps est venu de les salir, de les trouer et de les déposer aux pieds de nos oliviers. La pose des filets, laissée à la discrétion des femmes, est un travail cérébral et physique à la fois. Il faut les agencer dans le sens de la récolte pour que les perchistes puissent passer d’arbre en arbre sans avoir à attendre, ne pas se tromper quand on les superpose, prendre en compte le vent qui vient les soulever ainsi que le terrain, les tirer derrière soi pour les déplacer au rythme des olives qui tombent… te tout sans laisser s’échapper une seule olive ! Pour ne rien sacrifier au tronc, on l’entoure de sacs en toile de jute ou on en fait le tour avec le filet comme sur la photo ci-dessous. 

En Crète, il y a deux types de terrains. Les terrains plats, sans murets, cailloux ni ronces, offrant une distance régulière et optimale entre chaque arbre. Ils sont rares, très rares. Les autres sont en pente, rocailleux et couverts de buissons épineux. Dans ce cas, il faut redoubler de créativité pour poser les filets. On dit parfois des arbres poussant sur des terrains très pentus, particulièrement désagréables à récolter qu’il s’agit « d’oliviers turcs », en référence au fait qu’ils aient été plantés à la période ottomane**. Cela permet surtout aux récolteurs contrariés de rejeter la faute sur leur voisin-envahisseur. 

Une fois qu’il ne reste plus une olive sur les branches, on les rassemble dans les filets, en faisant attention à celles oubliées dans les plis. C’est le moment du tri. Il s’agit d’enlever un maximum de feuilles avant d’amener les olives au moulin. Plus encore que les feuilles, on enlève les branches et les cailloux qui risquent d’enrayer l’extracteur d’huile d’olive. Les jours de pluie, ce sont les escargots qui apparaissent par dizaines dans les filets. Et même si les Crétois.e.s sont, comme nous, très friands de ces mollusques à coquille, ils n’ont rien à faire ici, vous en conviendrez. 

Une fois le filet vidé, il est temps de l’installer au pied d’un autre olivier qui attend d’être récolté. Un roulement bien huilé !

* mamie en grec, se prononce “yaya”
** Les Ottomans ont envahis la Crète entre 1646 à 1898 

Le côté obscur de la greffe

Par Léa Desportes

Chère Manon, 

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ta newsletter consacrée à la Xylella fastidiosa, cette petite bactérie à l’origine de grandes catastrophes dans les oliveraies d’Europe. 

A plusieurs reprises, tu évoques une autre plante nourricière chère à mon cœur (et à mon palais) : la vigne. Tu suggères notamment que greffer des arbres sur des variétés d’oliviers moins sensibles à la bactérie tueuse pourrait représenter une solution, inspirée par ce qui a été entrepris pour sauver les vignobles européens à la fin du XIXème siècle. En effet, ta Cruella fastidiosa fait presque pâle figure face au phylloxéra, véritable Attila des vignes. Pour stopper la progression fulgurante de ce puceron venu d’Amérique, les variétés européennes ont finalement été greffées sur des plants de vigne américains (qu’on appelle des « porte-greffes »), naturellement résistants aux piqûres de l’insecte. 

Si cette méthode a eu l’immense mérite de sauver la viticulture du Vieux continent, elle a aussi provoqué des effets indésirables dont on parle assez peu.  

Le greffage, pas toujours un bon plan(t)

Marc Birebent, greffeur de son état, va jusqu’à considérer que le remède a été pire que le mal. Il est en effet convaincu que le greffage participe à la recrudescence des maladies dégénératives de la vigne. Phénomène largement amplifié lorsque l’opération devient entièrement automatique (et donc plus rentable) dans les années 1980. Tu indiques dans ta lettre que là où un olivier peut produire des fruits pendant mille voire deux mille ans, les pieds de vigne doivent être arrachés tous les soixante-dix ou quatre-vingt ans. En réalité, c’est même moins ! Certains cépages ont aujourd’hui une durée de vie qui ne dépasse pas les trente ans. Avant le phylloxera, l’espérance de vie d’une vigne franche de pied (c’est-à-dire non greffée) était de 250 à 300 ans ! Marc Birebent explique qu’ « en greffant tout, on a multiplié les plants fragiles. La vigne n’a pas eu les moyens de se rendre naturellement résistante. Si on avait « supporté » le phylloxera, on aurait sans doute perdu une grande partie des vignes mais, petit à petit, on aurait trouvé des plants qui seraient aujourd’hui naturellement résistants. *» Je précise qu’il représente une voix minoritaire dans le monde du vin. 

Chardonay à perte de vue, ici en Oregon sur la côte Ouest des États-Unis

Un appauvrissement de la biodiversité 

Ce dont on est en revanche sûr, c’est qu’au moment de la reconstruction du vignoble, des centaines de cépages, pas assez productifs, n’ont pas été replantés, sacrifiés sur l’autel du rendement. La crise du phylloxéra a donc entraîné une perte non seulement pour la biodiversité mais aussi pour le patrimoine du goût. Elle se poursuit aujourd’hui avec l’uniformisation de l’encépagement mondial. Une poignée de cépages dit « internationaux », dont le Cabernet sauvignon, le Merlot ou encore le Chardonnay, occupent une superficie croissante d’année en année du vignoble mondial. Il existe certes des initiatives pour réhabiliter les cépages dits oubliés mais elles restent pour l’instant individuelles ou locales. 

Pour le vin comme pour l’huile, soutenons une diversité variétale la plus riche possible et adaptée à chaque terroir !

Léa 

*https://www.lerougeetleblanc.com/fr/viticulture/une-journee-avec-marc-birebent-2350.html 

C’est pas la petite bête qui va manger la grosse

Pour vous changer les idées, aujourd’hui, je vous parle d’épidémie, de maladie et de contagion. 

Sachant que nous sommes tous, plus ou moins, devenu.e.s épidémiologistes ces derniers mois, vous avez désormais toutes les connaissances à votre disposition pour comprendre, dans sa subtilité, le sujet du jour : la bactérie tueuse d’olivier. 

Ne vous fiez pas à son nom de danseuse de flamenco. La xylella fastidiosa interdit à la plante qu’elle envahit de s’alimenter en bloquant la sève pour asphyxier l’arbre de l’intérieur. Plus problématique encore, ses symptômes n’ont rien de très distinctifs – branches flétries et feuilles brûlées – ce qui la rend difficile à détecter rapidement. 

Comment se transmet-elle ? Le masque est-il obligatoire dans l’oliveraie ?

Le premier facteur de propagation a été l’exportation de plants contaminés. Sacrée mondialisation. Au niveau local, sa diffusion est principalement portée par un insecte piqueur-suceur, la cicadelle. Les outils de taille qui provoquent des blessures peuvent aussi transmettre la maladie. Et pour les amateurs de théories du complot, une rumeur raconte que la mafia des Pouilles l’aurait implantée pour construire des hôtels sur les champs d’oliviers décimés. Son nom ? Sacra Corona Unita. Oui, CORONA. Ça ne s’invente pas. 

Cette bactérie n’est pas une inconnue. Elle avait fait des dégâts dans les vignobles californiens à la fin du XIXème siècle ainsi que dans les plantations d’agrumes au Brésil dans les années 1980. Mais c’est ici, en Europe, qu’elle est devenue célèbre. En Italie, au sud des Pouilles plus précisément, où elle a décimé des millions d’oliviers, laissant derrière elle des champs entiers brûlés. Des paysages qui évoquent plus La Route de Cormac McCarthy que le pays de Cocagne. Depuis, elle s’est exportée en Espagne, au Portugal et jusqu’en France où elle a été aperçue en Corse et dans les Alpes-Maritimes. 

Désolation à Surano, au sud des Pouilles dans le talon de l’Italie

L’Italie a été le premier pays européen touché en 2013, superbement ignorée par ses voisins. « Ça ne viendra pas jusque chez nous », pensaient-ils. Toute ressemblance avec l’actualité sanitaire récente est purement fortuite. Une fois répandue dans les oliveraies espagnoles et françaises, les spécialistes de tous pays se sont empressés de critiquer la gestion italienne de l’épidémie. Il aurait fallu, nous disent-ils, tout raser sans attendre, mettre en quarantaine les arbres malades. Mais peut-on les blâmer les de n’avoir pu se résoudre à couper des oliviers vieux, parfois, de plusieurs milliers d’années ?

D’autres solutions, moins radicales, deviennent souvent de fausses bonnes idées. Les antibiotiques qui luttent contre les cicadelles, ces insectes suceurs de sèves qui transmettent la bactérie, donnent, à court terme, des résultats mais des phénomènes de résistance peuvent se développer ce qui serait dramatique à long terme. Aussi, les insecticides utilisés pour lutter contre la cicadelle ne se contentent pas de la tuer, ils emportent avec eux une multitude d’insectes qui avaient tous un rôle à jouer dans l’environnement de l’arbre, le laissant, en définitive, encore plus démuni. 

Est-ce la première fois que nous avons affaire à une telle bactérie ?

Pas besoin de remonter aux sauterelles de l’Ancien Testament pour rencontrer des histoires de calamités causées par des indésirables. D’ailleurs, vous vous souvenez de Charles Baltet dont je vous parlais dans ma lettre sur la greffe ? Ce pépiniériste du XIXème auteur de L’art de greffer, a en son temps triomphé d’un fléau qui ravageait le vignoble français. En 1866, près de la moitié des vignes sont dévastées par le moucheron phylloxéra. La production s’effondre avec des conséquences économiques (et psychologiques) immenses. Sans doute intimement touché par le sujet, Charles-Appolinaire de son prénom, décide de s’investir corps et âme dans la lutte contre la bactérie. Pour les sauver, il greffe les vignes françaises attaquées avec des cépages américains résistants. D’où le dicton : « tous greffés dès huit heures, soutien aux viticulteurs ». 

D’ailleurs, cette solution est actuellement regardée de près dans la lutte contre xylella car certaines variétés d’oliviers, telles que la Leccino ou la Favolosa, sont beaucoup moins sensibles à la bactérie tueuse. Des agronomes italiens explorent cette hypothèse en inoculant la bactérie à de jeunes oliviers pour déterminer quelle variété lui résiste le mieux. 

Avec cependant une différence de taille entre vignes et oliviers : les premières sont, quoiqu’il en soit, arrachées tous les soixante-dix ou quatre-vingt ans, tandis qu’un olivier peut continuer à produire des olives pendant mille ou même deux mille ans.  Arracher un arbre ou le couper pour le greffer est donc vécu –  à raison ! – comme une abomination. C’est pour cette raison que la bactérie fait parler d’elle majoritairement pour ses dégâts dans les oliviers et non dans les vignes, citronniers ou amandiers également touchés. 

N’y a-t-il donc aucune solution ?


Bien que l’arrachage et la destruction systématique des plants contaminés soit toujours préconisée par l’UE, des pistes intéressantes sont à l’étude. Une d’elles concerne les champignons qui pourraient s’attaquer à la bactérie. La complexité du sujet réside dans le fait qu’un arbre est un écosystème au sein duquel des milliers de bactéries, champignons ou insectes cohabitent, chacun.e réalisant dans son coin une petite tâche et contribuant, chacun.e à leur façon, au grand cycle de la vie. C’est peut être un détail pour vous, mais pour l’arbre ça veut dire beaucoup.

Alors gardons le moral et quant à votre huile d’olive, rassurez-vous, comme pour le Covid, la Grèce, et a fortiori la Crète, a été (pour le moment) totalement épargnée. Espérons que d’ici l’arrivée de xyllela, on aura un vaccin, enfin je veux dire un traitement efficace ! 

Merci à Patrick, parrain d’un de nos oliviers, d’avoir suggéré cet article !

La greffe, en bref

Le mois dernier, j’ai eu le privilège de faire quelques jours de récolte avec Brigitte et Bertrand, des ami.e.s belges d’accents mais grecs d’adoptions. D’ailleurs Brigitte est la productrice des formidables savons que vous pouvez, enfin, recommander. Ensemble, ils produisent une huile d’olive bio issue d’olives récoltées tôt, dès les tous premiers jours d’octobre. C’est ce qu’on appelle une récolte précoce. L’objectif est d’obtenir une huile amère et très piquante. Récolter si tôt leur permet aussi de devancer les ravages du dakos, la terrible mouche qui pond dans les olives à l’automne.

Alors que nos récoltions un de leurs champs, je tombe nez à nez avec un drôle d’arbre. À ma grande surprise, j’aperçois des olives parmi les branchages. “C’est un olivier sauvage” m’explique alors Bertrand. Voyant que la lumière dans mes yeux met un peu de temps à s’allumer, il développe : “Ce n’est pas un koroneiki mais une variété sauvage. On peut manger ses olives mais l’huile qu’elles produisent n’est pas très savoureuse donc on ne le récolte pas”. Je profite de la pause qui arrive pour assaillir le pauvre Bertrand de questions. Comment se fait-il qu’une variété sauvage se soit retrouvée dans notre champ de koroneiki ? J’apprends que tous les arbres plantés autour de nous sont des koroneikis greffées sur des variétés sauvage.

Pour les rats des villes qui, comme moi, ne savent pas faire la différence entre bouture et marcottage, j’ai donc décidé de tout reprendre depuis le début. 

L’olivier sauvage dont je vous parle ci-dessus. 

Je vous parle souvent du « cycle de l’olivier », ces moments qui chaque année, se succèdent et se ressemblent. Mais de l’oeuf ou la poule, j’avais oublié de me demander ce qui venait avant. Avant que notre olivier ait des olives par exemple.  Voici ce que j’imaginais : on plante un noyau, qui grandira en un jeune olivier capable de produire des olives. 

FAUX. La variété koroneiki que nous produisons est toujours greffée sur une variété sauvage aux racines profondes et parfaitement adaptée au terroir. Le porte-greffe sauvage est donc en charge des racines et d’une partie du tronc tandis que le greffon est en charge des branches qui produisent nos olives. La greffe est un travail d’orfèvre qui permet à ces êtres hybrides d’être à la fois résistants et de produire les meilleurs olives possible. Le meilleur des deux mondes en quelques sortes. 

FAUX. La variété koroneiki que nous produisons est toujours greffée sur une variété sauvage aux racines profondes et parfaitement adaptée au terroir. Le porte-greffe sauvage est donc en charge des racines et d’une partie du tronc tandis que le greffon est en charge des branches qui produisent nos olives. La greffe est un travail d’orfèvre qui permet à ces êtres hybrides d’être à la fois résistants et de produire les meilleurs olives possible. Le beurre et l’argent du beurre. 

Au printemps, les pépiniéristes effectuent des greffes en fente ou en couronne. En Crète, elles sont réalisées environ à un mètre de hauteur, comme vous pouvez le voir sur la photo un peu plus bas. Pourquoi si haut ? Parce vous pensez bien qu’après un tel travail, les premières feuilles de notre jeune greffon sont aussi précieuses qu’un paquet de farine chez Carrefour un jour de confinement. Alors pas question de les laisser à la merci des terribles bovidés qui rodent. C’est pour ça qu’ici, les greffes sont faites « à hauteur de chèvre ». 


Illustrations tirées de L’art de greffer de Charles Baltet (1869) dont le sous-titre est : “la Greffe est le triomphe de l’Art sur la Nature”. 


Même une fois la greffe prise, rien n’est jamais acquis. Car la variété sauvage, sélectionnée pour sa vigueur, peut toujours s’imposer sur la délicate variété cultivée. Un oeil attentif sait repérer une écorce plus lisse, des feuilles moins élancées ou des olives plus rondes, signes qu’une branche sauvage s’est introduite, en douce, au milieu d’un arbre koroneiki. Une vraie Games of tronc d’arbre !

Une devinette pour finir : Qu’obtient-on quand on plante dans le sol une olive koroneiki ? 
Réponse : Un variété sauvage ! Définitivement, votre bon sens ne vous sera d’aucune utilité aujourd’hui.

L’art de la greffe est donc intimement lié à la culture des arbres fruitiers. C’est elle qui a permis à l’Homme d’améliorer la qualité des fruits et de constituer des vergers. Une rencontre fructueuse entre l’ingéniosité de l’être humain et les ressources infinies de la nature.


Exemple de greffe “à hauteur de chèvre”. 


Je remercie Bertrand pour ses explications et je vous recommande chaudement d’aller faire un tour sur leur blog Lenika, tenu par Brigitte, pour en savoir plus sur leur projet, leurs savons et leur huile.

Le 5ème élément

La saison touristique tout juste achevée débute une autre saison  : celles des olives et de la récolte. Les plages se vident et les champs s’animent, les pick-ups remplacent les petites voitures de location sur les routes sinueuses et les moulins rallument leurs grosses machines qui presseront bientôt plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’olives. Contrairement aux vendanges, la récolte des olives peut s’étaler sur deux ou trois mois. Quatre-vingt dix jours exténuants d’un travail laborieux pour produire le précieux liquide. Alors aujourd’hui, c’est de ceux et celles qui travaillent à l’ombre des oliviers, et parfois aussi en plein soleil, dont nous allons parler : les ouvriers et ouvrières de la récolte, les perchistes et les poseuses de filet, tous ceux et celles, sans qui, nous n’aurions pas d’huile d’olive.

En Grèce comme dans la plupart des régions productrices d’huile, la topographie très accidentée rend presque impossible la mécanisation de la récolte. Il existe bien des secoueurs de troncs ou des tracteurs-récolteurs en Espagne mais nos terrains en pente faits de murets et de gros cailloux ne nous permettent même pas d’y songer. Alors la récolte demeure travail besogneux, confié à des hommes et des femmes.

Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand

D’un côté les hommes. Armés de leur perches électriques qui pèsent autour de trois kilos (dix kilos en poids ressenti en fin de journée), les bras sont soumis à rude épreuve. Mais c’est la nuque qui concentre vite toutes les tensions à force de pencher la tête en arrière pour guetter l’olive cachée dans les feuillages. De l’autre, les femmes investies d’une double mission : poser les filets en amonts et ramasser les olives tombées. Elles se faufilent sous les oliviers, tout en étudiant le terrain pour les superposer de façon intelligente, le dos courbé afin d’éviter une branche plus basse que les autres et sans oublier de soulever les pieds pour ne pas se les prendre dans les plis des filets. Vite ! Les hommes sont passés à l’olivier suivant, il est temps de rassembler les olives de l’arbre précédent au centre du filet et, à genoux cette fois, de les trier à la main. Puis, quand un maximum de feuilles sont retirées, elles les font rouler dans les caisses, en soulevant une partie du filet à la force des bras. Cette tâche à peine achevée, il est déjà temps de tirer le lourd filet libéré vers les arbres qui attendent d’être récoltés. Une dynamique circulaire qui consiste à ne jamais enrayer la progression de la récolte pour ne pas perdre de temps. C’est avec l’énergie d’une journée presque achevée qu’hommes et femmes portent, enfin, les caisses de quinze kilos sur le pick-up et se donnent rendez-vous pour le lendemain huit heures. 

Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand

La récolte a longtemps été faite en famille. Mais ces quarante dernières années, les Crétois.e.s ont planté des oliviers plus que de raison et certaines familles se sont retrouvées à la tête de plusieurs milliers d’oliviers. Des oliviers qu’il faudra récolter, un par un, à l’automne. Je vous laisse imaginer l’immensité de la tâche quand on sait qu’au cours d’une journée de travail productive, une équipe de six peut récolter une quarantaine d’arbres. Pour y faire face, la Grèce fait appel à une main d’œuvre internationale. À partir du début des années 1990, les immigré.e.s venu.e.s de l’Albanie voisine viennent prêter main-forte aux familles. Puis, après l’entrée de la Bulgarie dans l’Union Européenne en 2007, ce sont les travailleur.euse.s bulgares qui arrivent en nombre. Mais la crise grecque a mis un coup de frein brutal à cette immigration européenne et ces dix dernières années, c’est une immigration pakistanaise qui arrive en Crète, dans des proportions bien plus modestes. Dans les années 1990 et 2000, sur la place des villages, on pouvait voir, de nombreux travailleurs qui attendaient d’être embauchés pour la journée. Alors que nous étions venu.e.s avec ma famille fêter l’an 2000 à Adravasti, j’ai le souvenir de plusieurs ruines du village, occupées par des familles venues pour la récolte. Mais avec la crise et la baisse des prix de l’huile, payer les ouvrier.e.s est devenu de plus en plus difficile. Alors les travailleurs et travailleuses ont cessé de venir et les familles, quand elles le peuvent, se sont remises au travail.

En ce qui concerne la famille Lantzanakis qui produit votre huile, elle travaille chaque année avec les mêmes travailleur.euse.s, tous et toutes habitant.e.s de Sitia, la ville voisine. Le fait de leur acheter leurs olives, directement, à un prix juste, permet à cette famille de réaliser la récolte dans des bonnes conditions, de payer les ouvrier.e.s agricoles, sans avoir besoin de revoir à la baisse leur salaire ni de prolonger la durée de la récolte pour profiter des forces familiales bénévoles.

Reportage photo réalisé pendant la récolte des oliviers de Brigitte, la productrice des savons à l’huile d’olive, et Bertrand

Cette lettre est dédiée à celui qui tient sa perche à bout de bras, pour atteindre une olive tout en haut, à celle qui inlassablement, tire les lourds filets deux par deux derrière elle, à celui qui grimpe dans l’olivier, risquant de perdre son équilibre et à celle qui, d’un geste expert, trie les olives à mains nues.

Arroser ou ne pas arroser, telle est la question 

Une amie productrice d’huile d’olive au Sud de l’Andalousie remarquait après des vacances en Crète l’omniprésence des tuyaux d’arrosages aux pieds de nos oliviers – quand ce n’est pas à leur sommet comme sur la photo si dessous ! Je m’étonnais de ce constat car, n’ayant la Crète comme unique référence oléicole, j’avais pris pour acquis l’habitude d’installer ces gros tuyaux noirs pas très harmonieux. Un champs sans tuyaux, donc sans eau, était dans mon esprit un champs non entretenu, dont on ne pouvait espérer obtenir une récolte. Quelle n’était pas ma surprise de m’apercevoir que dans le monde méditerranéen de l’olive, en Espagne, en Tunisie ou même Grèce continentale, tous et toutes ne partagent pas la passion des Crétois.e.s pour l’arrosage. 

Sur le sujet, dans la région, plusieurs thèses s’affrontent (et encore, je ne vous présente que celles venant de personnes raisonnables !) : 

La première soutient que les oliviers ont depuis des millénaires nourris de leurs fruits les hommes et les femmes, sans avoir besoin d’ajouter de l’eau. Il faut donc les déshabituer et tout ira bien.

La seconde affirme que terroir crétois et la variété koroneiki, sans même parler du réchauffement climatique, ne permettent pas de priver purement et simplement les arbres d’eau. Un olivier habitué à recevoir de l’eau dès les premiers mois de sa vie ne fournira pas l’effort nécessaire pour s’enraciner profondément et pouvoir puiser l’eau des nappes les plus souterraines. Il n’aura donc aucune chance de prospérer si on ne lui ouvre pas les vannes de temps en temps. 

Mais ce qui est bien avec l’agriculture, c’est que c’est l’art du réel. Alors les théories, c’est super mais que fait-on en pratique ?!

La plupart des producteurs en bio, soucieux de l’environnement, dont Manolis qui produit l’huile dont vous vous délectez, décident de continuer à arroser, mais le moins possible. En fonction de la pluviométrie, les arbres sont irrigués quelques fois au printemps et plus du tout à partir du mois d’aout. Et des années exceptionnellement pluvieuses comme 2019 nous ont même permis de nous contenter de l’eau dont la nature nous a fait don. 

Cette gestion très précautionneuse de cette ressource vitale, même quand cela signifie obtenir moins d’olives et moins d’huile, est cruciale dans cette région de l’Est de la Crète où la sécheresse menace constamment. Ne plus arroser dès que le fruit se forme au cours de l’été, permet aussi de ne pas gorger les olives d’eau, ce qui risquerait de diluer les arômes. Une fois de plus, la nature et nos papilles ont trouvé un compromis plutôt satisfaisant !

Sa Saleté des mouches

Un hiver pluvieux, un printemps fleuri, un été sec : tout était réuni pour une récolte 2019/2020 optimale à la fin de l’automne. Malheureusement, un petit insecte aux ailes transparentes est venu, une fois de plus, gâcher la fête ! 

La mouche de l’olivier est devenue en une dizaine d’années l’ennemi public numéro un des oléiculteurs tout autour de la Méditerranée. Elle pond dans les olives pas encore mûres et peut, en quelques jours seulement, détruire une récolte entière. Une fois que l’olive a été touchée, elle tombe ou est abimée, ce qui nuit considérablement à la qualité de l’huile. 

Cette année, les attaques de mouches sont arrivées relativement tard, au cours du mois d’octobre et ce n’est qu’en récoltant très tôt que certains producteurs – dont le nôtre ! – ont pu sauver une grande partie de leur production. 

Si les dégâts liés au δάκος (nom grec de cette fameuse mouche) sont de plus en plus importants et réguliers, c’est – vous l’avez deviné – la faute au réchauffement climatique. Les étés secs suivis d’un automne relativement froid convenaient beaucoup mieux à la culture de l’olivier. Tandis que ces dernières années, les mois de septembre et octobre se suivent et se ressemblent : un temps estival et de légères précipitations. La combinaison chaleur et humidité, celle que préfère notre ennemi volant, perdure bien trop tard dans la saison, une fois que les olives sont déjà sur les arbres. 

La solution : récolter de plus en plus tôt. Mais c’est tout une économie locale qui doit se réinventer : ses deux piliers, l’olive et le tourisme, tendent à se superposer. D’autant plus que le tourisme vert, celui composé de randonneurs, arrive de plus en plus tard, les saisons touristiques terminant désormais au mois de novembre. Il faut aussi, est ce n’est pas une mince affaire, convaincre les moulins – ou plutôt les présidents de moulins, souvent âgés et très rétifs au changement – d’ouvrir plus tôt. Sans compter que les arômes de l’huile s’en trouvent modifiés. Cela donne une huile avec des notes un peu plus herbacées avec plus d’amertume. Un vrai choix de Sophie, je vous dis ! 

La récolte (à la main)

Il y a quelques jours, accompagnés d’amis, j’ai récolté à la main un champ de 35 oliviers dans le village de Chochlakies (Χοχλακιες) pour en faire des olives de tables.

Pour bien faire, il ne faut prendre que les olives bien mûres et non piquées par la terrible mouche de l’olivier, la tristement célèbre δάκος

Un champ familial, dont les arbres qui avaient été taillés en février dernier étaient prêts à être récoltés dès le début du mois d’octobre. Tout juste taillés, les arbres avaient peu de branches secondaires donc peu d’olives. Et comme chacune d’entre elles avait reçu beaucoup d’eau, elles sont arrivés à maturité de façon précoce.

Pourtant, impossible de les récolter pour en faire de l’huile : toutes les coopératives des alentours étaient fermées.

Le timing de la récolte est une décision cruciale qui peut parfois échapper aux producteurs quand les coopératives locales prennent la décision de n’ouvrir leurs moulins que fin octobre. C’est ce qui m’est arrivé la semaine dernière.

Pour ne pas les gâcher, nous avons décidé, une fois n’est pas coutume, de faire une petite récolte à la main. L’intérêt ? Ne pas avoir à installer les filets ! Travail bien plus physique et contraignant qu’il n’y parait. Idéal quand les oliviers ne sont pas très chargés mais dont on ne veut pas laisser la production aux oiseaux.

Et comme les moulins étaient fermés, nous avons décidé d’en faire des olives de tables.

À l’Est de la Crète, les olives sont habituellement réservées à la production d’huile d’olive. La variété koroneiki produit de toutes petites olives avec un gros noyaux et peu de chair, pas terrible pour les olives de table mais parfait pour l’huile. Ceci étant dit, on les apprécie beaucoup à l’heure du mezze, d’autant plus quand elles sont préparées dans des saumures aromatisées au romarin, au thym ou à l’ail.

En une journée, nous avons récolté environ 4 grosses caisses d’olives.

Conservées dans des caisses en plastiques plutôt que dans les traditionnels sacs en toile de jute, les olives sont moins compressées et se conservent mieux en attendant d’être préparées ou d’aller au moulin.

Bilan de la journée : 35 oliviers passés au peigne fin, 4 pauses à l’ombre des oliviers à déguster les merveilleux spanakopitas de la boulangère de Pale Kastro et 4 caisses pleines d’olives.

Place à l’étape suivante : la préparation des olives (mais pour cela, il faudra attendre encore un peu !)

Après l’effort, le hamac

Λίγο λάδι, λίγο δουλειά / Peu d’huile, peu de travail

Cette phrase pleine de bons sens, c’est la mère de notre producteur Manolis qui l’a prononcé. Une façon de relativiser la maigre récolte qui s’achevait prématurément mi-novembre.

La récolte est en effet une période épuisante, surtout quand elle s’éternise. Tout y est lourd : les filets, les perches, les sacs remplis.

Mais avant d’être un travail physique, la récolte est un savoir faire. Celui d’agencer les filets de façon logique et méticuleuse pour avancer rapidement d’arbre en arbre sans perdre d’olives. Celui de faire tomber les olives sans casser trop de branches ni écraser les fruits à terre. Celui de trier les feuilles des olives avant de mettre en sac.

Cette année, en raison de la grande sécheresse de l’hiver dernier, les arbres ont donné très peu d’olives. Ces années à maigre récolte, la possibilité que nous offrons aux producteurs de vendre leur huile à un prix juste prend tout son sens. Elle permet à Manolis d’appréhender plus sereinement l’année à venir… en attendant la pluie !

 

La taille des oliviers / Το κλάδεμα της ελιάς

En Février, alors que les retardataires finissent la récolte, la plupart des producteurs s’attèlent à la taille des oliviers.  On commence par retirer les branches sèches, qui ne donneront plus d’olives. Puis, on élague de façon à laisser le soleil pénétrer uniformément. On coupe aussi les branches les plus hautes pour se faciliter la récolte prochaine, ce qui explique d’ailleurs la forme tassée des oliviers. Enfin, on s’assure que l’arbre n’empiète pas sur l’espace de ses voisins.

L’olivier fournit de l’huile… et le bois pour se chauffer l’hiver !

Une fois la taille effectuée, il faut brûler les branches trop fines pour en faire du bois de chauffe. Si les feuilles sont souvent laissées au pied de l’arbre car elles agissent comme un engrais naturel très efficace, il est important de brûler les petites branches sous peine d’en faire de véritables nids à mouches !

Contrairement à de nombreux arbres, l’olivier ne perd pas ses feuilles d’une année sur l’autre. Ces économies d’énergie permettent à ce petit arbre d’afficher une longévité qui ferait pâlir de jalousie certains chênes  – en Crète, on compte de très nombreux oliviers millénaires ! C’est notamment pour respecter la logique propre à cet arbre magique que nos producteurs taillent les arbres de façon mesurée.

Ils ont sûrement reçu une tronçonneuse à Noël

D’autres en revanche n’hésitent pas à laisser les arbres tous nus. Cela permet d’avoir des “super-récoltes” tous les 3 ans et réduit l’incertitude des rendements. “Il faut leur pardonner, ils sont ignorants… et ont sûrement reçu une tronçonneuse à Noël” se moque Virginie, notre productrice, sans cacher son amertume face à ces pratiques très destructrices sur le long terme.

Le feu : la dernière étape après 4 mois à transpirer dans les oliviers. On comprend que nos amis producteurs aient le sourire !

Un de nos jeunes oliviers après la taille.

Massacre à la tronçonneuse : un exemple de ce qu’il ne faut pas faire !

La récolte 2015 en images !

Aujourd’hui, les Crétois célèbrent l’άγια Θεοφάνια, l’épiphanie. Nos producteurs, Virginie et Manolis, eux, ont une autre excellente raison de faire la fête : la récolte des olives est achevée !

Il est donc grand temps de partager avec vous quelques images de la récolte 2015 !

 

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Alors que Virginie installe les filets, les premières olives commencent à tomber grâce aux perches électriques.

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Pour les plus jeunes arbres, un petit peigne suffit pour cueillir les olives !

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Une fois que toutes les olives sont tombées, Virginie sépare les branches des olives. Foncées, de petite taille et gorgées d’huile, les olives sont récoltées très précocement (dès le mois de novembre) pour obtenir une huile d’olive primeur.

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La récolte des olives, un travail d’équipe !

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Dernière étape, on remplit les sacs en toile de jute pour les amener à l’huilerie du Monastère de Toplou, à quelques kilomètres seulement.

Merci à Manolis Tsantakis, notre producteur-photographe pour ces magnifiques images !

La fabrication de l’huile : un savoir-faire ancestral et des outils modernes

La récolte des olives s’étale de novembre à janvier. Nos producteurs la démarrent très tôt afin d’obtenir une huile primeur au fruité vert d’une grande fraîcheur, privilégiant la qualité sur la quantité. En effet, les olives perdent progressivement leur richesse aromatique mais elles continuent de se gorger de lipides.

La récolte manuelle pratiquée en Crète nécessite plus de main-d’œuvre et de temps que les méthodes à l’aide d’engins mécaniques qui, elles, risquent d’endommager les racines des oliviers.

Les Crétois utilisent des gaules, sorte de peignes à long manche qui nécessitent un vrai savoir-faire pour ne pas abimer l’arbre et les fruits. Les gaules sont aujourd’hui électriques.

Les olives tombent dans des filets, qui présentent de nombreux avantages par rapport aux bâches en plastique ou aux toiles de jute : ils épousent parfaitement la forme du terrain ; ils laissent passer la poussière et les petits débris ; ils ne retiennent pas l’eau, permettant aux olives de sécher rapidement après la pluie.

Un mois avant la pose des filets, les terrains sont soigneusement nettoyés. Les filets représentent un investissement conséquent et, même de très bonne qualité, ils risquent de se déchirer sur les ronces ou les rejets au pied des oliviers. Si une terre labourée facilite grandement la pose des filets, nos producteurs préfèrent maintenir l’enherbement naturel, qui limite l’érosion des sols par le ruissellement de l’eau et favorise l’activité biologique du sol et la biodiversité dans l’oliveraie.

Une année « normale », la récolte d’un arbre permet de produire 15 kilos d’huile (soit un peu plus de 20 litres). Certaines années dites de « vedema » (βεδεμα), les arbres ploient sous les olives et le rendement peut atteindre 35 à 40 kilos d’huile par arbre.

D’où l’importance de la taille, qui supprime une partie des jeunes pousses. Si elles n’étaient pas coupées, l’olivier donnerait beaucoup trop d’olives et ne fabriquerait pas assez de nouveaux rameaux, ce qui signifie moins d’olives l’année suivante.

Chaque saison est différente et dépend des conditions climatiques. En 2013-2014, il n’y a par exemple quasiment pas eu de récolte en Crète à cause des vents du Sud. Chargés de poussière du Sahara, ils ont empêché la nouaison (formation) des olives.

La mouche de l’olivier, appelé dakos (δακοσ) en grec, est responsable d’importants dégâts dans tout le bassin méditerranéen. Cet insecte pond dans les olives et ses vers font tomber les fruits.

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Au moulin

Les olives récoltées doivent être acheminées le plus tôt possible au moulin et pressées dans la journée pour conserver toute leur fraîcheur. Il faut compter une heure de presse pour 1,2 tonne d’olives. 5 kilos d’olives sont nécessaires pour obtenir un litre d’huile.

Nos producteurs amènent leurs olives au Monastère de Toplou, qui n’accepte que les productions biologiques.

Une fois arrivées au moulin, les olives sont déchargées sur des tapis roulants, où un premier tri est réalisé par aspiration des feuilles et des branches. Les fruits sont ensuite lavés à plusieurs reprises et un second tri est réalisé à la main.

L’essentiel de l’huile se trouvant dans la pulpe, les olives sont tout d’abord broyées pour faire éclater les cellules et obtenir une pâte qu’on malaxage pour rompre l’émulsion entre l’eau et l’huile et faire agglomérer les particules d’huile en gouttes plus grosses

L’huile est ensuite extraite par pression à froid afin de séparer la phase liquide, l’émulsion eau-huile, de la phase solide, les grignons. Concrètement, les olives sont « simplement » pressées mécaniquement à température ambiante, jamais au-dessus des 27 degrés.

L’huile est enfin séparée de l’eau par décantation naturelle.

L’huile ainsi obtenue peut être qualifiée de vierge extra ou d’extra vierge : aucun traitement physique ou chimique (tel que le raffinage) n’est employé. On obtient un pur jus de fruits constitué uniquement d’acides gras, de molécules aromatiques, de pigments et de vitamines.

Vous pourrez constater qu’un dépôt se forme au fond du bidon. En effet, nos producteurs font le choix de ne pas raffiner leur huile. Si ce dépôt ne se consomme pas, il n’est absolument pas dangereux pour la santé. Au contraire ! Raffiner l’huile comme le font les industries agroalimentaires pour faire disparaître les impuretés nécessite des traitements physiques et chimiques qui font perdre à l’huile une grande partie de ses qualités nutritives et gustatives.

Les Crétois ont toujours considéré ce dépôt comme naturel et il est entièrement recyclé dans la fabrication artisanale de savons.

De même, le mélange de chair, de peau et de noyaux qui restent après la presse peut-être utilisé comme carburant pour le chauffage des maisons !