Le saint des seins

J’ai eu quelques fois l’occasion d’aborder le sujet de la maternité dans cette lettre : 

  • Ici, nous faisions un tour d’horizon des maternités, souvent contrariées, de nos déesses 
  • , je vous racontais l’accouchement de Leto à Délos
  • Pendant le confinement, nous avons étudié le cas de Héra, déesse du mariage mais certainement pas de la maternité (malgré ce qu’on a essayé de nous faire croire)
  • Ou encore à travers la paternité très maternelle de Zeus

J’en conviens, ce « quelques fois » est un euphémisme : les liens complexes qui lient les mères à leurs rejetons dans la mythologie me passionnent. Et comme si j’avais besoin d’encouragements, une double actualité me force à me pencher, une fois de plus, sur le sujet !

  1. La fête des mères qui approche à grands pas (le dimanche 4 juin, vous avez un cadeau ?
  2. La sortie de deux livres qui m’ont beaucoup intéressés : Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique de Aurélie Damet et Allaiter de l’Antiquité à nos jours. Histoire et pratiques d’une culture en Europe de Véronique Dasen de Francesca Prescendi*. 

Alors c’est décidé, aujourd’hui, on parle de la mère dans sa fonction nourricière. Mais faites confiance à la mythologie pour apporter une vision, disons peu conventionnelle, de l’allaitement !

Détail d’une céramique grecque du IVème siècle avant JC.

Si on regarde de plus près, les mythes qui s’y intéressent impliquent en effet assez peu les mères elles-mêmes. Et quand elles le sont, c’est pour leur reprocher de ne pas avoir allaité leurs bébés.

C’est le cas tragique de Clytemnestre, qui, épuisée d’avoir donné le sein à ses trois premiers enfants, confie cette tâche à une nourrice pour son petit dernier, Orestre. Mauvaise idée ! Quand des années plus tard, ce même Orestre s’apprête à lui trancher la gorge pour venger son père, elle tente de l’amadouer avec un mensonge « Je t’ai nourri, je veux vieillir à tes côtés », mais Oreste ne se laisse pas avoir par le sein dénudé de sa mère et l’égorge sans frémir. 

Oreste massacrant Egisthe et Clytemnestre de Bernardino (1654)

En revanche, la mythologie foisonne d’histoires de nourrices, qu’elles soient mortelles comme Euryclée ; ou Ino, qui en donnant le sein à Dyonisos deviendra Leucothée divinité protectrice des marins ; ou même animales comme la chèvre Amalthée qu’on ne présente plus, ou la biche qui recueille Téléphe, fils d’Héraklès et de la mortelle Augé. 

Mais l’histoire d’allaitement la plus fameuse est celle d’Héraklès. Il s’agit du mythe étiologique de l’origine de la Voie lactée. 

Le récit commence avec une petit nourrisson laissé seul sur une plaine de Grèce. Ce chérubin en détresse a été abandonné par sa mère Alcmène espérant ainsi échapper à la colère d’Héra. Car Alcmène s’est unie bien malgré elle avec Zeus et de cette union est né le dieu qui volera bientôt la vedette à tous les autres avec ses muscles saillants : Héraklès, encore prénommé Alcide. 

Comme le hasard fait bien les choses, voilà qu’arrivent sur cette plaine Héra et Athéna**, en pleine promenade digestive. Étonnée par la beauté et la vigueur du nourrisson, Athéna encourage Héra à la prendre au sein. Celle-ci ignore qu’il s’agit du fils illégitime de son mari et s’exécute avec joie. Mais le petit Héraklès lui tête le sein de façon si vigoureuse qu’elle l’éloigne violemment d’elle. Un surplus de lait gicle alors dans le ciel : c’est la création de la Voie lactée. 

L’Origine de la Voie lactée de Rubens (1636)

Quel comble ! La mère, Alcmène, sensée protéger son enfant, l’abandonne quand la marâtre, d’habitude si peu encline à pouponner, le nourrit.

Cette évènement n’est pas sans conséquence pour notre jeune dieu puisqu’il développe alors une relation privilégiée avec sa belle mère, jusqu’à prendre son nom (Héraklès signifie « à la gloire d’Héra »). Ces fameuses gouttes de lait sorties du sein de la déesse dessinent pour Héraklès la porte d’entrée de l’Olympe. Car par cet allaitement, Héraklès change de statut et devient un dieu olympien.

Quant à Alcmène, elle est emmenée par Zeus à la fin de sa vie sur les îles des Bienheureux, lieu délicieux des Enfers où les âmes vertueuses goûtent un repos bien mérité après leur mort. Enfin une fin heureuse pour une maman !

Retiens la nuit

Hypnos n’est pas un dieu comme les autres. Personnification du sommeil, il est le fils de Nyx, la Nuit, et le frère jumeau de Thanatos, la Mort. C’est vous dire la crainte qu’inspire le sommeil chez nos anciens amis. Il n’est pas des divinités que l’on contrarie, au contraire il est très utile de l’avoir dans sa poche pour faire avancer ses manigances. Quand Héra souhaite solliciter son aide pour endormir Zeus et l’empêcher de porter secours aux Troyens, elle va jusqu’à l’appeler « maître de tous les dieux et de tous les hommes »*.  Pas partisan pour un sou, après Héra, c’est son mari Zeus qu’Hypnos va épauler dans l’histoire que je vais vous raconter, celle de la naissance du plus populaire de tous les Dieux : Heraklès. 

Tête d’une statue en bronze représentant Hypnos, copie romaine d’un original hellénistique (environ 275 av. J.-C.)

Tout commence quand les Taphiens et les Téléboens, redoutables pirates de la mer Ionienne et pilleurs de villes, débarquent à Mycènes, cité du Nord du Péloponèse pour voler les troupeaux du roi Éléctryion. Les huit fils du roi et de la reine Anaxo sont tués pendant la bataille laissant derrière eux leurs parents ainsi que leur petite soeur, Alcmène. Ni une ni deux, le père endeuillé prend la mer pour une expédition punitive et donne les clés de la ville à son neveu, Amphitryon ainsi que la main de sa fille Alcmène. 

Une ville et une épouse d’un seul coup, Amphitryon pense avoir touché le gros lot. Seulement, Alcmène ne l’entend pas de cette oreille et lui affirme qu’elle ne partagera pas son lit tant que ses frères ne seront pas vengés. Le nouveau roi se résigne alors à partir à son tour faire la guerre contre les Taphiens et les Téléboens et laisse sa belle reine seule au palais.

Alors qu’Amphitryon connait de grandes victoires en mer Ionienne,Zeus profite de son absence pour tromper Alcmène. Le dieu prend l’apparence du roi et entre au palais triomphant. Il annonce à Alcmène qu’il a vengé ses frères et réclame les faveurs qu’elle lui refusait jusque là… Mais derrière ce viol se cache bien plus que le simple plaisir de la chair. Zeus a une autre idée derrière la tête : il souhaite par cette union mettre au monde le plus grand de tous les héros. Comme une telle tâche ne peut pas s’accomplir en une seule nuit, par l’intermédiaire d’Hermès, il demande de l’aide à Hélios, le Soleil et à Hypnos, le Sommeil. Afin que cette nuit dure trois nuits, Hélios éteint ses feux solaires, détèle son char et reste tranquillement chez lui le lendemain. Quant à Hypnos, il est chargé d’endormir l’humanité toute entière d’un si profond sommeil pour que personne ne s’aperçoive de ce détour temporel. 

Jupiter et Alcmène gravure de Nicolas Tardieu (1729)

Ainsi, pendant trente-six heures, Alcmène s’offre à son soit-disant mari. Quand le vrai Amphitryon revient le lendemain et annonce sa victoire, il est étonné du manque d’enthousiasme de sa femme. Et quand il tente de l’emmener dans leur chambre à coucher, la reine lui annonce qu’autant elle était prête à écouter le récit du combat une deuxième fois pour lui faire plaisir, mais que pour ce qui est de retourner au lit, la réponse est non. Elle est bien trop épuisée par la nuit qu’ils viennent de passer. Interloqué, Amphytrion se précipite chez le devin Tirésias qui lui révèle le pot aux roses. Mais quand on est fait cocu par le roi des Dieux, il n’est pas facile de se venger. Le pauvre Amphytrion n’osa plus jamais toucher sa femme, de peur de s’attirer les foudres de la jalousie divine. 

Neuf mois plus tard, Alcmène accouche d’un demi-dieu, Heraklès, destiné à de très grandes choses. Mais c’est une autre histoire !

* Iliade, Chant XIV, vers 233

L’allégorie derrière votre olivier

Le rameau d’olivier d’Éiréné, déesse de la paix, l’olivier qu’Athéna fait jaillir du sol pour gagner le patronage de la ville d’Athènes, la couronne d’oliviers des jeunes mariés : l’olivier porte en lui de multiples allégories. Poursuivons ensemble ce jeu des symboles !

Éiréné / Εἰρήνη

L’allégorie que nous choisissons pour cet arbre-ci est justement Éiréné, la déesse de la paix. Dans l’Énéide, Virgile associe à plusieurs reprises son attribut, le rameau d’olivier, à la Paix. Mais c’est surtout l’Ancien testament, avec Noé, qui impose notre arbre fétiche définitivement comme le symbole de la paix partout en Occident.

Antéros / Ἀντέρως

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Antéros, le dieu de l’amour réciproque, ou de la haine et de l’aversion. Attention, Antéros est susceptible et punit également ceux qui se moquent de l’amour. Celui-là ne badine pas avec l’amour, vous l’avez compris. 

Gélos / Γέλως 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Gélos, l’esprit du rire. On trouve des traces de son culte à Sparte. 

Harmonie / Ἁρμονία 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Harmonie, déesse de l’ordre, de la symétrie et de la concorde. 

Thrasos / Θράσος 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Thrasos, l’esprit de l’audace. Thrasos possède deux visages : personnalisation du courage, il peut devenir arrogant quand il s’emporte. 

Eulabéia / Εὐλάβεια

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Eulabéia, l’esprit de la discrétion, de la prudence et de la circonspection. Dans l’évangile selon Saint Luc, on retrouve le terme “eulabe” (εὐλαβής) pour caractériser un homme pieux. 

Tyché / Τύχη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est  Tyché, la déesse de la chance, de la providence et du destin. Elle est représentée avec une balle qui rebondit de bas en haut, signe de l’insécurité de nos destins. 

Hédoné / Ἡδονή 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Hédoné, l’esprit du plaisir. L’union entre Psyché (l’Âme), et Éros (le Désir), ne pouvait qu’engendrer la plus sensuelle des déesses. 

Édos / Αἰδώς

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Édos, l’esprit de la décence, de la révérence et du respect. 

Pistis / Πίστις

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Pistis, l’esprit de la confiance, de l’honnêteté et de la bonne foi. Les Romains avec son équivalent Fides feront d’elle, plus tard, une divinité de premier ordre. 

Nomos / Νόμος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Nomos, l’esprit de la loi. Décrite par Hérodote, elle seule permet selon lui aux humains de vivre ensemble en harmonie. 

Hormé / Ὁρμή

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est  Hormé, l’esprit de l’élan, de l’enthousiasme, du fait de se mettre en mouvement et de commencer une action. Liée au culte d’Athéna, Hormé est associée aux artisans, à tous ceux qui travaillent avec leurs mains. 

Alètheia / Ἀλήθεια

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Alètheia, l’esprit de la vérité, de l’honnêteté et de la sincérité. Chouchoute des philosophes, elle apparaît dans les textes du Grec Parménide au Vème siècle avant JC puis chez… Heidegger au XXème siècle !

Technè / Τέχνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Technè, la personnification des arts et des compétences. Le terme techné devient chez Aristote l’action efficace qu’il oppose à la praxis, l’action qui permet de se perfectionner. 

Aergie / Ἀεργία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Aergie, l’esprit de l’oisiveté, de la paresse et de l’indolence. D’après l’auteur latin Hygin, elle garderait Hypnos, dieu du sommeil, dans le royaume souterrain des morts. A priori, ils devraient bien s’entendre. 

Euthénie / Εὐθενία

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euthénie, l’esprit de la prospérité, de l’abondance et de la profusion. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire). 

Elpis / Ἐλπίς

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Elpis, l’esprit de l’espérance et des attentes. Seul maux resté au fond de la boîte de Pandore, Elpis interroge notre compréhension de la notion d’espérance. Elle est cette attente ambigüe qui fait le sel de l’existence humaine !

Péitho / Πειθώ

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Péitho, l’esprit de la persuasion et de la séduction. Selon Hésiode, elle aide les Heures et les Charites à parer Pandore (celle de la fameuse boîte) de tous les attributs de la séduction. 

Philophrosyne / Φιλοφροσύνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Philophrosyne, l’esprit de la bienveillance, de la bonté et de la bienvenue. Malgré son nom pas très avenant, elle est l’une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Euthénie (la Prospérité), Euphémé (les Louanges) et Eukléia (la Gloire). 

Arété / Ἀρετή

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Arété, l’esprit de la vertu, de l’excellence, de la moralité et de la bravoure. Pour l’helléniste Werner Jaeger, l’arété représente pour les Grecs anciens l’adaptation parfaite, un idéal utile, qui s’ajuste, loin de nos acception modernes de la vertu. 

Ponos / Πόνος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Ponos, l’esprit du travail et du labeur. Fils d’Eris (la Discorde), selon Hésiode, il a entre autres pour soeurs Léthé (l’Oubli), Limos (la Famine), les Algos (la Douleur), les Phonoi (les Meurtres), ou encore les Pseudea (les Mensonges). On choisit pas sa famille…

Adéphagie / Ἀδηφαγία

 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Adéphagie, l’esprit de la satiété et de la gloutonnerie. Le jargon médical français, très friand des étymologies grecques, lui a emprunté son nom pour définir une faim excessive. 

Morphée / Μορφεύς

Le Morphée de Houdon (1777)

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Morphée, le dieu des rêves, qui prend forme humaine. Dans l’Iliade, Zeus l’envoie auprès d’Agamemnon pour lui suggérer le rêve destructeur qui incite les Achéens à reprendre le combat. 

Sophrosyne / Σωφροσύνη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Sophrosyne, l’esprit de la modération, de la maîtrise de soi, de la tempérance, de la retenue et de la discrétion. Elle a donné son nom à un tout petit crustacé tout aussi modeste qu’elle.  

Euphémé / Εὐφήμη

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Euphémé, l’esprit des mots de bon augure, de l’acclamation, de l’éloge, des applaudissements et des cris de triomphe. Elle est une des quatre Charites (qui deviendront les Grâces romaines) avec ses sœurs Philophrosyne (la Bienveillance), Euthénie (la Prospérité) et Eukléia (la Gloire). 

Kalos kagathos / Καλοκαγαθία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Kalos kagathos, l’esprit de la noblesse. Devenue une expression idiomatique exprimant l’idéal de corps et d’esprit, “kalos kagathos” est en quelques sortes l’ancêtre du fameux “mens sana in corpore sano” latin. 

Niké / Νίκη 

La Victoire de Samothrace représentant Niké

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Niké, la déesse de la victoire. C’est la forme de ses ailes qui inspirera à une célèbre marque de sport américaine son fameux logo

Caerus / Καιρός

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Caerus, l’esprit de l’opportunité. C’est le plus jeune des fils de Zeus, le petit chouchou en quelque sorte. 

Coros / Κόρος

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Coros, l’esprit de l’excès. Il accompagne Dyonisos, le dieu de la vigne. On lui avait pourtant dit que boire en excès comporte des risques. 

Épiphron / Ἐπίφρων

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Épiphron, l’esprit de la prudence, de la perspicacité, de la prévenance et de la sagacité. Fils d’Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit), il a retenu la leçon de ses parents : dans l’obscurité, la prudence est de mise, sur la route comme dans la vie. 

Bia / Βία 

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Bia, l’esprit de la force, de la puissance, de la force physique et de la compulsion. Avec le dieu Cratos, elle enchaîne Promethée au aux rochers du Caucase sur ordre de Zeus pour le punir d’avoir donné le feu aux humains. 

Écéchéirie / Ἐκεχειρία

L’allégorie que nous associons à cet arbre-ci est Écéchéirie, l’esprit de l’armistice et de la fin des hostilités. Il est honoré aux Jeux Olympiques.

Une gentille famille, une blanche colombe et un rameau d’olivier

Ou comment l’olivier est devenu le symbole de la paix dans le monde occidental.

Tout commence en 2 348 ans avant l’ère chrétienne, alors qu’un certain Noé approche les 600 ans. Les descendants d’Adam et Ève ont peuplé la terre et sont devenus si mauvais que leur Créateur, dégoûté par la tournure des évènements, décide de tous les éradiquer. Tous ? Non ! Une famille résiste encore et toujours au péché et trouve grâce à ses yeux. Il s’agit de Noé, de sa femme (dont la Bible préfère taire le nom…), de leurs trois fils ainsi que leurs épouses. Dieu donne donc l’ordre a Noé de construire une arche qui sera leur refuge et d’y mener un couple de chaque espèce animale. 

Une fois à l’abri, le déluge frappe la Terre. En 40 jours, La pluie submerge les terres ainsi que les montagnes et efface au passage toute trace de vie. Quand la pluie cesse enfin, Noé profite de l’éclaircie pour lâcher une colombe. Hélas, elle lui revient le bec vide, indiquant que l’eau recouvre encore toute la surface de la Terre. Ce bon vieux Noé attend sagement sept jours de plus et lâche de nouveau la colombe qui, cette fois, revient avec un rameau d’olivier. Alléluia ! L’humanité est pardonnée : c’est le temps de l’accalmie, celui du renouveau . Bientôt, les passagers de l’arche pourront s’atteler à repeupler la Terre. D’ailleurs, quand sept jours plus tard, Noé lâche de nouveau la colombe, elle ne revient pas : elle a pu faire son nid sur terre, il est temps d’accoster. 

L’arche de Noé, miniature issue du Psautier de saint Louis

La blanche colombe, comme analysé par l’historien et spécialiste des couleurs Michel Pastoureau, a contribué à établir le blanc comme la couleur de la paix à partir du Moyen Âge. Il s’oppose au noir du corbeau, présent lui aussi dans le récit biblique mais qui, bien que lâché comme la colombe, échoue à revenir avec une bonne nouvelle. Au fil des siècles, fort de sa réputation biblique, le rameau d’olivier s’impose comme le symbole incontesté de la paix, jusqu’à venir décorer le logo de l’ONU en 1945. C’est enfin Picasso, en 1949, qui lui donne une portée internationale avec sa célébrissime colombe de la paix.  

La célèbre colombe de la paix de Picasso, tenant dans son bec un rameau d’olivier. 

Patiente qui comme Pénélope a fait un beau mariage

Quand on évoque la patience, un prénom vient naturellement en tête, celui de Pénélope qui a attendu vingt ans le retour de son illustre mari, Ulysse. Vingt ans ! En voilà un modèle de fidélité et de patience. Il était donc grand temps de lui rendre hommage. 

Avant d’être la femme d’Ulysse, Pénélope est la fille chérie de son père Icarios, frère du légendaire roi de Sparte Tyndare. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci n’est pas pressé de marier sa fille. Mais comme il le faut, il organise une redoutable course de char pour départager les prétendants. Tout droit venu d’Ithaque, c’est l’habile Ulysse qui remporte la course et le coeur de la jeune fille. Un coup dur pour le pauvre papa qui tente de convaincre Ulysse de rester à Sparte, en vain car, on le sait, Ulysse est toujours heureux de rentrer chez lui après un long voyage. Une fois en route vers la mer Ionienne, Ulysse et Pénélope entendent des gémissement. C’est encore ce vieil Icarios qui suit le char des nouveaux époux en se lamentant. Pour Ulysse, la farce a assez duré :  il demande à Pénélope de choisir une fois pour toute entre lui et son père. Ce qu’elle fait, délicatement, en se couvrant la tête d’un voile, signant ainsi son allégeance à son mari. 

Kirk Douglas et Silvana Mangano dans Ulysse de Mario Camerini en 1954

Arrivés à Ithaque, Ulysse et Pénélope ont un fils, Télémaque. Et c’est pour ne pas quitter son nouveau né qu’Ulysse simule la folie afin de ne pas être envoyé combattre à Troie. Mais sa ruse est dévoilée et le héros n’a d’autre choix que de quitter femme et enfant pour rejoindre les rangs des Achéens. Son fils, il n’est pas prêt de le revoir car une fois à Troie, le siège s’éternise et il lui faudra dix ans pour qu’il mette au point l’idée du fameux cheval qui fera basculer le cours de l’Histoire. Aux dix ans de siège, il faut ajouter les dix ans d’errance avant son retour à Ithaque : notre héros a en effet eu la mauvaise idée d’aveugler le cyclope Polyphème, fils de Poséidon qui lui garde une rancune tenace et le fait s’égarer en mer une décennie entière. 

Mais pendant tout ce temps, que fait Pénélope ? 

Dans le palais d’Ithaque, elle s’occupe de son fils, Télémaque entourée de ses servantes. Pendant les dix premières années de son interminable attente, Pénélope est laissée plutôt tranquille. Mais dès la guerre finie, Ulysse tardant à revenir, la Grèce bruisse de la mort du héros et comme dix ans auparavant, nombreux sont ceux qui rêvent d’épouser la sublime Pénélope. Tous les quatre matins, notre fidèle épouse doit repousser les sollicitations et refuser de croire les mauvais augures qui annoncent la mort d’Ulysse.

Pénélope et les prétendants, de John William Waterhouse (1912)

Mais si la patience de Pénélope semble est sans limite, ce n’est pas le cas de celle de ses prétendants, toujours plus nombreux ! Alors que près de vingt ans se sont écoulés, c’est cent quatorze prétendants qui s’amassent dans le palais. Et la main de la belle Pénélope n’est pas la seule raison de la venue par centaines de ces grossiers personnages : en l’absence d’Ulysse, ils festoient toutes les nuits, pillant les ressources du palais. 

Plus le temps passe, plus la pression augmente autour de la reine, sommée de choisir un nouvel époux. C’est alors qu’elle met au point la fameuse ruse : elle annonce qu’elle choisira un mari une fois le linceul qu’elle tisse pour Laërte, son beau-père, achevé. Mais chaque nuit, Pénélope défait l’ouvrage de la journée*, repoussant indéfiniment l’heure du choix. L’astuce aurait pu fonctionner si l’une de ses servante ne l’avait pas trahie ! Décidément bien seule, Pénélope doit imaginer un nouveau stratagème. Cette fois, elle annonce qu’elle épousera celui qui saura bander l’arc d’Ulysse, persuadée que seul son véritable mari en est capable. Or, entre temps, voici Ulysse (enfin !) de retour. Il se glisse parmi la foule de prétendants déguisé en mendiants. 

Après que tous les princes grecs se sont, un par un, cassé les dents sur l’impossible arc, Ulysse, toujours déguisé, suggère de s’y essayer… Pénélope, l’y autorise mais à cet instant, Télémaque, au courant de la supercherie, demande à sa mère de se retirer dans ses appartements pour qu’elle n’assiste pas au massacre qui arrive. Aidé de son fils et d’Athéna, Ulysse tue alors tous les prétendants. Et il ne s’arrête pas là. Ivre de colère, il fait aussi descendre toutes les servantes qu’il accuse d’avoir pactisé avec les prétendants et les tue elles aussi. Toutes, sauf Euryclée, sa vieille nourrice qui lui est restée fidèle. Le palais débarrassé de ses intrus, Ulysse fait appeler Pénélope…

Bague en or représentant Pénélope trouvée en Syrie datant du Vème siècle. Elle y est mélancolique, la main portée au visage. Cette iconographie de Pénélope est largement diffusée et c’est dans cette posture qu’elle est le plus souvent montrée.  

Les grandes retrouvailles semblent enfin s’annoncer, pourtant Pénélope reste sur ses gardes. Après vingts années d’éloignement, elle peine à reconnaître son mari. Pour en avoir le coeur net, elle met au point un (énième !) stratagème : elle feint de demander à Euryclée de sortir leur lit conjugal de la chambre pour le garnir de “peau de chèvres, de couvertures de laine et de riches tapis“. Or ce lit, construit par Ulysse lui-même, n’est pas transportable. Le rusé Ulysse a trouvé plus rusé que lui puisqu’il tombe dans le piège et fait à sa femme cette réponse : 

« Pénélope, tu viens de prononcer une parole qui m’a déchiré le cœur ! Qui donc a déplacé cette couche ? L’homme le plus habile et le plus fort n’aurait pu en venir à bout.[…] c’est moi seul qui l’ai construite, et nul autre n’y a mis la main. — Dans l’enceinte de la cour s’élevait jadis un superbe et. vigoureux olivier à l’épais feuillage, dont le tronc était aussi gros qu’une colonne. Autour de cet olivier je bâtis la chambre nuptiale avec des pierres étroitement unies ; […] Je coupai ensuite le sommet de l’olivier, […] et j’en formai le pied de ma couche, que je façonnai avec le plus grand soin, et que j’enrichis d’or, d’argent et d’ivoire»**

Copie romaine en marbre blanc se trouvant actuellement au musée du Vatican d’un original grec datant d’environ 460 av. J.-C. 

Désormais rassurée sur l’identité de son époux, Pénélope se jette enfin dans les bras de son mari ! Un lit comme symbole de leur amour, un lit pour se retrouver, dans le souvenir avant de se retrouver charnellement. Et pas n’importe quel lit : un lit creusé directement dans le tronc d’un olivier. C’est vous dire si la symbolique me plait !

Jean-Pierre Vernant nous offre une analyse de ce passage de l’Odyssée passionnante : quand Ulysse rentre à Ithaque, déguisé, il retrouve peu à peu son identité en redevenant le père de Télémaque, en retrouvant ses serviteurs ou en faisant preuve de son habileté. Seule Pénélope refuse dans un premier temps de le reconnaître. Car pour Pénélope, Ulysse n’est pas un mari, un père ou un roi, c’est à dire une fonction, pour elle, Ulysse est une individualité, celui qui partage avec elle un passé, des souvenirs, un lit. Cette relation est une anomalie dans l’histoire du roman grec estime Vernant. Est-ce la clé de la patience de Pénélope ? Irremplaçable pour son père Icarios, elle possède la capacité de reconnaître la singularité d’un amour. Pour Pénélope, un seul être lui manque, et tout est dépeuplé ! 

* Méthode employée par une autre Pénélope à l’Assemblée Nationale, l’empêchant de justifier ses heures de travail ?
** Odyssée, chant XXIII

Petit mais costaud

Peut-on être immortel et vulnérable à la fois ? Autrement dit, les divinités de la mythologie ont-elle droit à la petite enfance, à ce premier âge, celui où la survie est entièrement entre les mains (ou les pattes, nous le verrons) de celles et ceux qui prennent soin de nous ?

Ce paradoxe, les mythes peinent à le contourner quand ils nous font le récit des origines de nos dieux et déesses favorites. Mieux encore, ils semblent se contredire sans que cela ne pose problème à qui que ce soit ! Tandis qu’Athéna nait toute grandie, armée jusqu’aux dents et en pleine possession de ses facultés divines, d’autres, comme son père Zeus, passent d’abord par la case nourrisson.

Laissez-moi rafraîchir votre mémoire et revenons justement sur la naissance de Zeus.

Son père Cronos redoutant de subir le sort qu’il a lui-même infligé à son paternel Ouranos, celui-ci préfère ne prendre aucun risque et avale donc chaque bébé qui naît de son union avec Rhéa. Enceinte de son petit dernier et lassée de voir ses enfants un par un gobés par son terrible mari, Rhéa met en place une supercherie : alors qu’elle vient de mettre au monde le petit Zeus, elle attend la nuit sombre pour le présenter à Cronos. Elle sait que son Titan de mari à l’intention de n’en faire qu’une bouchée alors elle remplace le bébé par une petite pierre dans le lange que Cronos, dans la pénombre, avale sans sourciller. 

La version du mythe par Nicolas Poussin qui, il faut le dire, ne fait la part très belle à notre chè(v)re Amalthée. 

Ouf ! Zeus est sauvé et il est envoyé en Crète sur les flancs du mont Égéon, auprès des nymphes. Difficile d’imaginer le roi des dieux en nourrisson sans défense. Pourtant, le petit Zeus partage avec les Hommes qu’il aimera et aidera tant cette fragilité originelle. Les nymphes chargées de sa protection choisissent soigneusement les nourrices en charge de son alimentation : la chèvre Amalthée est désignée pour son lait et l’abeille Panacris est sélectionnée pour son miel. Devant la grotte, les Curètes, divinités crétoises nées de la pluie, dansent en frappant leur bouclier avec leurs lances pour étouffer les pleurs du nouveau né. Une fois adulte, Zeus part sans plus attendre combattre son père. Avec l’aide de la Titanide Métis, il fait boire à Cronos une boisson émétique qui fait immédiatement vomir son père de toute la fratrie. Désormais en bonne compagnie, la guerre contre les Titans peut commencer…

On note au passage que les frères et soeurs de Zeus avalé.e.s par Cronos, n’étaient par mort.e.s mais seulement prisonnier.e.s du ventre de leur père. Au cours de cette deuxième gestation paternelle, Héra, Déméter, Poséidon et les autres s’aguerrissent. Car chez les Grecs, on ne se débarrasse pas facilement d’un bébé mis au monde ! Gobés par leur père, abandonnés en haut d’une montage comme Pâris et Oedipe ou jetés du haut de l’Olympe comme Héphaistos, mortels ou immortels, les nouveaux-nés ont toujours le don de survivre au sort que leur réserve leurs parents (et ont tendance à sacrément se venger par la suite). 

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre chèvre. 

Si c’est Amalthée qui est choisie pour nourrir le jeune dieu, c’est que la chèvre tient une place toute particulière dans le monde grec. Gardée en troupeau, parfois par des personnages illustres comme Ulysse qui en possède onze hardes sur son île d’Ithaque, elle existe aussi en grand nombre à l’état sauvage, faisant alors des ravages dans les plantations (et sur le bougainvillier de mon père, mais c’est une autre histoire). Familière et indomptable à la fois, elle est à l’intersection entre le sauvage et le civilisé. Elle se trouve dans un espace intermédiaire, un peu comme le petit Zeus dans sa grotte : pas encore tout à fait un Dieu sans être homme pour autant.

Zeus et son allaitement caprin n’est d’ailleurs pas un cas unique. C’est aussi l’histoire d’Asklepios, le fils d’Apollon et de Coronis et des jumeaux Philacis et Philander, nés de l’union entre Acacallis, fille du roi Minos et… d’Apollon, encore lui ! Cette lettre est dédiée à toutes les chèvres d’ici ou d’ailleurs. Coeur avec les cornes.

Dessin à la plume et à l’encre brune de Giulio Romano représentant les nymphes nourrissant Jupiter avec le lait de la chèvre Amalthée. 

Et si l’allaitement par une chèvre peut vous sembler incongru, que dire du cas du petit Pâris ! Abandonné dans la montagne suite au rêve prémonitoire de sa mère Hécube, il est secouru par une ourse qui pendant cinq jours et cinq nuits nourrit de son lait le prince troyen. Quand Agelaos, berger et serviteur de Priam et d’Hécube, revient pour vérifier que le bébé est bien mort et qu’il s’aperçoit avec stupeur qu’il a survécu, il n’a pas le coeur de le tuer et l’élève comme son propre fils. En attendant de croiser la route de trois célèbres déesses, Pâris devient berger, le plus sauvage des métiers, rien de très étonnant pour celui qui a été nourri par le plus sauvage des animaux. 

Qu’elle soit animale ou pas, la figure de la nourrice est omniprésente dans les récits de naissances mythologiques. La plupart des déesses semblent très pressées, une fois leur enfant mis au monde, de le confier à quelqu’une d’autre. Même la très maternelle Leto confie Apollon à peine mis au monde à l’île de Délos anthropomorphisée.

Et si le lien entre nourrice et nourrisson semble très banal dans les mythes, il n’en est pas moins puissant. L’exemple le plus connu de ce lien inaltérable est celui qui unit Ulysse et sa nourrice Euryclée. Quand il rentre (enfin) à Ithaque déguisé en mendiant, la vieille nourrice est une des toutes premières à le reconnaître grâce à une cicatrice qu’il possède sur la cuisse. Pourtant assise à leurs côtés, Pénélope, elle, est incapable d’identifier son mari qu’elle attend fidèlement depuis tant d’années. Ce trio formé par Euryclée la nourrice, Ulysse costumé et Pénélope rongée par la tristesse inspire d’ailleurs les artistes depuis plus de trois mille ans ! En 2022, on peut admirer la scène sur des bas reliefs du 1er siècle avant JC au Metropolitan Museum de New York, sur des toiles du XVIIIe siècle au Louvre ou encore au musée des beaux arts de La Rochelle.

Je vous laisse avec ce petit florilège : 

Leto se resserre

Avant de se plonger dans notre mythe du jour, faisons un petit détour pour explorer ce que nous dit la mythologie sur la maternité.

Pour commencer, un constat. Chez les Grecs antiques, donner la vie est loin d’être un accomplissement. La preuve : la plus puissante de toutes les déesses, Athéna, n’a pas d’enfant et n’en veut pas. Pour autant, le sujet n’est pas mis de côté et les mythes dressent une galerie très vaste de mères, allant des plus tendres (Déméterre avec Perséphone par exemple) aux plus cruelles (comme Héra avec Hephaïstos). En revanche, les premiers instants de la maternité, la grossesse et l’accouchement, sont peu abordés et les dieux et déesses naissent souvent dans leur forme adulte comme Athéna qui sort même du crâne de son père armée jusqu’aux dents.

Loin, si loin de nos « maman hélicoptères » d’aujourd’hui, les déesses en devenant mères portent souvent bien peu d’attention à leur nouveaux nés. En fait, c’est quand ils sont mortels qu’elles s’inquiètent le plus de leur sort (logiquement il faut dire). C’est le cas d’Aphrodite et de son fils mortel Énée. Lors de la guerre de Troie, elle s’implique et le protège. Bien qu’elle ne soit pas portée sur les choses de la guerre, elle se met en danger pour lui, le recouvre d’un pan de son vêtement et le sauve. C’est aussi le cas de Thétis, fille de l’Océan et surtout connue pour être la mère d’Achille. Elle tente de rendre le héros immortel en le trempant dans le Styx, puis essaye, toujours en vain, de le détourner du combat. Mais Achille est mortel et son destin est de mourir, quoiqu’en veuille sa mère impuissante. N’est-ce pas une allégorie sublime de ce que chaque parent redoute le plus au monde ?

Léto enceinte des jumeaux Artémis et Apollon du peintre néerlandais Hendrik Goltzius*

Le plus beau mythe sur l’accouchement est sans doute celui de Léto dans sa version homérique.

Séduite par Zeus, la déesse tombe enceinte et déclenche, une fois de plus, la colère d’Héra. Cette dernière ordonne alors à tous les recoins de la terre de refuser d’accueillir la pauvre Léto pour son accouchement. C’est in extremis qu’elle est recueillie à Délos, entre ciel et terre, alors qu’elle arrive à terme. En échange, la petite île des Cyclades demande simplement que le futur dieu ou la future déesse à naître fasse de l’île son sanctuaire. Mais Héra n’a pas dit son dernier mot ! La reine de l’Olympe interdit à Eileithyia, déesse de la délivrance, d’assister la naissance. Ainsi, pendant neuf jours et neuf nuits, la déesse peine sans parvenir au terme, avant qu’Iris, messagère des dieux et déesses ne parvienne à faire, enfin !, venir Eileithyia. Dès son arrivée, Léto met au monde Artémis. Immédiatement mise à contribution, Artémis aide sa mère à accoucher de son jumeau, Apollon. Marqués par une naissance hors normes et malgré des centres d’intérêts très éloignés – la nature pour l’une, l’art pour l’autre – les deux jumeaux s’aiment et se soutiennent dans toutes leurs aventures. Enfin, pour être honnête, c’est souvent la grande soeur qui vient en aide à son frère qui se fourre toujours dans tous les sales coups. Elle l’assiste quand il affronte le serpent Python, se venge avec lui de la belle Coronis et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité. Et dire qu’il n’a même pas été capable d’inventer une fête des soeurs…

Léto et ses enfants par William Henry Rinehart. 

Sur l’île de Délos comme ailleurs en Grèce, Léto, celle qui a tant souffert, est encore aujourd’hui priée par les futures et les jeunes mamans. J’aurai, de mon côté, une pensée pour elle, quand viendra l’heure de la récolte.

*Titre alternatif au tableau : Léto se prenant en selfie avec sa tablette

Une araignée au plafond

J’avais déjà eu l’occasion de vous parler d’Arachné, cette jeune tisseuse lydienne qui ose rivaliser avec Athéna et finit transformée en araignée. Mais en lisant Les mythes grecs du poète britannique Robert Graves, je suis tombée sur une autre interprétation passionnante de ce mythe étiologique*.

Revenons d’abord sur le mythe un instant

C’est Ovide qui en fait le récit. Jeune fille de Lydie en Asie Mineure, Arachné provoque la colère d’Athéna quand elle affirme être la meilleure tisseuse du monde. Afin de lui prouver sa supériorité et la punir de son arrogance, Athéna organise un concours. Tandis que la déesse choisit d’illustrer sa broderie des dieux de l’Olympe et dans les coins les mortels présomptueux, la jeune fille, elle, représente les dieux en proie à des comportements honteux, notamment Zeus avec ses nombreuses amantes illégitimes. Le tissage est parfait mais jalouse et furieuse, Athéna déchire l’ouvrage d’Arachné. Ainsi humiliée, la mortelle se pend. Pleine de remords, la déesse offre alors une seconde vie à Arachné, mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse tisser pour l’éternité.

Dans cette version du Tintoret, Athéna semble toute puissante, avec son casque et son habit de cuir. Arachné, en revanche, la poitrine nue, se présente bien plus vulnérable. On ne peut que se demander : cette jeune impertinente avait-elle mérité tant de haine ?

Et si cette histoire de jalousie en cachait une autre ?

Ce mythe vous plait ? À moi aussi, pourtant il sonne faux. Il détonne avec ce que l’on sait d’Athéna. Sage conseillère, oui. Stratège, bien sûr. Mais jalouse ? Voilà un défaut qu’on ne lui connait guère. Contrairement à son père, Zeus, elle ne se laisse pas emporter par de vulgaires sentiments humains. Conseillère des Dieux et des héros, elle est le contraire d’une déesse colérique…

C’est ici que Robert Graves intervient. Car dans son ouvrage de référence sobrement intitulé Les mythes grecs, l’essayiste ne se contente pas de faire une relecture des mythes, il les réinterprète à la lumière des connaissances du XXème siècle. En se plongeant dans l’archéologie et l’histoire antique, il déniche mille anecdotes qui permettent de redécouvrir ces histoires illustres. Celle du jour en est le parfait exemple. 

Nous sommes du début du IIème millénaire avant JC. Deux régions de Grèce dominent le commerce de la laine : les tisserands d’Athènes et ceux de Milet, en Asie mineure. Or on a retrouvé au cours de fouilles à Milet de nombreux sceaux à l’effigie… d’une araignée ! D’après Robert Graves, les Milésiens contrôlent à cette époque le commerce de la laine de couleur, de la mer Noire au sud de la Méditerranée, possédant même des entrepôts en Egypte. 

Les Athéniens avaient donc de bonnes raisons de leur en vouloir. De là à écrire une mythe où leur patronne anéantit une tisserande qui ose lui faire de l’ombre, il n’y a qu’un pas ! 

* On appelle mythe étiologique un mythe qui cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel, ou la création d’un être ou d’une chose. Ovide en était particulièrement friand et on trouve de nombreux dans ses Métamorphoses.

Une fleur, deux dieux

Zéphir est la personnification du vent d’Ouest dans la Mythologie. Si son souffle est redouté, c’est surtout pour ses amours déçues qu’il a inspiré Ovide et Euripide.

Hyacinthe changé en fleur de Nicolas-René Jollain, peint en 1769*. Vous pouvez l’admirer au Petit Trianon, à Versailles.

Comme vous le savez, les mythes que je préfère sont les mythes étiologiques, ceux qui cherchent à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Et vous l’avez deviné, ce cher Zéphir nous en fournit un très joli.

Un jour d’été, il tombe fou amoureux de Hyacinthe, jeune Sparte à l’éclatante beauté. Il tente de le séduire mais Apollon s’est lui aussi épris du jeune homme et obtient rapidement ses faveurs aux dépens de notre Dieu colérique. Rongé par la jalousie, Zéphir observe les deux amoureux s’entrainer au stade. Alors qu’Apollon s’élance un disque à la main, Zéphir détourne le vent afin de frapper le Dieu lumineux avec son propre disque. Mais c’est Hyacinthe qui s’effondre à terre, frappé accidentellement à la tempe. Terrassé de chagrin, alors que des gouttes de sang viennent tacher l’herbe du stade, Apollon les fait fleurir. En son honneur, les fleurs nées de ce jour tragique portent le nom de jacinthes.

*Année érotique, peu importe le siècle

Jarre sur la vie de ta mère !

Impossible d’entrer dans une vielle maison crétoise sans les admirer. Majestueuses, elles évoquent des temps anciens, quelques fois chaulées, elles peuvent servir de pot pour une plante ou rester fidèles à leur première mission, le stockage de denrées.

Ces grandes jarres s’appellent des pitharia (πυθαρια). Et je les aime car elles forment un fil rouge dans la culture grecque depuis des millénaires. Jamais, depuis les Minoéens, la Crète n’a cessé d’en produire et jamais les Crétois.e.s n’ont cessé de les utiliser. Bien sûr, les frigos et autres tupperwares les font passer pour des ringardes de la conservation. Il n’empêche, leur production est encore bien en vie et elles sont loin d’avoir dit leur dernier mot !

La culture de l’olivier est millénaire. Ce n’est pas seulement un argument marketing bien éculé lu au dos d’une bouteille d’huile d’olive de mauvaise qualité : c’est la clé pour comprendre en quoi les jarres ont joué un rôle central dans le développement de l’oléiculture. Car à quoi bon cueillir puis presser les olives si l’on ne peut ni conserver, ni transporter leur huile ? 

Alors nos ancêtres du monde Méditerranéen se mettent à la recherche d’un solution…

Et tout aussi étonnant que cela puisse paraître, la jarre n’est pas toujours l’option privilégiée. Étonnant oui, pour nous autres modernes qui avons arpenté les musées archéologiques de Grèce et du monde entier en constatant que la moitié des collections étaient constituées de céramiques. 

Pitharia entreposées devant une maison en travaux dans le village d’Adravasti. 

Cette extraordinaire capacité de conservation de la céramique a été immensément utile aux archéologues pour reconstituer la vie antique. Mais… cette même extraordinaire capacité de conservation a agit comme un miroir déformant. Je m’explique* ! Si la jarre a longtemps été considérée comme le principal moyen de conservation de l’huile d’olive, c’est simplement que sa grande concurrente, elle, ne s’est pas conservée et a été oubliée dans les fouilles de l’histoire.

Cette concurrente, c’est l’outre, fabriquée à partir de peaux de chèvres ou d’autres animaux. Légère, réutilisable, l’outre est longtemps la chouchoute des vendeurs antiques d’huile d’olive. Elles sont tellement courantes qu’une « chèvre d’huile », c’est à dire une outre en peau de chèvre contenant de l’huile devient même une unité de mesure usuelle que l’on retrouve dans de nombreux textes ! 

Idéales ces outres, sauf que… en Grèce notamment, le plus gros animal à disposition est la chèvre, qui ne permet pas de contenir plus de 40 à 50 litres. Pour la conservation et le transport de grandes quantités, il faut donc trouver d’autres solutions.

Jarres qui attendent d’être embarquées par bateau sur l’île de Skyros, milieu du XXème siècle. 

C’est ici que la céramique entre en jeu. Solides, étanches, capables de contenir des centaines de litres, les jarres ne manquent pas d’atouts.

Stockées au fond des bateaux, elles sont même un élément clé de la prospérité de la Grèce antique. Rappelez vous que l’huile d’olive est, avec le vin, l’un des tout premier produit que les Phocéens, ces Grecs d’Asie mineure, apportent en Gaule par Marseille au VIème siècle avant JC. Quant au stockage de l’huile, les anciens n’avaient rien à envier à nos grandes cuves modernes puisque l’on a retrouvé à Chypre des grandes jarres datant du XIIIème siècle avant JC capables de contenir 50 000 litres !

Quelques pitharia et l’église de Thrapsano prises en photo par Pierre C. que je remercie. Merci aussi au passage à Jean-Pierre B. qui a inspiré cette lettre !

Partout où il y a de de l’argile, les artisans potiers s’installent, comme à Thrapsano, au centre de la Crète. Jusqu’à aujourd’hui, ce petit village est l’épicentre de la production crétoise de pitharia. Il faut dire, grâce à la présence naturelle d’argile et de bois en quantité pour alimenter les fours, sa localisation est idéale. La légende dit même que les potiers de Thrapsano seraient des descendants directs de premiers potiers minoens… du IIIème millénaire avant JC.  Ça ne coûte rien d’y croire, et je ne suis pas du genre à laisser passer une belle histoire.

Pendant des siècles, la vie des potiers de Thrapsano est organisée en fonction des saisons : pendant l’été, ils produisent sur place leurs grandes pitharia puis, quand vient l’automne, ils partent les vendre à dos d’âne. Mais ce transport chahuté fait la terreur des potiers qui risquent de tout perdre à chaque mauvais virage. C’est pourquoi un proverbe local affirme « Tout le monde craint Dieu, et les Thrapsaniotes craignent les murs ».

Encore aujourd’hui, le commerce des pitharia fait la fortune de la ville. Au mois de juillet s’y organise un festival de la poterie et si vous n’avez pas la capacité de repartir avec une jarre volumineuse, vous pouvez visiter le joli musée de la céramique. 

* Ou plutôt je laisse Jean-Pierre Brun, professeur au collège de France et archéologue spécialisé dans les techniques et économies de la Méditerranée antique, vous expliquer. 

Et si vous êtes à Marseille et que cet article vous donne envie de mettre les mains dans la terre, venez me voir à l’atelier Déméterre !

Je vous présente Déméterre

Je vous parlais récemment de la fondation de Marseille par un petit groupe de courageux Grecs en 600 avant JC. Or dans les soutes de leur bateau, les Phocéens étaient venus avec du vin et de l’huile d’olive conservés dans… des jarres en céramique.

Comme je suis une femme de cohérence, il me semble donc tout à fait logique de fonder à Marseille mon atelier de céramique !

Vous connaissez mon goût pour la Mythologie, je n’ai pas pu m’empêcher un clin d’oeil à l’une de mes déesses préférées : Déméter, déesse de l’agriculture, de la terre cultivée et féconde. 

Cette terre, c’est à elle que l’on rend hommage à l’atelier car si ses formes nous intéressent, ses fruits, l’olive et le raisin, nous passionnent tout autant ! Et quand je dis nous, je parle de moi et de ma soeur Léa qui proposera très bientôt des ateliers de dégustation de vin. Quant à l’huile d’olive, vous pourrez venir la déguster, l’acheter et même retirer vos colis Adravasti à l’atelier.

Dès maintenant, vous pouvez prendre des cours de modelage et profiter des ateliers partagés pour la pratique libre de la céramique.

Il se trouve 6 boulevard André Aune dans le 6ème arrondissement, à deux pas du square Puget, bien gardé par Notre Dame juste au dessus.

Je compte sur vous pour partager l’information à toutes vos connaissances marseillaises !

Pour suivre les aventures de Déméterre : le compte Instagram et le site internet !

Un vieux bateau et la mer

Peu après mon arrivée aux 8 Pillards (vous savez, cette ancienne usine de brûleurs industriels abandonnée puis réinvestie par huit structures artistiques ou associatives qui accueille désormais mon atelier), un étonnant projet a pris vie sous mes yeux : un bateau à taille réelle était assemblé de la coque au mat en passant par toute la charpente, le tout… en carton ! Son auteur est l’artiste Pierre Blanchard, dit Piero. Rapidement, je comprends que ce n’est pas un bateau comme les autres et que Piero et moi avons des choses à nous dire. 

L’usine Pillards avec les docks marseillais en arrière plan

Tout commence il y a 7 ans, Piero prend un verre avec son ami, le sculpteur Malik Ben Messaoud. Ils discutent des migrants et du parcours du combattant pour obtenir des papiers. À un moment, Piero lance «  avec ce qu’il te font faire comme papiers, tu as de quoi te faire un bateau ». Il faut dire, il parle à un professionnel, le support de prédilection de Malik pour ses sculptures, c’est le papier mâché ! Mais Malik décède prématurément en 2015 à seulement 46 ans et l’idée du bateau en papier mâché prend le large. 

C’est en intégrant les 8 Pillards en 2020, alors que le sujet des migrants est plus que jamais d’actualité, que Piero comprend qu’il tient enfin un lieu à la hauteur de son projet. Construire un bateau à taille réelle oui, mais quel bateau ? Il lui revient à l’esprit la légende de la fondation de Marseille. Celle d’un bateau venu de Grèce et d’un mariage entre le Phocéen Protis et la Gauloise Gyptis. Comme une évidence, il comprend que c’est ce bateau là qu’il veut construire, comme pour rappeler qu’à Marseille, tout à commencé par un métissage. 

D’où que l’on vienne, à Marseille, on partage la même mer, le même coin de rocher” nous rappelle Pierre Blanchard dit Piero, ici dans son atelier aux 8 Pillards

Petit détour par le mythe de la fondation de Marseille

Nous sommes en 600 avant JC quand un petit groupe de courageux mené par le jeune Protis quitte Phocée, en Grèce d’Asie mineure à bord d’une petite mais solide embarcation. Après une escale à Rome, ils décident de s’aventurer plus loin qu’aucun autre Grec auparavant. Arrivés dans le golf de Fos, non loin de l’embouchure du Rhône, les marins trouvent les lieux si beaux qu’ils décident de s’y attarder un instant. Sans le savoir, ils mettent le pied sur le territoire des Ségobriges. 

Les Ségobriges ? Si ce peuple celtique a laissé peu de traces dans notre mémoire historique, il est pourtant l’un des plus ancien peuple gaulois connu. Leur territoire vaste et puissant s’étend du Rhône jusqu’au contreforts de Marseille, tout autour de l’Étang de Berre.

Or, le jour du débarquement de nos valeureux phocéens n’est pas un jour comme un autre, c’est celui du mariage de Gyptis, la fille de Nannos, roi des Ségobriges. Pour ne pas contrarier les lois de l’hospitalité celtique, les autochtones proposent aux nouveaux venus d’assister à la noce et de découvrir la tradition nuptiale : la future mariée se présente avec une coupe remplie d’eau, fait le tour des prétendants et offre sa coupe à l’élu de son choix. En ce jour de fête, tous les princes celtes des environs ont fait le déplacement. Mais après un premier tour des convives, Gyptis s’arrête devant celui qui s’y attend le moins, Protis, notre beau navigateur grec ! Son père Nannos, intrigué mais convaincu qu’il s’agit là d’une volonté des Dieux accepte cette union inattendue. Prodigue, il offre même au jeune Phocéen une terre « au fond d’un golfe, et comme dans un coin de la mer*».

La terre qui abritera l’ainée des villes de France, Marseille. 

Mais l’entente entre les Celtes et les Grecs ne dure pas. Nannos s’inquiète des ambitions de son gendre. Lui qui pensait lui avoir légué un territoire rocailleux et sans valeur comprend que si les Phocéens sont de mauvais agriculteurs, ils sont en revanche de très bons marins ! Depuis le port de Massalia, les Grecs prennent le contrôle des mers, laissant aux Celtes les terres intérieures. Par la mer, ils font venir le vin et les jarres en céramique capables de stocker ce précieux liquide. Grâce à ce commerce lucratif, les Phocéens dominent rapidement la région et fondent de nouvelles citées, les actuelles Avignon, Nice ou Aléria en Corse. Malgré une résistance des Ségobriges, le destin est plié. Et tant mieux pour nous ! Car après la vigne, c’est l’olivier que les Grecs introduisent en Gaule. On remercie donc Gyptis pour son bon goût !

Mais retrouvons Piero où nous l’avions laissé

Au cours de ses recherches sur ce premier bateau mythique, il tombe sur un documentaire qui raconte l’histoire du navire retrouvé en 1993 dans le centre de Marseille lors de fouilles archéologiques. Le reportage retrace la volonté un peu folle, vingt ans plus tard, d’un groupe d’ingénieurs, d’archéologues et de scientifiques de reconstruire ce bateau de 2 600 ans avec les techniques de l’époque. Avec le soutien du CNRS, il leur faut sept mois pour achever la construction du fameux bateau grec, tresser sa charpente avec des fils de lins, assembler sa coque sans une seule vis ni clou et étanchéifier le tout grâce à de la cire d’abeille. Cette reproduction, mise à l’eau en 2013, est appelée le Gyptis, en hommage à la fondatrice de Marseille.

Pendant le générique du documentaire, un nom attire son attention : Pierre Jacquot, crédité comme ingénieur maritime sur le projet Gyptis. Ce nom il le connait bien : Pierre, il le croise tous les jours aux 8 Pillards ! Ni une ni deux, il lui envoie un message et lui demande les plans du bateau. 

Pierre Jacquot en train d’apporter les dernières finissions à son Gyptis en 2013

Un coup de fil au CNRS plus tard, Piero se retrouve avec les plans du tout premier bateau débarqué à Marseille. Il concède quelques mètres à l’original de dix mètres de long, le sien en fera sept. Pour ce qui est de la technique, il renonce à coudre les lattes entre elles, comme l’original et la copie de 2013, et se contente de carton, d’un cutter et d’un pistolet à colle. Avec l’aide d’un ami, Alexandre Gennetier, il lui faut un mois pour réaliser son Gyptis. 

Et maintenant ? Pas question de laisser le bateau, renommé OFPRAIL, clin d’oeil de ce fan d’aïoli à Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, s’échouer au plafond des 8 Pillards. Non, son Gyptis partira bientôt pour une croisière éphémère vers une destination improbable. Je ne vous en dis pas plus… pour le moment !

*Extrait des Histoires philippiques de Trogue Pompée, aujourd’hui perdues mais résumées par l’historien romain Justin 

Avec ou sans filtre ?

La récolte achevée, l’heure est au repos ! Pour les travailleuses et travailleurs mais aussi pour l’huile nouvelle, qui patiente dans une grande cuve en inox. Et avant d’être embouteillée, elle passe par une étape plus importante qu’il n’y paraît : le filtrage. 

L’huile non filtrée possède un aspect trouble que vous avez peut-être déjà observé. Sa turbidité et le petit dépôt qui se forme parfois évoque une culture naturelle, authentique. Avant de vous laisser charmer par sa rusticité, laissez-moi vous en dire un peu plus. 

Avec Manolis, le producteur, notre choix est de filtrer l’huile avant de la mettre en bidon. Et nous avons de bonnes raisons pour le faire ! 

Détail de bouteilles d’huile d’olive non filtrée.

La turbidité de l’huile non filtrée est créée par la présence d’éléments qui n’ont pas eu le temps de redescendre pendant la phase de repos : de la pulpe d’olive, des restes de noyau et un peu d’eau qui se trouvait dans le fruit.

Mais il faut se méfier de l’eau qui dort, encore plus quand elle dort dans notre huile chérie. L’eau fait augmenter l’acidité de l’huile. Or, ce taux d’acide oléique qui détermine si une huile peut obtenir la mention « vierge extra » doit rester le plus bas possible. Pour les restes de noyaux, s’ils passent inaperçus la plupart du temps, ils peuvent de temps en temps fermenter et dégrader l’huile qui développe alors des défauts. Hormis ces défauts organoleptiques qu’il prévient, le filtrage n’a aucun impact sur les arômes d’une huile. 

Enfin, filtrer permet de protéger les machines d’embouteillement qui pourraient s’enrayer. Cela peut paraître anecdotique mais comme nous avons la chance d’embouteiller « à la maison », c’est à dire chez Manolis qui stocke l’huile dans son atelier, les machines utilisées pour la mise en bidon sont efficaces mais sommaires. Nous les traitons donc avec grande précaution pour continuer de les utiliser très longtemps !

L’huile qui vient d’être pressée est trouble et possède ce vert insolite qui surprend souvent la première fois.

Dans ce cas, pourquoi trouve-t-on de l’huile non filtrée ? 

Chaque cas est différent mais la mode de l’huile non filtrée ces dernières années semble surtout reposer sur l’aspect « naturel » d’une huile trouble. Bref un argument purement marketing . De plus, un peu d’huile est retenue dans l’appareil de filtrage, ce qui constitue un manque à gagner pour les producteurs et productrices.

Tous les arguments à l’encontre du filtrage ne sont pas fallacieux pour autant. J’ai rencontré un producteur par exemple qui avait à coeur d’optimiser les qualités nutritionnelles de l’huile car il est vrai que certains anti-oxydants de l’huile voient leur teneur diminuer après filtrage. Enfin, certains « tout petits » producteurs n’ont, tout simplement, pas accès à des machines de filtrage. 
C’est décidé, on filtre. Mais comment ?

Nous utilisons une machine à plaques de cellulose, ce matériau qui compose le coton à 99%. Ici, il a une texture plus dense, plus caoutchouteuse. L’huile passe à travers et  y dépose les petites particules non désirées.

Comme on le voit ci-dessous, l’huile non filtrée y entre par la droite et ressort translucide par la gauche. 

Machine à filtre similaire à celle utilisée par Manolis. La photo est empruntée au magazine Jus d’olive, qui avait consacré un super article à la question du filtrage en juin 2019. 

Attention, le filtrage est loin d’être le facteur principal qui détermine la qualité d’une huile. La variété des oliviers, leur âge, la quantité d’eau qu’on leur aura donnée ou le moment choisi pour récolter ont, par exemple, une influence bien supérieure sur la qualité des arômes. Mais j’aime à penser que ce sont les petits questionnements qui font les grandes huiles !

Pomme de déesses et pomme dÉris

Pire que l’orange comme cadeau de Noël, la pomme comme cadeau de mariage !

L’histoire que je vous raconte aujourd’hui est celle d’un cadeau pas comme les autres, à l’origine de la plus mythique de toutes les guerres. 

Tout commence avec la néréide Thétis, divinité du fond de l’océan. Comme ses soeurs, elle est d’une grande beauté, et comme souvent dans la Mythologie, sa beauté est aussi son fardeau. Alors qu’il passe par là, Zeus aperçoit Thétis et projette immédiatement de la faire sienne. Mais il entend juste à temps la prédiction la sage Thémis  : “Déesse de l’onde, il faut que tu deviennes mère ; de toi naîtra un fils dont les exploits surpasseront ceux de son père et qu’on proclamera plus grand encore.” Refroidi par la prophétie, Zeus comprend qu’il ne peut laisser Thétis s’unir à un dieu, au risque de venir bousculer l’ordre bien établi de l’Olympe. Il choisit donc le mortel Pelée, roi de Phthie, comme époux pour la belle néréide. 

Seulement, Thétis, elle, n’est pas du tout de cet avis.

La déesse refuse de s’unir à un simple mortel et s’échappe. Avec l’aide du centaure Chiron, Pelée se met à sa poursuite et la retrouve dans une grotte de Magnésie. Ultime tentative de fuir ce mari encombrant, elle se transforme alors tour à tour en lion, serpent, feu, seiche, arbre et eau. Mais ce dernier l’attache avec des chaines et l’enserre si fort de ses bras qu’elle reprend sa forme humaine. “Ce ne peut être, dit-elle, que par la volonté des Dieux que tu triomphes.”* : Le mariage peut enfin avoir lieu. 

Le peintre flamand Hendrick van Balen nous offre une version très baroque des noces de Thétis et Pêlée. L’univers marin de la mariée, à gauche, rencontre le monde terrestre du marié, à droite. 

Sur le mont Pélion, les Hommes et les Dieux se retrouvent pour célébrer leur union. Chaque dieu, chaque déesse rivalise de cadeaux : des armes magiques, une armure invisible ou encore deux chevaux immortels, Xanthe et Balios, offerts par Poséidon et que Pelée donnera plus tard à son fils, un certain Achille… Mais n’allons pas trop vite en besogne !

C’est à ce moment de l’histoire que le somptueux mariage prend une tournure bien moins festive.

 

Éris, la Discorde, dont on redoute la présence, n’a pas été conviée. Pire encore c’est même la seule de toutes les divinités à avoir été mise de côté. Pour se venger de cet outrage, elle apporte un cadeau de mariage singulier : une pomme d’or sur laquelle on peut lire l’inscription « À la plus belle ! ». Trois déesses présentes se lèvent pour réclamer leur dû : Héra, Athéna et Aphrodite. Comme aucun des convives ne souhaite se mouiller dans cette affaire qui ne peut que mal tourner, Zeus décide de laisser le choix à un jeune berger du mont Ida. Son nom ? Pâris. 

Le Jugement de Pâris par Sandro Botticelli (et son atelier), vers 1482-1485, dont vous pouvez retrouver l’analyse du magazine Beaux-Arts en suivant ce lien.

Accompagnées d’Hermès, les trois déesses se rendent à la rencontre du jeune homme. À son oreille, chacune lui murmure des promesses en échange de son vote. Héra, la souveraine, lui promet de devenir le roi des mortels. Athéna, la guerrière, s’engage à faire de lui un conquérant. Aphrodite, elle, lui offre l’amour de la plus belle de toutes les femmes, Hélène. Le jeune berger a le coeur tendre et c’est la troisième déesse qui a sa préférence. 

Un siècle et demi plus tard,Rubens rejoue le Le jugement de Paris (1638) dans une version plus dénudée. 

Oui mais Hélène est déjà marié à Ménélas, frère du roi des rois de Grèce, le terrible Agamemnon ! Pâris, de son côté n’est pas un berger comme les autres, il est un prince troyen, fils de Priam. Alors quand Pâris enlève Hélène, Éris, à travers son terrible cadeau, obtient la discorde qu’elle venait semer. La guerre de Troie aura bien lieu ! 

* Ovide, Les Métamorphoses

Le cheval qui murmurait à l’oreille des Dieux

À l’image de la pomme de la discorde, dont je vous parlais lors de l’épisode précédent, les cadeaux dans la Mythologie ont la fâcheuse habitude de porter en eux une intention dissimulée. Avec la boîte de Pandore ou le cheval de Troie, elle nous invite à nous méfier de ces présents trop beaux pour être vrais. Le piège, toujours, se referme sur celui qui le reçoit. Hourra, ce n’est pas le cas de notre cadeau du jour. Mais l’intention innocente du donateur suffira-t-elle à protéger le bénéficiaire ? 

L’histoire du jour vous a été introduite la semaine dernière, il s’agit du cadeau de mariage de Posédion à Thétis et Pêlée, les chevaux Xanthe et Balios. Immortels, ils tirent leur noms de leurs robes : alezane pour l’un (de ξανθός / xanthos signifiant « blond ») et tacheté pour l’autre (de βαλιός / balios, « moucheté, tacheté »). 

Poséidon-Neptune et ses chevaux sur la fontaine de Trévise, à Rome

C’est avec le fils de Thétis et Pélée, Achille, que Xanthe et Balios rentrent dans la légende. 

Quand le héros part pour Troie, il les reçoit en cadeau de son père, Pélée.  Accompagné d’Automédon, fidèle cocher et conducteur de son char, ainsi que de son cousin Patrocle, Achille arrive à Troie. Sur la plage, devant les remparts de la ville, les deux chevaux immortels tiennent une place de choix dans le récit homérique si bien que dans l’Iliade toutes les prouesses guerrières du héros leur sont également attribuées. 

Le dos musclé de Patrocle et le regard perçant de Briséis sur une fresque de Pompéi

Mais voilà que ce nigaud de Ménélas se met à dos Achille en enlevant Briséis et que notre héros au talon fragile refuse de combattre. Du répit pour nos deux chevaux ? Hélas non ! Les voici de retour sur le champ de bataille avec sur le char non pas Achille, mais Patrocle, le cousin avide de faire ses preuves. Achille laisse partir son jeune ami à condition que celui-ci se contente de repousser les Troyens sans tenter de prendre la ville par lui-même. 

Le premier assaut de Patrocle est un succès. Hector et son armée de Troyens reculent et, encouragé par Zeus, Patrocle les poursuit jusque dans l’enceinte de la cité mythique… trahissant la parole donné à son illustre cousin.

C’est alors qu’Apollon entre en scène. Protecteur de Troie, il repousse par trois fois l’intrépide Patrocle et permet à Hector de le blesser fatalement. À peine Patrocle tué qu’Hector se précipite vers le char où se trouve encore Automédon tiré par Xanthe et Balios. Capturer la monture d’un ennemi vaincu, voilà une pratique qui semble tout à fait ordinaire, mais c’est sans compter la loyauté de nos deux chevaux qui filent à l’approche du prince Troyen.

Automédon ramenant les coursiers d’Achille des bords du Scamandre d’Henri Regnault, 1868

 

À ce moment, une fois de plus, les dieux s’en mêlent. Pas n’importe quel dieu d’ailleurs puisqu’il s’agit de Zeus en personne. Il s’approche du char et observe Xanthe et Balios. Laissons Homère nous compter ce moment douloureux : 

« Et de chaudes larmes tombaient de leurs paupières, car ils regrettaient leur conducteur ; et leurs crinières florissantes pendaient, souillées, des deux côtés du joug. Et Zeus fut saisi de compassion en les voyant »*

Zeus, qui s’illustre pourtant rarement pour sa sensibilité, se désole du sort des deux équidés : 

« Ah ! malheureux ! Pourquoi vous avons-nous donnés au roi Pélée qui est mortel, vous qui ne connaîtrez point la vieillesse et qui êtes immortels ? Était-ce pour que vous subissiez aussi les douleurs humaines ? Car l’homme est le plus malheureux de tous les êtres qui respirent, ou qui rampent sur la terre. »

C’est ici tout le drame de Xanthe et Balios, celui d’avoir introduit le mortel dans le divin. On se souvient que pour protéger l’ordre établi de l’Olympe, le roi des dieux a choisi un mortel, Pélée, pour s’unir à la divine Thétis. Xanthe et Balios, sacrifiés par les dieux, sont alors destinés à partager les peines de l’espèce humaine. Humains, trop humains comme dirait l’autre ! Peu empathique vis à vis des pauvres mortels, Zeus l’est beaucoup plus envers Xanthe et Balios. Le dieu empêche Hector de les capturer et leur permet de retourner à Achille. Tient-on notre happy end ? Loin de là !

Achille (tiré par Xanthe et Balios) traînant le corps d’Hector derrière son char, Brindisi, Ier siècle avant JC

De retour sur la plage avec les armées grecques, les deux chevaux, encore abattus par le deuil, doivent affronter la colère de leur maître, Achille, qui leur reproche de n’avoir pas rapporté la dépouille de Patrocle et demande leur aide pour l’affrontement à venir. À cet instant, Héra décide d’accorder la parole à l’un des deux, Xanthos, qui annonce au héros : 

« Certes, nous te sauverons aujourd’hui, très brave Achille; cependant, ton dernier jour approche. »

Immortels, bavards et possédant même le don de prophétie, décidément, ces chevaux-là ne sont pas comme les autres. La prédiction de Xanthos continue, il en profite pour se dédouaner au passage de toute responsabilité quant à la fin funeste du héros :

«  Quand notre course serait telle que le souffle de Zéphyr, le plus rapide des vents, tu n’en tomberais pas moins sous les coups d’un Dieu et d’un homme. »

Ce dieu, c’est Apollon, et cet homme, c’est Pâris, dont la flèche vient percer le talon du héros… 

Rassurez-vous, pour les deux chevaux qui n’avaient rien demandés, l’histoire finit bien : endeuillés une seconde fois, nos deux équidés au coeur sensible sont renvoyés chez Poséidon. La vie chez les Hommes est bien trop bouleversante pour de simples immortels ! 

* Chant XVII, traduction de Leconte de Lisle

Pour tous les trépieds du monde

Pour ce qui est des cadeaux, c’est l’intention qui compte. Mais l’intention est-elle toujours innocente ? N’y avait-il vraiment aucune arrière-pensées derrière ce vélo d’appartement, offert à son mari qui a pris un peu de poids ? Ou derrière ces costumes Arnys, gentiment donnés à cet homme politique ? Pour trancher la question, on se penche sur un épisode fameux de l’Iliade

Nous sommes au XIIème siècle avant JC et Troie est assiégée par l’armée grecque depuis dix longues années. Alors que tout avait plutôt bien commencé pour les troupes du Grec Agamemnon, le situation tourne désormais au vinaigre : Le troyen Hector enchaine les victoires depuis qu’Achille a déserté le champ de bataille pour exprimer sa colère contre Agamemnon qui a enlevé Briséis, sa captive. 

La reddition d’Achille de Briséis à Agamemnon sur une fresque de Pompéi, Ier siècle après JC

Entouré du sage Nestor, roi de Pylos, et du rusé Ulysse, Agamemnon commence à comprendre que se mettre à dos le seul guerrier capable de vaincre Hector n’était probablement pas une très bonne décision. Et quand on sait que toute cette histoire a commencé car son propre frère, Ménélas, souhaitait récupérer sa femme, Hélène, enlevée par le troyen Paris, on se dit qu’ils se seraient tous évités pas mal d’ennuis s’ils s’était retenus de capturer des femmes. Agamemnon ravale donc sa fierté et décide de convaincre Achille de reprendre les armes à leurs côtés. Courageux mais pas téméraire, il envoie Ulysse, Nestor et le vieil éducateur d’Achille, Phénix, comme émissaires.  

Arrivés dans la tente d’Achille, Ulysse prend la parole.

Pour commencer, il tente de l’attendrir et décrit la situation militaire calamiteuse. Il se désole « si cela continue comme cela, tous les Grecs risquent de mourir ici, à Troie* ». Face au visage fermé du héros, Ulysse tente la culpabilisation : s’il ne vient pas les sauver, c’est sûr,  Achille sera « saisi de douleur, car il n’y a point de remède contre un mal accompli ». Pourtant, toujours aucune réaction du héros.

Les manipulations psychologiques ayant échoué, Ulysse passe aux choses sérieuses et lui présente l’offre d’Agamemnon : « sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course », ainsi que des chevaux aux sabots massifs. Et ce n’est pas tout ! Il promet aussi « sept belles femmes Lesbiennes**», en plus de Briséis, qu’il lui rend volontiers, avec le serment qu’elle n’a jamais connu son lit. Le roi s’avance même en lui promettant des choses qu’il ne possède pas encore : la nef d’or et d’airain de Troie et les vingt plus belles femmes de la ville. Et si tout cela ne suffit pas, Agamemnon lui donne aussi la main d’une de ses trois filles, celle de son choix, et de sept villes en guise de cadeau de mariage ! Commencer par offrir des trépieds pour finir par des villes, on sent que la panique a pris le dessus.

Achille recevant les envoyés d’Agamemnon,  Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1801

Mais rien n’y fait.

Jamais à court d’idées, Ulysse tente alors d’appuyer sur un point sensible, son ego : « et tu tueras Hector qui viendra à ta rencontre et qui se vante que nul ne peut se comparer à lui ». Hélas, même cette insolence du Troyen ne parvient à venir à bout de la colère de notre héros décidément inébranlable. Sa réponse est sans équivoque: les « dons d’Agamemnon me sont odieux, et lui, je l’honore autant que la demeure d’Hadès» (autrement dit les enfers), c’est à dire assez peu. 

Incorruptible face aux cadeaux, Achille finit pourtant par reprendre le chemin du champ de bataille pour venger son ami Patrocle, tué par Hector. Et vous, les trépieds vous auraient-ils fait céder ? 

* Tous les extraits de l’Iliade viennent du Chant IX, traduction de Charles-René-Marie Leconte de L’Isle

** Originaires de l’île de Lesbos, cela ne s’invente pas.

Noël 2021 : Mes idées cadeaux

Choisissez des cadeaux vraiment utiles ce Noël !

Idée #1 : Offrez un olivier

Offrez un olivier à Noël ! En plus de faire un cadeau utile – qui n’a pas besoin d’huile d’olive ? – vous êtes sûr.e de faire plaisir.

Il ne vous reste plus qu’à choisir la formule : Trimestre (3 litres, 1 envoi), Semestre (6 litres, 2 envois), Année (12 litres, 4 envois).

Pour offrir un olivier, c’est par ici : http://adravasti.fr/categorie/adopter-un-olivier/

Idée #2 : J’offre… et je laisse le choix de l’olivier

Nouveauté ! Vous souhaitez laisser le choix de l’olivier au bénéficiaire de votre cadeau ? C’est possible !

  • Vous choisissez la formule de votre choix (3, 6 ou 12 litres)
  • Sous 24h, vous recevez dans votre boite mail la carte cadeau personnalisée à offrir avec le code promo unique
  • Le ou la bénéficiaire choisit son olivier avec le code promo et reçoit son huile chez lui

Pour offrir un olivier en laissant le choix de l’olivier (à partir de 57€), c’est par ici : https://adravasti.fr/produit/carte-cadeau-adopte-un-olivier/

Idée #3 : Le coffret savon

Chaque été, les savons à l’huile d’olive bio sont plébiscités sur mes marchés à Yeu, Belle-île ou Noirmoutier. C’est pourquoi j’ai décidé de prolonger la douceur cet hiver avec un super coffret de savons à (seulement) 35€. 

Pour offrir le coffret savon, c’est par ici : https://adravasti.fr/produit/coffret-savons/

Idée #4 : Le coffret Χρόνια πολλά

Notre classique de Noël : De l’huile, du miel de thym, deux savons à l’huile d’olive et de l’origan (ou une autre herbe crétoise au choix).

Χρόνια πολλά [chronia polla] signifie “bonne fête”. On l’utilise à toutes les sauces : Noël, nouvel an, fête nationale ou anniversaires en tout genre. 

Pour offrir le coffret de Noël, c’est par ici : adravasti.fr/produit/coffret-de-noel

Idée #5 : Le coffret Καλή όρεξη

Le plus chic de nos coffrets : deux litres d’huile d’olive et un bel huilier métallique. 

Pour offrir le coffret, c’est par ici : adravasti.fr/produit/coffret-de-noel

La (véritable) querelle des Anciens et des Modernes

La récolte a commencé ! Tandis que les producteurs et productrices crétois.e.s s’activent sous les oliviers, nous devons aujourd’hui trancher le plus grand dilemme des temps modernes : faut-il préférer les caisses en plastique aux traditionnels sacs en toile de jute pour récolter les olives tout juste tombées des arbres ? Quelques arguments pour que vous vous fassiez votre idée.

À ma gauche, le choix classique : le sac en toile de jute

Les plus :

  • Écolo… enfin presque : 99% de la production mondiale de toile de jute se trouve en Inde ou au Bangladesh.
  • Une fois la récolte finie, ils sont faciles à ranger et à stocker, pas comme ces satanées caisses qui prennent une place folle.
  • 2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, le sac se transforme en coussin. Pratique !

Les moins :

  • Une fois remplis, ils pèsent 30 à 50 kilos, on souffre pour les petites olives qui sont tout au fond du sac. Or une olive en parfait état, c’est l’assurance d’une huile de grande qualité.
  • Pour la même raison, ils sont un vrai calvaire à transporter du champ au pick-up, du pick au moulin

À ma droite, le choix des puristes : la caisse en plastique

Ces jolies petites olives se sont gentiment laissées prendre en photo la semaine dernière, dans un de nos champs.

Les plus :

  • Fini les olives écrasées, elles sont aérées et en parfait état jusqu’au moulin.
  • 2 en 1 : quand vient l’heure de la pause, la caisse se transforme en tabouret. Pratique !

Les moins :

  • Dans “caisses en plastiques”, il y a le mot… plastique.

Verdict : Si les caisses sont peu à peu préférées aux sacs par de nombreux producteurs et productrices consciencieuses, moi la première, beaucoup considèrent encore que si les olives sont récoltées au bon moment, la variété koroneiki est suffisamment robuste pour qu’elles restent fermes, même tout au fond du sac. Bref, pour faire une super huile, quand l’affaire est dans le sac, pas besoin d’en faire des caisses.

Pour finir, un instantané de récolte, prit la semaine dernière dans le village d’Adravasti alors que je préparais les olives destinées devenir des olives de table.

Non c’est non !

Χρόνια πολλά!  Le 28 octobre dernier, la Grèce a célébré l’une de ses deux fêtes nationales : le jour du non ! (το όχι). 

Petit retour en arrière : Nous sommes en octobre 1940, toute l’Europe centrale est entrée en guerre. La Grèce est une dictature et à sa tête se trouve le militaire Ioánnis Metaxás. À quelques kilomètres de là, l’Italie fasciste jalouse son allié allemand et veut prouver qu’elle peut, elle aussi, connaître des victoires militaires. La jeune nation grecque semble être la victime idéale pour assouvir les ambitions militaires de Mussolini. Alors le soir du 28 octobre, après une petite sauterie à l’ambassade allemande en Grèce (ça ne s’invente pas), l’ambassadeur italien annonce l’ultimatum : soit la Grèce laisse l’Italie occuper le territoire grec, soit elle lui déclare la guerre. La réponse ? NON ! (Όχι, pour ceux du fond de la classe). Pourtant, Metaxás entretient d’excellentes relations avec l’Allemagne nazie. Sa proximité idéologique avec Hitler lui a même permis de signer des accords commerciaux l’année précédente… 

Ioannis Metaxás (deuxième en partant de la gauche), en douteuse compagnie. 

Mais Mussolini, sans en avertir Hitler, a dans l’idée de reconstruire l’Empire Romain, dont la Grèce ferait, bien sûr, partie. Ça tombe mal, Metaxas se prépare depuis 1936 à un conflit armé le long de sa frontière Nord, initialement pour se protéger d’une éventuelle attaque de la Bulgarie. Malgré leur infériorité numérique (16 divisions grecques contre 27 divisions italiennes) et matérielle, les Grecs montrent une détermination et un courage sans faille qui fera l’admiration de Churchill lui même qui aurait déclaré “Hence, we will not say that Greeks fight like heros but that heros fight like Greeks” (Désormais, nous ne dirons pas que les Grecs combattent comme des héros mais que les héros combattent comme des Grecs). En quelques mois, ils parviennent à faire reculer les troupes italiennes jusqu’en Albalnie. En avril, Mussolini doit demander l’aide d’Hitler qui envoie ses troupes et écrase la rébellion grecque. 

Tout ça pour ça ? Bien au contraire ! Tout d’abord la victoire grecque contre l’Italie a été la toute première des Alliés, suscitant un espoir nouveau chez tous les peuples s’opposant au nazisme. De plus, c’est le début de la fin pour Mussolini qui sort du conflit humilié. Les historiens considèrent aussi que cet acte de bravoure a eu une influence certaine sur la décision des Américains d’entrer en guerre. Enfin, en obligeant l’Allemagne à venir prêter main forte à son allié, la Grèce a retardé l’invasion allemande de l’Union Soviétique, l’opération Barbarossa, celle-ci se déroulant alors dans des conditions climatiques bien moins favorable. Bref, une belle leçon qui prouve qu’un Non vaut mieux que deux tu l’auras. 

Depuis, chaque 28 octobre a lieu un défilé militaire ainsi qu’un défilé des écoliers et étudiants. Traditionnellement, c’est le ou la premier.e de la classe qui porte le drapeau, en tête de cortège. Cette implication des enfants, dans un pays qui porte encore les séquelles de tant d’années de dictature, suscite beaucoup de critiques. Elles sont assez bien résumées sur ce dessin (dont je n’ai pu retrouvé l’auteur.e…) : 

La traduction :
“Et n’oubliez pas qu’aujourd’hui nous célébrons la liberté !! Celui qui ne participe pas à la parade sera éliminé.”

La terre tremble sous nos oliviers

Mardi 12 octobre dernier, un puissant séisme de magnitude 6,3 à frappé l’Est de la Crète. Son épicentre se trouve à seulement 24 kilomètres de notre village d’Adravasti et ses secousses se sont fait ressentir fortement, au point de détruire la petite chapelle de Xerokampos. Cette chapelle, je la connais bien car je passe devant quand je vais récolter du sel dans les rochers, au sud de la plage de l’argile. Souvent, je m’y arrête. À l’intérieur, on trouvait un tableau représentant Saint George terrassant son dragon. On pouvait aussi y déposer un tamata, cet ex-voto grec dont je vous parlais l’année dernière. Dans l’article que je leur ai consacré, il y a une photo prise dans la jolie chapelle détruite. On y voit des tamatas représentant un militaire, un cheval ou encore un monsieur qui a l’air d’avoir envie de faire pipi. J’espère que chacun de ces voeux a été exaucé. Le mien ? La revoir renaître de ses cendres !

Quittons le spirituel et revenons à la science. Il se trouve que vous avez à faire à une grande spécialiste puisque j’ai eu l’honneur d’assister en personne au cours sur la tectonique des plaques de Mme Davy, professeur de SVT des 4èmeB au 3ème étage du bâtiment A du collège Victor Hugo. En gros, la terre est constituée de grandes plaques de la taille de continents et qui portent d’ailleurs le nom de continents, ces plaques elles bougent, tout le temps. Depuis environ 30 millions d’années, la plaque africaine se déplace vers le Nord-Est, en direction de la plaque eurasienne à un rythme d’un centimètre par an. Aux points de contact, aussi appelé marge active, la plaque africaine s’enfonce sous la place eurasienne, c’est ce qu’on appelle le phénomène de subduction. Cette marge, représentée en rouge sur la petite carte ci-dessous, passe par la Crète et encercle la mer Égée d’un arc gracieux. Cela explique le relief montagneux de tout cette partie de la Grèce ainsi que les séismes fréquents.

Ce séisme succède à celui qui avait fait un mort et des dizaines de blessés dans la région d’Heraklion le 27 septembre dernier. Oui, la terre tremble souvent en Crète mais de telles secousses avec autant de dégâts sont rares.

L’histoire antique en a gardé la trace: il semble que la Crète ait été le bassin du plus grand séisme jamais connu en Méditerranée, à l’aube du 21 juillet 365. Un tremblement de terre si puissant qu’il a causé un retrait spectaculaire de la mer avant qu’une vague immense ne vienne frapper la côte. Des bateaux sont retrouvés à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Et si son épicentre se trouve au Sud de la Crète, de nombreuses régions de Méditerranée sont touchées, dont Alexandrie, qui voit son phare vaciller. Cette épisode tragique est raconté par l’historien latin Ammien Marcellin (Ammianus Marcellinus en VO) dans son Histoire romaine. Nombreux d’ailleurs sont les auteurs qui y font référence. Mais Marcellin est le seul ne donner aucune explication divine, ce qui fait de lui la source préférée de nos historiens modernes. Car pour la plupart des chroniqueurs de l’époque, la chose est entendue : le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi sont la conséquence directe de la mort de l’empereur Julien.

Avant de comprendre d’où leur vient cette idée saugrenue, il faut s’arrêter un instant sur le parcours du fameux Julien.

L’empereur Julien par Giovanni Battista Cavalieri, 1583. 

Neveu de Constantin le Grand, premier empereur chrétien, pour lui, tout avait très mal commencé. Il a six ans à la mort de son oncle quand son cousin Constance II décide l’exécution de toute la famille proche de Julien afin d’éviter que cette branche de la famille ne revendique le trône. Il est envoyé en exil à Constantinople où il est baptisé de force et élevé par un évêque. Après avoir étudié la philosophie à Milan et à Athènes, il est finalement convoqué par son cousin-empereur qui lui décerne le titre de César des Gaules. Voilà ce rat de bibliothèque, nerveux et timide à la tête de l’armée impériale. Et contrairement à toute attente, il excelle dans ce nouveau rôle ! Il faut dire que cet admirateur d’Athéna, déesse de la guerre, prend la tâche très au sérieux : il refuse tout le faste impérial, apprend à marcher au pas et partage avec ses soldats nourriture et conditions de vie. Les victoires s’enchainent en Gaule et en Germanie, à tel point que l’empereur décide de l’envoyer à la frontière perse pour se débarrasser de ce numéro deux un peu envahissant. Comprenant la manoeuvre, l’armée de Julien refuse et proclame leur chef Auguste à la place de l’Auguste. Face à ce putsch, Constance II prend la route vers la Germanie accompagné de son armée pour venir remettre à sa place son cousin ambitieux. Hélas pour lui, il tombe gravement malade en chemin et, sur son lit de mort, finit par désigner Julien comme son successeur.

À peine aux commandes, le nouvel empereur promulgue un un édit de tolérance qui autorise toutes les religions. Helléniste convaincu, il souhaite en effet refermer la parenthèse chrétienne et entreprend de restaurer les rites polythéistes. Je ne divulgache* rien en vous annonçant que c’est un échec : alors qu’on ne compte que 5 à 10% de chrétiens dans l’Empire au moment de la conversion de Constantin Ier en 312, à la fin du siècle la foi chrétienne était devenue un signe de prestige social et un élément indispensable pour faire carrière dans l’Empire. Et sa chute en 476 n’est que le point de départ d’une expansion très forte du christianisme en Europe et dans le monde. D’ailleurs, quand Julien meurt au combat en 363, trois ans après son accession au pouvoir, la légende veut qu’il ait déclaré « Tu as vaincu, Galiléen ! », Galiléen signifiant ici Jésus Christ.

Le tremblement de terre, deux ans plus tard, serait donc aux yeux de plusieurs auteurs un deuil porté par les Dieux, Poseidon en tête, pour celui qui a tenté de leur redonner leur place.

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture de l’article Poséidon, le dieu du séisme, paru en novembre 2016 dans la Revue des Deux Mondes.

Photo prise à côté d’Adravasti le 12 octobre dernier.


* Valide au scrabble

Api, Apiculteur

En mai dernier, je suis allée au musée archéologique d’Héraklion. Nous étions quarante, dont trente huit gardiens. En parcourant les trente huit salles, je replonge dans la civilisation minoenne*, son obsession pour les taureaux, ses divinités, son goût pour les motifs géométriques.


Une des pièces les plus emblématiques du musée est le pendentif aux abeilles. Ce bijou en or qui date de 1800 avant JC m’interpelle par son raffinement, sa finesse mais aussi par son actualité. Sa beauté que le temps n’a pas altéré, s’impose comme une évidence. Dire qu’il a été forgé il y a près de quatre millénaires… Cet abysse temporel me laisse rêveuse.

En regardant le bijou de plus près, on découvre que les deux abeilles tiennent dans leurs pattes une goutte de miel. Ce geste poétique nous indique le grand respect que les Minoens avaient pour les abeilles. Savaient-ils déjà que sans elle, il n’y a ni fleurs, ni fruits ? Avaient-il compris l’importance de la pollinisation ? Avaient-ils étudié leur organisation sociale fascinante ?

Dans ce même musée, on trouve aussi un outil d’enfumage des abeilles découvert à Zakros, à trois kilomètres d’Adravasti, qui date de 1600 avant JC. Quelques jours avant, en me promenant à Karidi où se trouvent nos ruches, j’assistais justement à une scène où deux apiculteurs enfumaient leurs ruches pendant la récolte du miel. Les mêmes gestes, les mêmes méthodes sont utilisés à 3600 ans d’écart. La collecte industrielle n’a encore rien abîmé. Cette permanence a de quoi rassurer.

En Crète, le miel que l’on produit le plus est le miel de thym. Les montagnes crétoises sont couvertes de petits buissons épineux de thym. Pas étonnant qu’il parfume l’essentiel de la production. La floraison a lieu au mois de juillet et la récolte a lieu tout l’été. Nous sommes donc en plein dans la grande saison du miel. Timing parfait pour adopter une ruche !

En plissant les yeux un petit peu, vous découvrirez la valse des abeilles ci-dessous.

Difficile de faire plus joli que ces petites ruches colorées dans la pampa crétoise, sa terre rouge, son ciel bleu et ses buissons en fleurs. Et vous, elles vous plaisent ?

*Originaires de Crète, les Minoens ont dominé une grande partie de la Grèce entre 2700 et 1200 avant JC. Si le Minotaure en est le vestige le plus connu, les ponts avec la culture grecque antique et sa mythologie sont très nombreux. J’aimerais beaucoup vous en parler un jour, est-ce que cela vous intéresserait ?

À la recherche du site perdu

Peu de lectures d’enfance ont eu pour moi plus d’importance que les romans d’aventure de Jules Verne. Voyage au centre de la TerreLe Tour du monde en quatre-vingts jours et surtout mon préféré Vingt Mille Lieues sous les mers. C’est à travers les aventures du capitaine Nemo que je découvre pour la première fois le mythe de l’Atlantide. Ce continent perdu me fascine. Quelques années plus tard, en voyage à Rhodes avec ma famille, on me raconte qu’il y avait ici un colosse immense. Il faisait parti des sept merveilles du monde, me dit-on. Ces merveilles, je me les suis longtemps récitées, dans l’ordre, dans ma tête. La pyramide de Khéops, les jardins suspendus de Babylone… à part la pyramide, toutes ou presque étaient soit détruites, soit disparues. Chacune évoquaient pour moi un univers fantastique, mais aucune n’était plus intrigantes que celles dont on ne connait l’existence que grâce à des récits. En me promenant à Rhodes, je m’interrogeais. Comment un géant de pierre peut-il disparaitre ? Et surtout, comment être sûre qu’il a bien existé ? C’est justement une de ces histoires entre le rêve et la réalité que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une cité perdue puis retrouvée, Olympie. 

Les derniers Jeux se déroulent en 393 après JC mais leur légende reste elle bien vivante tout au long des siècles grâce aux récits des auteurs antiques tels qu’Hérodote, Pindare, Pausanias ou Pline l’ancien. Pour le site qui les accueillait, c’est en revanche une autre histoire. Ce n’est qu’en 1766 qu’il est “redécouvert” par l’archéologue britannique Richard Chandler, soit 1373 ans après les derniers Jeux et leur funeste interdiction par l’empereur Théodose Ier. 

Entre temps ? Comme je sais qu’une belle gravure vaut mieux qu’un long discours, je vous laisse admirer :

 La vallée d’Olympie avant les fouilles archéologiques, Julius Springer, 1886

Difficile d’imaginer que ce lieu qui fut au coeur de la civilisation grecque antique, ait été comme effacé de la surface du globe. Pourtant, pendant près de 14 siècles, Olympie est introuvable, comme disparue. 
 Comment est-ce possible de cacher ce Zeus gigantesque d’or et d’ivoire qui est, lui aussi, l’une des sept merveilles antiques ? Le temple d’Héra ? Celui de Zeus ? Le stade et toutes les installations sportives ? 
Contrairement au colosse de Rhodes, plusieurs pistes d’explications existent. Après les derniers Jeux, en 393 après JC, Olympie est rapidement abandonnée. Mais ce sont deux séismes en 522 et en 551 après JC qui expliqueraient sa destruction. Puis, la rivière voisine Kladeos aurait déposé des alluvions de plusieurs mètres qui auraient totalement enseveli le site. Une thèse alternative a été développée en 2011 par le géographe allemand Andreas Vött. Celui-ci affirme que des tsunamis, et non des tremblements de terre, auraient causés la destruction et l’enfouissement du site. 

Olympie avant les fouilles vue par Abel Blouet avec son Expédition de Morée, 1831

Au fil des siècles, la fascination des nations européennes pour l’Antiquité s’intensifie. Les textes des auteurs antiques, conservés grâce aux moines copistes pendant le Moyen-Âge, connaissent un regain d’intérêt pendant la Renaissance et depuis, l’ouest de l’Europe n’a eu de cesse de se réapproprier la civilisation greco-romaine. Que ce soit avec les Grands Tours, ces voyages initiatiques réalisés par les aristocrates français, britanniques, allemands, néerlandais ou scandinaves en Italie ou en Grèce, ou à travers l’apprentissage du latin et grec ancien. En toute logique, l’archéologie se développe et devient même un enjeu de puissance entre les États européens concurrents au XIXème siècle.

C’est un moine bénédictin français qui, le premier, semble avoir émis l’idée de partir à la recherche du site perdu d’Olympie en 1723. Mais ce n’est qu’en 1766 donc que Richard Chandler identifie le site. En 1829, pendant la guerre d’indépendance grecque, l’institut de France propose qu’une expédition scientifique accompagne les troupes françaises venues aider les indépendantistes grecs. Sous le nom de « l’expédition de Morée », les archéologues français passent six semaines sur le site d’Olympie. Puis en 1873, l’Allemagne conclut avec le gouvernement grec un accord pour obtenir le monopole de la gestion archéologique d’Olympie. La concession du site leur est acquise pour dix ans et une première campagne de fouilles est lancée par l’École Archéologique Allemande. C’est à cette époque que la grande majorité du site est exhumée.

Travailleurs grecs et archéologues allemands sur le site d’Olympie en 1875

Soixante ans plus tard, l’Allemagne, toujours, s’empare du site dans un tout autre contexte historique.

Au pouvoir depuis trois ans, Hitler annonce qu’il souhaite relancer les fouilles sur le site d’Olympie à l’occasion des JO de 1936 que l’Allemagne s’apprête à accueillir. Son objectif est de démontrer la filiation entre les Grecs antiques et les proto-Germains, à l’origine, selon lui, de la fameuse race aryenne. L’expédition, bâclée d’un point de vue scientifique, s’évertue alors à obtenir des preuves de la thèse hitlérienne à grand renfort d’aberrations historiques et contre-vérités. L’architecte Hans Schlief, qui devait sa place dans l’expédition plus à son rang chez les SS qu’à ses connaissances en archéologie, prétend que Pélops, le fondateur mythique des Jeux Olympiques, était en réalité un héros nordique de race aryenne. L’universitaire allemand Langlotz affirme quant à lui en 1942 que l’analyse des casques trouvés à Olympie donne des informations sur la forme du crâne des Grecs, qui se rapprocheraient des idéaux aryens.

L’atelier de Phisidias, où aurait été réalisé la statue chryséléphantine de Zeus, considérée comme la troisième merveille du monde

Jusqu’en 1996, les archéologues allemands sont en charge des fouilles à Olympie et ce n’est que très récemment que des archéologues grecs prennent le relais. Avec beaucoup de succès puisqu’un taureau en bronze quasi intact de plus de 2 500 ans vient d’être découvert à côté du temple de Zeus.

Le taureau en bronze en question !

Prouve-le, si t’es une femme !

Vous connaissez l’arrêt Bosman ? [Allergiques au foot, passez directement au paragraphe suivant, vous avez suffisamment soufferts cet été]


En 1990, le belge Jean-Marc Bosman en fin de contrat avec le FC Liège demande son transfert à Dunkerque. Mais son club s’oppose à son départ laissant notre milieu de terrain sans club et sans un sou. Ni une ni deux, il attaque le FC Liège et ses avocats tentent une stratégie audacieuse : le Traité de Rome n’instaure-t-il pas la libre circulation des personnes ? Les clubs de foot ne seraient-ils pas des entreprises comme les autres, sommés de respecter les lois européennes ? Jean-Marc gagne son procès en 1995 sous les yeux ébahis des plus grands clubs qui comprennent alors l’aubaine apportée sur un plateau d’argent par ce petit joueur flamand de seconde division. Oubliée la limite de trois joueurs internationaux (tant qu’ils viennent de la communauté européenne) par équipe, vive la jurisprudence Bosman ! Le Real de Madrid notamment ne s’en prive pas et acquiert le portugais Luis Figo pour 61 millions d’euros en 2000 puis notre Zizou national pour 75 millions d’euros en 2001. Cette année là, le club madrilène gagne la Ligue des Champion avec sur la pelouse le soir de la finale cinq internationaux et seulement six espagnols.

Si je vous parle de l’arrêt Bosman c’est parce qu’il résonne étonnamment avec l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui. Celle d’une sportive qui, sans le vouloir, a eu un impact immense sur la législation sportive.

Les cartes Panini de notre héroïne et de notre héros du jour. 

Cette sportive s’appelle Kallipáteira (Καλλιπάτειρα littéralement « celle dont le père est beau »), nous sommes au Vème siècle avant JC à Rhodes et c’est Pausanias qui nous en fait le récit dans sa Description de la Grèce

Kallipáteira est la fille de Diagoras, l’un des plus grands athlètes de l’Antiquité grâce à son triomphe aux JO de 646 avant JC au pugilat et ses multiples victoires aux Jeux isthmiques et aux Jeux néméens. Cette fille de boxeur se marie à un athlète, Callianax et ils donnent naissance, vous l’avez deviné, à un futur grand sportif, Pisidoras qui se spécialise, lui, dans la course à pied. Chez Kallipáteira, les JO sont une religion et elle peine à accepter la règlementation qui interdit aux femmes mariées de venir assister aux épreuves sous peine d’être précipitées du mont Typaion. Alors quand elle prend en main l’entrainement de son fils après la mort de son mari, il lui est impossible de le laisser partir seul à Olympie. Ces Jeux, elle les prépare depuis des années ! Sa décision est prise, elle se déguise en homme pour pouvoir entrer dans le stade et assister à sa prestation. Mais lorsque que le jeune Pisidoras remporte l’épreuve, ivre de joie, elle s’élance sur la piste pour le féliciter, perd sa toge, révélant à tous sa féminité.

Scandale à Olympie ! Seul le pédigrée de sa famille lui évite le mont Typaion. Pour prévenir toute autre tentative de ce genre*, la législation olympique impose par la suite aux maîtres de gymnastique, tout comme à leurs athlètes, d’être nus dans le stade. Cette obligation de nudité constitue le tout premier test de féminité. 

Diagoras porté en triomphe par ses fils par Auguste Vinchon peint en 1814. Il n’existe malheureusement aucune représentation connue de Kallipáteira alors je m’avance un peu et affirme que l’on peut l’apercevoir à droite, sous les traits de la la jeune femme qui cherche à placer une couronne de fleur sur la tête de son père. J’attends les retours des spécialistes d’histoire de l’art !

Depuis, la créativité des hommes pour tenir les femmes à l’écart du sport** semble sans limite.

Dès 1946, l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) exige des certificats médicaux attestant du sexe. Elle va plus loin en 1966 en imposant des consultations gynécologiques aux athlètes, consultations qui sont adoptées par le Comité International Olympique (CIO) et mises en place pour les JO de Mexico de 1968 dans un contexte de guerre froide où les sportives d’Union Soviétique sont suspectées d’être des hommes. Simultanément, ces deux institutions sportives se penchent sur le « Test de Barr », censé révéler la présence d’un deuxième chromosome X. Puis c’est au tour de la méthode SRY d’être testée par le CIO en 1992 qui vise à détecter un chromosome Y indésirable. Mais tous ces examens génétiques posent de nombreux problèmes bioéthiques qui embarrassent sacrément les officiels. Alors l’IAAF a une épiphanie : plus besoin de tests de féminité puisque les contrôles anti-dopages par prélèvement d’urine se font devant témoin visuel. On imagine aisément le malaise. Le CIO attend néanmoins les JO de Sydney en 2000 pour abandonner définitivement le test SRY. On se croyait enfin débarrassé quand le cas Caster Semenya arrive en 2009.

Cette athlète réalise 1:55.45 aux 800 mètres, soit le 5ème meilleur temps mondial, lors des championnats du monde d’athlétisme de Berlin et est immédiatement accusée d’être née « hermaphrodite », sans que ses accusateurs sachent vraiment ce que ce terme recoupe d’un point de vue médical. Est-ce sa musculature imposante ? Sa couleur de peau (les quatre autres femmes ayant fait mieux qu’elle aux 800 mètres sans être inquiétées étaient blanches) comme le dénoncent plusieurs hommes politiques sud-africains ? Toujours est-il que malgré la proposition de la coureuse de « baisser [son] pantalon pour que vous puissiez voir”, l’IAAF, jamais à court d’humiliations, requiert un contrôle hormonal, la privant de compétition dans l’intervalle. Il leur faudra près d’un an pour qu’ils reconnaissent que Caster est bien une femme et lui autoriser de reprendre le chemin du stade. En guise d’excuses, l’IAAF établit en 2011 un nouveau test de féminité basé sur les hormones : toute athlète ayant un taux d’hormones androgènes trop élevé est exclue bien que plusieurs scientifiques démontrent que dans le sport de haut niveau, les taux de testostérone se chevauchent chez les hommes et chez les femmes. Bref, je me serais bien passée de cet exposé qui manque autant de poésie que le CIO et l’IAAF semblent manquer d’humanité !

* « Pun intended » comme disent les britanniques; le jeu de mot était bien volontaire dirons-nous par ici.
** On remercie les travaux des chercheuses Anaïs Bohuon (Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?) et Vanessa Heggie ainsi que les étudiants des Mines Paritech pour leur chronologie interactive très bien réalisée. Sur le sujet, pour les anglophones d’entre-vous, je vous recommande l’excellent article du New York Times The Humiliating Practice of Sex-Testing Female Athletes

Joue-la comme Héra

Héra n’est pas ma déesse préférée. En fait, c’est même celle que j’aime le moins. Il faut dire qu’elle accumule les défauts : cruelle avec son fils Héphaïstos, injuste envers les victimes de son violeur de mari, vindicative pendant la guerre de Troie… Quand elle ne jette pas son nouveau né du mont Olympe car elle le trouve trop laid, elle persécute Io – déjà transformée en vache par Zeus pour la sauver du courroux de sa femme jalouse – en lui envoyant un taon dont la piqure rend fou. Quel que soit le mythe, elle s’illustre par son acharnement à ne s’attaquer qu’à des cibles faibles et vulnérables. 

Les Grec.que.s ne l’entendent pas de cette oreille puisque c’est en son honneur que sont organisés, à Olympie, des Jeux féminins. Et cette nouvelle me réjouit tant que je pourrais (presque) lui pardonner tous ces travers. 

Les Jeux Olympiques ne sont pas ouverts à tous, loin s’en faut. Il faut être Grec, citoyen, n’avoir jamais commis de crime et…. être de sexe masculin. Cela ne vous étonnera guère, les femmes étaient exclues des épreuves mais aussi du spectacle pour la plupart car seules les femmes vierges avaient le droit d’entrer dans le stade. Mais elles ne sont pas privées de sport pour autant ! Car les jeux Héreens, aussi appelés les Héraia, se tiennent tous les quatre ans à Olympie, deux semaines après les Jeux masculins. C’est Pausanias qui, une fois de plus, nous les décrit : ils se composent d’une seule épreuve, une course à pied, à laquelle les athlètes participent par catégorie d’âge. Les gagnantes reçoivent une couronne d’olivier et une partie de la vache sacrifiée à Héra. 

Le temple d’Hera à Olympie reconstitué par… le jeu vidéo Assasin’s Creed

Si l’imaginaire moderne veut que tout ce qui se passe dans un temps ancien est forcément synonyme d’obscurantisme, en ce qui concerne les droits des femmes, la Grèce antique a, à de nombreuses reprises, prouvée que les capacités athlétiques des femmes sont loin d’être méprisées. 

Commençons par les déesses. Athéna, armée de son égide, d’une lance et d’un casque, est la personnification de la stratégie militaire. Comme l’illustre son épithète le plus fameux, Athéna Nikè (Athéna Victorieuse), elle symbolise la puissance, à la guerre comme dans le sport. Arthémis, elle, incarne une autre forme d’athlétisme. Intrépide et sauvage, elle parcourt les forêts munie de son arc et ses flèches. Si l’homme a créé Dieu à son image (ou est-ce le contraire ?), les mythes antiques laissent entrevoir une vision de la femme bien moins domestique que ce que l’on pourrait supposer. 

La civilisation crétoise minoéenne nous donne un autre exemple des relations entre les femmes et le sport. Sur les céramiques et fresques du musée d’Heraklion, on remarque de nombreuses femmes, peintes avec la peau blanche contrairement aux hommes représentés avec la peau foncée, participant aux épreuves de tauromachie ou même de pugilat, comme sur la fresque ci-dessous. 

Sur cette fresque du palais de Knossos, on distingue deux femmes à la couleur blanche de leur peau. Elle ne se contentent pas d’observer la dangereuse épreuve mais prennent pleine part au saut du taureau. 

Et que dire de la puissante Sparte ! Lutte, course à pied, lancer de disque ou javelot, elle sont de toutes les épreuves comme le déplore Euripide dans Andromaque. Écoutons Pelée sermonnant Ménélas qui a eu, d’après lui, le malheur d’épouser une femme de Sparte, Hélène : 

Oui, tu croyais avoir une femme pleine de vertu chez toi, mais c’est en fait la pire de toutes ! D’ailleurs, même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent les mêmes pistes de course et les mêmes palestres que les garçons. Cela m’est insupportable ! 

L’historienne américaine Sarah B. Pomeroy a d’ailleurs démontré la fructueuse participation des femmes spartiates aux Héraia. La boucle est bouclée. 

Cette athlète en Grèce antique est une rare statuette en bronze du Vème siècle avant JC retrouvée à Sparte. On peut aujourd’hui l’admirer, en toute logique, au British Museum. 

C’est peu dire que quand Pierre de Coubertin, à l’origine des JO modernes, déclare en 1912 « Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter  : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine» il démontre son ignorance autant que sa misogynie.

Des Jeux et des Dieux

À l’instant où vous recevez cette lettre, 206 délégations internationales s’apprêtent à fouler la piste flambant neuve du stade olympique de Tokyo pour la cérémonie d’ouverture de la XXXIIème Olympiade. Et comme le veut la tradition, c’est la Grèce qui ouvre le défilé.

Et ce n’est que justice car ce pays entretient avec l’olympisme un lien très singulier.

Commençons par le commencement. Les premiers Jeux Olympiques ont lieu en 776 avant JC, il y a près de 3 000 ans. Leur origine est mystérieuse et, une fois de plus, l’histoire et les mythes se mélangent.

Un récit souvent évoqué est celui du héros Pélops, ancêtre des Atrides qui donna son nom au Péloponnèse. Amoureux de la princesse Hippodamie, il demande sa main à son père Oenomaos, roi d’Elide, à l’ouest du Péloponnèse actuel. Seulement, le souverain n’a nulle intention de laisser partir sa fille chérie si aisément. Dans l’espoir de contrarier toute velléité chez ses prétendants, il édicte une loi : seul celui qui pourra le battre lors d’une course de char aura le droit de prétendre au mariage. Gare aux perdants ! Ils seront décapités par Oenamos lui-même. Mais notre héros-amoureux ne se dérobe pas et accepte le défi. Courageux mais pas téméraire, Pélops se rapproche d’abord de Myrtilos, l’écuyer d’Oenamos et le convainc de l’aider. Celui-ci accepte, négociant au passage la moitié du royaume et une nuit avec Hippodamie* et change une pièce du char du roi par de la cire. Au premier tour de piste, celle-ci fond et le roi se retrouve traîné par ses chevaux avant de mourir sous les yeux horrifiés de sa fille. Pour se faire pardonner de sa trahison, Pélops institue alors les Jeux Olympiques. L’histoire ne dit pas si Hippodamie fut touchée par ce geste mais on se permet d’en douter.

Pélops et Hippodamie, Ier siècle après JC

Pindare, lui, attribue leur fondation à Héraclès : après avoir tué Augias qui lui refuse un salaire en échange d’avoir nettoyé ses fameuses écuries, notre demi-dieu aurait établi des jeux pour honorer son père, Zeus. Pausanias, enfin, évoque aussi un Héraclès, mais un homonyme du dieu superstar aux douze travaux : une divinité énigmatique du Mont Ida de Crète, qui serait venu à Olympie pour s’entrainer à la course avec ses frères.


Douze siècles de Jeux

Les Jeux eux-mêmes sont décrits par le menu par le géographe-voyageur du 2ème siècle après JC Pausanias dont les récits sont la source écrite principale des historiens. Dans les dix tomes de son oeuvre majeure sobrement intitulée Description de la Grèce, rédigée en 174 de notre ère, il témoigne de sa visite à Olympie, raconte les épreuves et l’histoire des Jeux.

Comme le montrent les travaux de l’historienne Monique Clavel-Lévêque, le point de vue de Pausanias permet de comprendre l’importance politique des Jeux dans le monde grec antique. Ce Grec d’Asie Mineure raconte en détail les origines géographiques des vainqueurs, l’importance de leur victoire quand ils rentrent dans leurs cités d’origine et insiste sur l’unité culturelle que forme ce monde grec, pourtant déjà en déclin alors qu’il rédige sa Description de la Grèce. Une unité forgée autour de valeurs communes « de domination de soi, d’intégration dans ce monde réglé, de différences et de violence maîtrisées »**.

Fantasme d’un nostalgique chauvin ou réalité historique ? La rhétorique de l’unité de l’identité grecque a souvent été débattue entre historiens et historiennes. Mais tous et toutes s’accordent pour affirmer que les Jeux étaient bien plus qu’un simple rassemblement sportif. Comme l’affirme Jean-Pierre Vernant, « quand les Grecs se rassemblent à Olympie, c’est indissolublement un spectacle, une fête, une grande foire où se rencontrent des cités différentes et un pèlerinage sacré ».

L’historien Paul Christesen, spécialiste de la Grèce antique dans la prestigieuse université de la « Ivy League » Dartmouth, étudie lui aussi les Jeux Olympiques comme marqueur fondamental de l’identité grecque. Ces jeux viennent, selon lui, combler un besoin d’unité créé par l’explosion géographique de la civilisation hellénique. Contrairement à la civilisation égyptienne, rassemblée aux bords du Nil, la Grèce est constituée de milliers de cités et territoires qui s’étendent de l’actuelle Marseille à l’Asie Mineure en passant par Carthage en Afrique du Nord. Traverser la Méditerranée et participer aux Jeux une fois tous les quatre ans semble donc être une façon d’affirmer son identité, de répondre à la question “Qu’est-ce qui fait que je suis Grec ? ».  De faire Nation en déclarant haut et fort ce qui les rassemble : des Dieux et Déesses, des mythes, une langue, le grec, ainsi que des des valeurs communes. 

Parmi ces valeurs, la vertu et le courage semblent régner. Et si vous aviez manqué le mémo, vous étiez vite rappelé à l’ordre en arrivant à Olympie. Avant d’entrer dans le stade, pas d’autre choix que de passer devant les Zanes, ces statues de bronze à l’effigie de Zeus sur lesquelles étaient inscrits les noms des tricheurs des précédentes éditions ainsi que la nature de leur forfait. Au programme : corruption mais aussi lâcheté car ne pas se présenter à une épreuve par peur de l’échec est tout aussi déshonorant que de pervertir un juge avec quelques amphores d’huile d’olive. Mieux encore, ce sont les fraudeurs eux-mêmes qui doivent payer la réalisation de la statue. Plutôt ironique pour un concours dont le mythe fondateur concerne justement une affaire de tricherie. 

Cette glorification des valeurs de l’olympisme, qui devient synonyme d’hellénisme, explique pourquoi de nombreux athlètes deviennent des figures politiques éminentes de leurs cités quand ils rentrent vainqueurs des Jeux. Toutes les cités et provinces de Grèce respectent l’institution olympique au point qu’une trêve est vite instaurée en amont et en aval des Jeux permettant aux athlètes de traverser tout le monde grec sans être inquiétés.

Et pour comprendre l’importance qu’ont pu avoir les Jeux Olympiques antiques, il suffit de s’arrêter sur la chronologie. Les Jeux sont interdits en 394 par l’empereur romain Théodose Ier, converti au christianisme. Il y a donc près de deux douze siècles qui séparent leur fin de leur création. Pour vous donner un élément de comparaison, si nous voulons faire au moins aussi bien avec nos JO modernes, il faudrait qu’ils soient maintenus jusqu’en… 3 066 ! 

Aujourd’hui encore, l’identité grecque s’émancipe totalement de la notion de territoire. Le droit du sang par exemple permet à quiconque de demander la nationalité tant qu’il ou elle peut justifier que ses parents ou grands-parents étaient grecs. Peu importe d’ailleurs si ses ancêtres n’ont jamais mis un pied en Grèce ! Cette particularité s’exprime aussi fortement quand il s’agit de la diaspora. Il ne serait pas surprenant, dans les rues d’Athènes, d’entendre parler avec fierté du “Grec d’Amérique” Pete Sampras ou de Maria Callas bien qu’aucun des deux ne soient nées en Grèce. On a pu voir un exemple amusant de cette filiation nationale sans limite avec l’athlète Alexis Pappas qui participa aux Jeux de Rio en 2016 avec la délégation grecque malgré le fait d’être née en Californie d’une mère américaine et d’un père né aux États-Unis. Il faut remonter à son grand-père paternel pour retrouver un lien avec la Grèce. Mais qu’importe, elle s’appelle Pappas et elle a explosé le record national du 10 000 mètres. Ça vaut bien un passeport, non ?

* Mal lui en coûta, Pélops peu partageur le tue immédiatement après sa victoire, lui laissant tout de même le temps de maudire toute sa lignée. 
** Pausanias et la mémoire olympique de Monique Clavel-Lévêque et Marie-Madeleine Mactoux

Un corps de dieu grec

Été olympique oblige, Adravasti met le sport à l’honneur. Alors aujourd’hui nous discutons musculation !

Il se trouve que je connais un peu l’univers de la « muscu » car l’un de mes cousins est, justement, ce qu’on appelle dans le jargon un « coach ». Pas du genre à vous hurler dessus, plutôt le genre bienveillant et… incollable sur tout ce qui touche à la nutrition. Mais quand on demande autant à son corps, logique de prêter une attention toute particulière à ce qu’on met dedans, non ? 

Après ce que vous lirez ci-dessous, vous comprendrez pourquoi les adeptes de la salle de sport vouent, comme moi, une vraie passion pour l’huile d’olive. 

Voici les quatre raisons pour lesquelles huile d’olive et musculation font bon ménage. 

Les tablettes de chocolat de l’Hercule Farnèse de Lysippe (IVème siècle av. J.-C.).

Raison n°1 : Des kilocalories à ne plus savoir qu’en faire 

Faire du muscle, ça demande beaucoup, beaucoup, d’apport calorique. Donc autant les consommer le plus rapidement possible, ça laisse du temps pour pousser de la fonte. 

Justement, l’huile d’olive, ce n’est que du gras. Oui, 100% de lipides. Ce qui m’a d’ailleurs toujours fait rire quand je rédige l’obligatoire « tableau nutritionnel européen » sur le côté du bidon. 

Valeurs nutritionnelles pour 100g : 

Gras : 100g
Toutes les autres catégories : 0g

En conséquence, si vous vous amusez à boire un demi-verre d’huile d’olive au réveil, soit 100ml, vous aurez du même coup ingurgité pas moins de 900kcal. Pour la plupart d’entre nous, c’est beaucoup. Mais pas pour l’acteur américain et ancien catcheur Dwayne « The Rock » Johnson  (qui était accessoirement l’acteur le mieux payé d’Hollywood en 2020 pour la deuxième année consécutive) capable d’avaler 6 000 calories…. en un seul repas. 

Abdominaux latéraux et vascularisation chez le Discobole de Myron (450 avant JC).

Raison n°2 : L’amie des tubes digestifs

On dit que l’huile d’olive est un aliment eupeptique, du grec εὖ (eu) « bon » et πεπτικός (peptikos), « digestif ». Cela signifie qu’elle facilite la digestion. Pour un sportif, il s’agit donc de calories propres, de celles qui apportent de l’énergie sans en retirer en sous-main, vous forçant à la sieste après le repas. 

Comment ? Consommée à jeun, l’huile d’olive accélère les contraction de la vésicule biliaire. Ce qui est pratique puisque la vésicule produit justement une bile qui facilite la digestion des graisses. Et ce n’est pas tout ! Parce qu’elle lubrifie toutes les parois par où elle circule, l’huile d’olive assouplit tout le système digestif. On lui dit merci. 

L’impressionnant V abdominal, que l’on appelle aussi “ceinture d’Apollon” du Doryphore de Polyclète (440 avant JC).

Raison n°3 : La blessure reste au vestiaire

Quand on passe beaucoup de temps à faire des « développé couché », la déchirure musculaire n’est jamais loin. Ça tombe bien, l’huile d’olive est bourrée d’oléocanthal aux propriétés anti-inflammatoires. Non, l’oléocanthal n’est pas la rencontre entre l’olive et notre fameux fromage du massif central mais un composé organique de l’huile. Je vous épargne le dessin de sa molécule chimique et je passe plutôt à l’histoire, assez jolie, de sa découverte. Alors que le biologiste américain Gary Beauchamp participe à une dégustation d’huile d’olive en Sicile, il est frappé par la sensation poivrée qu’il ressent dans la gorge. Ce petit picotement* lui est étonnamment familier. Après quelques instants d’hésitation, il n’a plus de doute : c’est le même que celui provoqué par l’ingestion d’ibuprofène liquide, le médicament anti-inflammatoire bien connu sur lequel il travaillait dans le passé. De retour dans son labo, il consacre plusieurs années à démontrer le lien entre l’huile d’olive et la lutte contre l’inflammation. 

Depuis, ses travaux ont été validés par de très nombreux scientifiques et athlètes du monde entier qui utilisent l’huile d’olive pour récupérer après un effort musculaire. 

Deltoïdes et pectoraux du prêtre (oui oui, c’est un prêtre) troyen Laocoon, Groupe du Laocoon (40 avant JC).

Raison 4 : Accepter de perdre pour mieux gagner ? C’est non**

Pour faire du muscle, il ne suffit pas de produire du muscle nouveau, il faut aussi s’assurer de ne pas perdre le muscle existant. Notre corps passe en effet son temps à dégrader les composés chimiques de notre corps, les fibres musculaires notamment, pour produire de l’énergie. Énergie utilisée, au hasard, pour faire des tractions.

Justement, le professeur-chercheur en nutrition Douglas S. Kalman affirme que l’huile d’olive agit comme un nutriment anti-catabolique. C’est à dire comme un agent spécial en mission pour sauver les protéines musculaires. Je ne rentre pas plus dans le détail parce qu’il faudrait que je vous parle d’une sombre protéine cellulaire qui répond au doux nom de « TNF-α » mais croyez le sur parole : les abdos-fessiers c’est bien, accompagnés d’un peu d’huile d’olive, c’est mieux.
Vous êtes convaincu.e ? Et pourtant je ne vous ai même pas parlé des tonnes d’anti-oxydants qui luttent contre le vieillissement des cellules, de la vitamine A très utile dans l’entretien des fibres musculaires, de la vitamine C pour l’énergie…

D’ailleurs, le lien entre préparation physique et huile d’olive ne date pas d’hier. Dans les gymnases de la Grèce Antique, les jeunes éphèbes se frottaient le corps d’huile d’olive et de sable avant les entrainements pour se protéger du soleil. Puis, elle était utilisée comme huile de massage pour soulager leurs muscles endoloris. Le spécialiste de l’épigraphie, l’étude des inscriptions gravées, et de l’histoire hellénistique, le bien-prénommé Olivier Curty a même découvert que certains gymnases pouvaient fermer leurs portes plusieurs mois pour cause de pénurie d’huile. C’est dire son importance dans le rituel sportif antique. 

En conclusion, à l’intérieur ou à l’extérieur, une chose est sûre : en ces temps pré-olympiques, l’huile d’olive ne peut faire que du bien. 

* que l’on appelle aussi l’ardence 
** Point de vue partagé par Kylian Mbappé

Un gars, une fille

(et toute une nation qui n’y croyait plus)

Cette édition 2021 de Roland Garros est à marquer d’une pierre blanche (et bleue). Non seulement Stéfanos Tsitsipás a atteint la finale mais sa compatriote Maria Sakkari est, quant à elle, arrivée en demi-finale du tournoi*. Une première des deux côtés.  

« Un moment fantastique pour le tennis grec » dira-t-elle en conférence de presse. C’est peu dire ! Car précédemment, la Grèce s’était plutôt illustrée par son absence dans les tournois du Grand Chelem. 

Oui, il y a bien eu Pete Sampras, ce « grec d’Amérique » et le colérique Marcos Baghdatis né à Chypre d’une mère grecque… Mais on doit l’avouer, les résultats n’étaient pas glorieux pour une nation qui s’est tant de fois illustrée dans les sports d’équipe. 

Pourtant, tout avait bien commencé. À l’occasion des premiers Jeux Olympiques de 1896, est construit à Athènes l’un des tous premiers clubs de tennis au monde, L’Athens Lawn Tennis Club. Mais rapidement, les espoirs d’en faire un centre de formation pour jeunes sportifs laissent la place à un lieu de rassemblement pour riches expatriés. Un petit sursaut s’observe dans les années 1980 avec la création du tournoi ATP d’Athènes sur terre battue, en 1986. Mais dès 1990, les organisateurs renoncent au tournoi féminin… avant de renoncer tout court en 1994. Depuis, c’est la dégringolade. Une fédération corrompue, discréditée, portée un président magouilleur et une totale incapacité à faire émerger des talents. 

Jusqu’à l’arrivée de nos deux cracks.

Comment explique-t-on leur ascension ? Il semble malheureusement que la réponse se trouve plus du côté de leur parcours individuels que celui d’une politique nationale efficace. D’un côté Tsitsipas est le fils d’une joueuse de tennis pro d’origine russe, qui a converti son Grec de mari au sport avant d’emmener, à deux, le petit Stefanos sur les cours dès l’âge de trois ans. De l’autre, Maria est la fille d’Angelikí Kanellopoúlou, ancienne pro et 43ème au classement WTA en 1987, à la grande époque de la création du tournoi d’Athènes justement. Elle-même étant la fille de Dimítrios Kanellopoúlos, joueur de tennis professionnel au parcours moins flamboyant. Peu dire que ces deux là sont dotés d’un patrimoine sportif qui jouait sacrément en leur faveur. 

Mais qu’importe ! La Grèce capitalise désormais sur leurs stars qui ouvrent la voie à toute une génération, à commencer par Pétros, le petit frère de Stéfanos de 20 ans, actuellement numéro 920 mondial. Rendez-vous pour les JO de Tokyo ou nous retrouverons Maria et Stefanos, en double mixte, s’il vous plait !

Ouvrons ensemble la boîte de Pandore

Si le mythe de Pandore prouve, une fois de plus, que Forest Gump avait raison (la vie, c’est comme une boîte d̶e̶ ̶c̶h̶o̶c̶o̶l̶a̶t̶ , on ne sait jamais sur quoi on va tomber), il pose surtout de nombreuses questions quant à son interprétation. Il a fasciné Goethe, Camus et Bernard Weber, alors pourquoi pas vous ?

Commençons par le commencement : le mythe. 

Pandore est la première de toutes les femmes. C’est Hésiode, dans sa Théogonie qui nous en livre le récit le plus complet. Mortelle, elle est forgée en argile par l’adroit Hephaistos à la demande de son père, Zeus. Pour achever son oeuvre, le rois des Dieux convoque Athéna, qui confère à Pandore l’habileté, Aphrodite, qui lui donne la grâce et les désirs dévorants ainsi qu’Hermès, qui insuffle chez elle la perfidie. Enfin, il lui donne un nom, Pandore, du grec πᾶν (tous) δῶρον (le don), celle dotée de « tous les dons ». 

Mercure transportant Pandore de Jean Alaux dit Le Romain, milieu du XIXème siècle

Cette création est tout sauf innocente : Zeus cherche à se venger de Prométhée, qui a volé le feu pour l’offrir aux hommes. Par l’intermédiaire d’Hermès, Pandore est donc offerte en mariage à Epiméthée, frère de Promethée. Hélas, celui-ci est aussi idiot que son frère est malin et, trop occupé à admirer la beauté de sa future épouse, il ne se doute de rien et accepte volontiers la proposition. 

Mais avec elle vient une boîte* mystérieuse, que Zeus lui avait malicieusement ordonné de ne pas ouvrir. La curiosité de Pandore est trop forte et celle-ci ouvre la boîte, libérant ainsi tous les maux de l’humanité à commencer par la vieillesse dont les hommes étaient jusqu’alors préservés. Seule l’espérance, Elpis, tout au fond de la boîte, est retenue. 

Détail de la Pandore de Ruxthiel. Rendez-vous plus bas pour la voir en entier et de face !

L’histoire de « la boîte de Pandore », passée dans le langage courant, nous est familière. 

Et pas seulement pour des raisons linguistiques ! Elle ressemble en effet étrangement à une autre histoire, fondatrice, s’il en est, de notre civilisation judéo-chrétienne : celle d’Ève et du fruit défendu. En croquant dans la pomme, n’a-t-elle pas, comme notre Pandore en ouvrant sa boîte, transgressé l’interdit et apporté tous les malheurs sur la Terre ? Mais n’oublions pas que dans les deux cas, ces premières femmes ont aussi apporté la connaissance à l’humanité. Bref, dans la Genèse comme dans la Théogonie, sans l’arrivée des femmes, les hommes semblaient destinés à rester de parfaits imbéciles heureux. 

Mais ce qui me trouble le plus dans ce mythe, c’est l’apparition de l’espoir. Pourquoi diable l’avoir mis dans le même sac (ou devrais-je dire boîte) que tous les autres maux de l’humanité ? Et plus encore, pourquoi le laisser dans la boîte ? L’espérance n’est-elle pas un sentiment terriblement humain ? 

Ici, la question de la traduction est majeure. Jean-Pierre Vernant, grand spécialiste de la Mythologie dont je vous ai souvent parlé, explique que le terme grec utilisé par Hésiode, Elpis, fut traduit à tort par « espoir ». Elpis signifie en réalité l’attente, l’expectative. Et dans ce nouveau monde où les malheurs ont submergés les humains, l’attente peut être terrible et douloureuse. Si la vieillesse et la mort nous guettent, que faire de cette espérance ? Comment entreprendre ou rêver sans être paralysé par une attente stérile ? 

Elpis reste donc dans la boîte et permet, toujours selon Vernant, aux humains de vivre dans une contradiction riche, celle d’un monde entre espérance et anxiété. La contradiction entre le présent, personnifié par le benêt Epiméthée, et le futur, que symbolise Prométhée. 

Laissons la parole à Camus, qui nous présente son analyse dans L’Homme révolté, en 1951 :

« Dans la boîte de Pandore où grouillent tous les maux de l’humanité, les Grecs firent sortir l’espoir après tous les autres comme le plus terrible de tous. Je ne connais pas de symbole plus émouvant. Car l’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner » 

Si Camus, dans une interprétation assez personnelle du mythe, décide de faire sortir l’espoir de la boîte, il conforte en revanche l’idée théorisée par Vernant que l’espoir est une force qui nous terrasse face aux épreuves. Pour vivre, nous devons transformer l’attente en un combat, en un refus de renoncer, pour qu’elle devienne la source d’une infinie motivation**. 

Je vous laisse désormais méditer, au présent et au futur, sur la place que vous désirez laisser à l’Elpis dans votre vie !

Et comme vos interprétations m’intéressent (presque) tout autant que celles de Vernant ou Camus, j’attends avec espoir vos réponses à cette lettre ! 

* Il s’agirait en réalité d’une jarre mais ne chipotons pas. 
** D’autant plus quand on visualise son objectif en se rasant tous les matins, il semblerait 

Carton vert !

Depuis trois ans, je fais produire mes boîtes d’expédition par une entreprise du nord de Paris, le Cartonnage Parisien. 

Déterminée à ne plus travailler qu’avec des petites entreprises, je décide en 2018 de cesser de comparer les prix pour, à la place, comparer l’éthique. Par l’intermédiaire d’une entreprise amie, je découvre l’existence de la société de Jean-Paul Texier. Ils sont à Pantin, tout comme moi. Et comme dit Paul Éluard, il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous. 

Quand je les rencontre dans leur usine pour la première fois, je me suis dit « je pensais que ça n’existait plus des boîtes comme ça ». Pour prendre rendez-vous avec Jean-Paul, le patron, il faut s’adresser à Louisa, la secrétaire multi-tache. Et quand je fais le tour de l’atelier avec Jean-Paul, je ressens un sens de la hiérarchie étonnamment prononcé pour une entreprise de seulement une grosse dizaine d’employé.e.s. Ici, pas de faux semblants, pas de de management participatif ou de méthodes de travail « fun », qui, si souvent, sonnent faux. Sami, le chef d’atelier qui prend sa retraite le mois prochain, pourra vous en parler : il est de la maison depuis plus de 30 ans. Pour les adresses mails, pas de «louisa@lecartonnageparisien.co » en vue. Non, pour les joindre, essayez plutôt une bonne vielle adresse wanadoo.

Mais sous ses airs surannés, le Cartonnage Parisien cache une vraie entreprise innovante. C’est même une des rares usines du nord de Paris de plus de 50 ans à avoir traversé avec succès la grand vague de désindustrialisation des années 1980. 

Portées par le canal de l’Ourcq, les communes de Pantin, Romainville ou encore Aubervilliers ont connu un grand essor industriel à la fin du XIXème siècle. À côté des Saint-Gobains et autres Manufactures des Allumettes qui employaient chacune plusieurs milliers de travailleurs et travailleuses, une multitude de micro-industries fleurissent. Mais longtemps soutenues par les mairies communistes, toutes ces petites usines se sont peu à peu transformées en loft lumineux au cours des trois dernières décennies. 

Toutes ? Non ! Une petite usine d’irréductibles résiste. Sa stratégie : ne plus se battre sur les prix mais sur le conseil et l’expertise. Créer pour chaque client, même pour des commandes modestes, la boîte personnalisée idéale. Alignement des planètes, les entreprises dans le commerce en ligne explosent et ont, précisément, ce type de besoins pour leurs envois postaux. Aujourd’hui, Louisa, Sami, Jean-Paul et les autres travaillent essentiellement avec des start-ups, et ça marche ! 

Le carton de notre coffret est 100% recyclé et d’origine France. Il est découpé, imprimé et assemblé dans l’usine de Pantin et j’en suis presque aussi fière que de l’huile qu’il enveloppe si bien !

Et vous, il vous plait ?

La revanche d’une blonde

L’origine de plusieurs fleurs a été expliquée par la mythologie grecque. L’égocentrisme de Narcisse et la mort accidentelle de Hyacinthe nous offrent deux beaux exemples. Pourtant, celle qui personnalise les fleurs, Chloris, n’a que peu d’importance dans les récits antiques.

Il faut attendre Ovide pour la découvrir dans un rôle de premier plan. Dans ses Fastes, le poète latin raconte la transformation de la nymphe Chloris en Flore, souveraine des fleurs. Alors qu’il souffle sur l’île des Bienheureux, Zéphir, le vent d’Ouest aperçoit la jeune fille et tombe fou amoureux. Il l’enlève, copiant les manières brutales de son frère Borée, le vent du Nord, et se rachète en l’épousant*. Comme cadeau de mariage, il lui offre le pouvoir de régner sur les fleurs.

« Avant, la Terre n’avait qu’une seule couleur » chante-t-elle au vers 5 222. Désormais, chaque printemps, mille teintes viennent embellir la nature qui renait. 

Quelques siècles plus tard, les artistes de la Renaissance, appréciant l’érotisme du souffle de Zéphir sur la jolie nymphe, s’emparent du mythe qui devient un sujet classique de la peinture et de la sculpture. 

Mais le tournant de sa carrière, elle le doit à Botticelli qui fait d’elle une star en la faisant apparaitre dans ses deux tableaux les plus célèbres : la naissance de Vénus et le Printemps.

Chloris enlace Zéphir qui souffle sur Vénus un vent de fleurs. 

Savoir (in)utile !
La déesse des fleurs partage son étymologie avec le mot « chlorophylle » qui, bien plus qu’un simple parfum de chewing-gum, désigne ce pigment vert permettant la photosynthèse et la transformation du dioxyde de carbone en oxygène.

* au mois de mai, bien entendu. 

Les fleurs du bien

L’olivier a la floraison modeste. Chaque mois de mai, de petites fleurs blanches parsèment discrètement les branches de nos arbres. Elles n’ont pas d’odeur et ne tiennent pas plus d’une semaine. À peine avez-vous le temps de sortir votre appareil photo qu’elle se fanent, jaunissent et disparaissent pour laisser la place au véritable protagoniste, le fruit.

Mieux qu’un cours de sciences naturelles, revenons ensemble sur cette étape cruciale du cycle de l’olivier. 

Comme tous les arbres fruitiers, sa fleur se transforme en fruit grâce à l’échange entre les organes femelles, le pistil, et les organes mâles, les étamines. Cet échange est appelé pollinisation. 

La plupart du temps, elle est opérée par les abeilles (que l’on embrasse au passage) : c’est le cas de tous les arbres mellifères, les arbres butinés pour produire le miel. Mais l’olivier aime se distinguer et préfère compter sur le vent pour assurer l’échange. 

D’ordinaire*, le mois de mai n’est pas particulièrement venteux. Contrairement aux terribles mois de juillet et d’août où le Meltemi, le vent du Nord, souffle volontiers à plus de 50 kilomètres par heure jusqu’à faire s’envoler les petites filles, en mai, ce sont les chapeaux de paille qu’il se contente de faire voler. Et c’est tant mieux ! Venus des quatre points cardinaux, ces vents font frissonner les branches juste ce qu’il faut pour que le pollen s’échappe et féconde l’ovule qui se trouvent dans le pistil. Les tissus de l’ovaire vont former la chair de l’olive et l’ovule devient le noyau. 

L’olivier, comme la vigne, est hermaphrodite : il possède à la fois des organes mâles et femelles qui lui permettent de s’autopoliniser. Pratique non ?

Chez les arbres fruitiers, la floraison est une saison émouvante et inquiétante. Émouvante car elle est annonciatrice de l’arrivée des fruits : La quantité de fleurs sur l’arbre présage de la quantité d’olives qui pourront être récoltées. Mais c’est aussi un moment d’inquiétude pour les producteurs et productrices. Une intempérie, une forte chaleur ou au contraire un coup de froid peuvent faire tomber les fragiles fleurs et réduire tout espoir de récolte. Au moins, aucune chance dans ces contrées méridionales de subir le risque du gel qui a cette année fait des ravages dans les vignobles français. 

Illustration tirée du guide médicinal de l’allemand Franz Eugen Köhler publié en 1887. 

Au risque d’être un peu fleur bleue, je vous encourage à profiter de cette période d’épanouissement des arbres pour vous balader dans la nature et vous émerveiller de la beauté du monde !

* Ordinaire n’est pas coutume ! Cette année, une véritable tempête s’est abattue sur l’est de Crète au point de faire tomber un poteau électrique et de laisser la moitié de Zakros (et d’Adravasti) sans réseau ni télévision pendant 3 jours début mai. 

On nous prend, faut pas déconner dès qu’on est nés…

Scandale !

Comme la rentrée des classes ou les courses de Noël au JT de TF1, le sujet des fraudes dans l’huile d’olive fait figure de marronnier. Les associations de consommateurs alertent, les médias s’en font l’écho, les français et françaises s’inquiètent mais, années après années, rien ne semble vraiment changer dans le monde de l’olive. 

Ironiquement, alors que l’huile d’olive est un des secteurs les plus dominés par la grande distribution*, c’est aussi le secteur où les fraudes sont les plus massives. Les labels et autres certifications, qui coûtent si chères aux petites entreprises comme la mienne, et plus encore aux producteurs, seraient-elles donc d’aucune d’utilité ? 

Vierge, vierge extra. Vous n’y comprenez rien ? Eux non plus.

Ces termes, qui évoqueront le christianisme pour les uns et Léo Ferré pour les autres, vous les connaissez mais vous êtes bien incapables de dire ce qu’ils signifient ? C’est normal.

Pour pouvoir se réclamer « vierge extra », une huile doit répondre à plusieurs critères dont deux principaux. 

Elle ne doit présenter aucun défaut organoleptique** (rendez-vous un peu plus bas pour en savoir plus) et, surtout, elle doit avoir un degré d’acidité qui ne dépasse pas les 0,8%. Mais attention !  Cette acidité là n’a rien à voir avec le citron, ce serait trop simple ! Il s’agit de l’acide oléique : un lipide dont on teste la présence dans l’huile en laboratoire. Et c’est bien là tout le problème car en faisant de cet indice le critère principal pour déterminer la qualité d’une huile, la règlementation introduit une opacité qui rend le consommateur inapte à se faire son propre avis. On lui suggère de suivre l’étiquette plutôt que son palais. 

Même idée pour la certification “vierge” avec une tolérance pour certains défauts aromatiques et un taux d’acidité oléique inférieur à 2%. 

Mais comment choisir son huile d’olive si on ne peut pas se fier à l’étiquette ? 

1. Le goût ! 

Faites confiance à votre palais. Votre huile a-t-elle du goût ? Laisse-t-elle une sensation de gras en bouche ou bien une agréable fraicheur ? À la dégustation, pouvez-vous discerner plusieurs arômes ? Une amertume ? Ou au contraire, un gout plus rond, plus sucré ? 

Plutôt Bourgogne ou Bordeaux ? Avec l’huile d’olive, les équipes se partagent entre amoureux des huiles amères, dites au fruité vert, et amateurs des huiles aux arômes plus ronds, plus doux, dites au fruité mûr. La nôtre penche vers le fruité mûr, à la limite du fruité vert certaines années, avec comme arômes caractéristiques la rose, le thym et la noisette. 

Quant aux défauts, le monde de l’huile, un peu comme l’administration française, possède son propre jargon. Un glossaire est nécessaire : 

2. La provenance

Quand vous ne pouvez pas goûter, la mention la plus précieuse à rechercher est la provenance. 

Le pire : Les huiles « issues du bassin méditerranéen » ou les « mélanges d’huiles de l’Union Européenne ». Vous pouvez être sûr.e que ce sont des huiles de qualités très diverses et provenant de récoltes plus ou moins récentes qui ont été mélangées afin d’obtenir, plus ou moins encore, le fameux taux de 0,8% d’acide oléique, graal du vierge extra. Non seulement il faudra repasser au niveau de la qualité aromatique mais en plus, cette huile n’aura aucun bienfait pour votre santé car les anti-oxydants se seront envolés depuis longtemps. Je préfère ne pas vous parler de la rémunération des producteurs et des productrices, les derniers mois ont été suffisamment durs pour le moral. 

Le minimum syndical : Produit de Grèce, du Portugal ou de tout autre pays de la Méditerranée. Si le nom du pays est cité en noir et blanc, c’est que nous sommes sur la bonne voie. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’un mélange entre, qui, une huile d’olive raffinée italienne, qui, une huile récoltée il y a trois ans espagnole et, qui, une huile de bonne qualité grecque pour venir faire chuter l’indice d’acide oléique. 

Le label qualité :  l’AOP ! C’est notre beau pays la France qui a inventé l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) pour protéger ses vignobles. À l’échelle européenne, il a pris le nom d’AOP (Appellation d’Origine Protégée) mais l’idée est la même : vous avez affaire à un produit issu d’un terroir donné et produit selon un cahier des charges strict. 

Le top : Connaître le producteur ! En chair et en os, ou à travers une newsletter par exemple…

3. Le bio

Oui, je vois certains d’entre vous lever les yeux au ciel : le bio de chez Carrefour, on le connait. Et vous aurez raison. Mais je maintiens que ce label est important pour l’huile d’olive car, comme le thé, les olives ne sont pas lavées, ou à peine, avant d’être pressées. Quand vous consommez une huile issue d’arbres qui ont reçu des pesticides, vous les retrouverez nécessairement dans la bouteille. Donc pour votre santé, cherchez le petit logo vert sur la bouteille.


Et le plus simple, c’est encore d’adopter son olivier

Finie la théorie, place à la pratique avec notre bidon décortiqué :

* Plus de 80% des huiles d’olive sont vendues en hypermarchés, supermarchés ou hard-discount selon l’Afidol , soit plus encore que le lait ou les oeufs. 
** On utilise le terme organoleptique pour décrire ce qui affecte tous les sens : le goût, l’odorat mais aussi la texture ou l’aspect visuel.

Le jour le plus long

Après un an de cache-cache avec le covid, me voilà rattrapée, obligée de me quarantiner dix jours en ce début de mois. Peu de symptômes hormis cette impression étrange d’être enfermée dans un jour sans fin, sans même l’échappatoire de faire quelques courses ou de descendre les poubelles. Comme je déteste gâcher, la nourriture comme les heures, j’ai décidé de supprimer ces dix jours de ma vie et de reprendre mon existence au 10 avril là où je l’avais laissée le 1er, en commençant par faire quelques poissons d’avril autour de moi. 

Cela m’amène à une autre incongruité temporelle, fort d’actualité d’ailleurs : celle concernant la date de Pâques. Si les catholiques l’ont célébré le 4 avril dernier, les orthodoxes devront, eux, attendre le 2 mai prochain. Situé parfaitement entre ces deux Pâques, ce dimanche 18 avril semble le moment idéal pour discuter de la question !

Avant de commencer, laissez moi tester vos connaissances en failles temporelles d’hier et d’aujourd’hui : 

1. Pourquoi le Nouvel An a-t-il lieu le 1er janvier et pas le 25 décembre ? 

A. Il s’agit de la date de la circoncision de Jésus, huit jours après sa naissance. 
B. Jules César, en 46 avant JC, décide de commencer l’année le 1er janvier. Le mois de Janus est idéal puisque c’est celui du dieu aux deux visages : l’un est tourné vers le passé, l’autre vers le futur. 
C. La semaine qui sépare Noël du Nouvel An fut sacrée « semaine de l’oubli » par Jésus trop occupé d’engloutir des Ferrero Rocher devant un video-gag spécial fêtes de fin d’année. 

2. Pourquoi passe-t-on à l’heure d’hiver le dernier dimanche d’octobre ? 


A. Cela permettrait de faire des économies d’énergie (mais ce n’est toujours pas certain).
B. Parce que passer la journée dans le noir complet au mois de novembre, cela développe notre empathie pour les inuits et autres peuples du grand Nord. 
C. Il s’agit d’un canular proposé par Benjamin Franklin en avril 1784 pris au premier degré 

3. Brad Pitt, né le 18 décembre 1963 est plus vieux que Jean Castex, né le 25 juin 1965. Une explication ?



A. Brad a réussi à gagner de nombreux jours sur la vie en faisant des tours du monde en sens inverse dans son jet privé. Malin !
B. André, agent administratif de la préfecture de Vaucluse en charge de refaire le passeport de Monsieur Jean CASTEX, a fait une faute de frappe et a inscrit ‘1965’ au lieu de ‘1945’ sur le document d’identité flambant neuf de Jean.
C. La génétique est injuste, il faut l’accepter 

4. Pourquoi les orthodoxes fêtent Pâques après les catholiques ? 

A. En Russie, il fait froid, et le chocolat, c’est moins bon quand c’est gelé. 
B. Parce que les Églises d’Orient préfèrent ne pas être d’accord avec le soleil plutôt que de l’être avec la cour de Rome. 
 C. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Jésus et ses successeurs avaient la pensée complexe, voyez-vous.

Réponses :  1.B 2.A et B 3.C 4.B

Pour l’explication détaillée de la question 4, accrochez-vous !

Pâques commémore la résurrection du Christ. Jusqu’ici je ne vous apprends rien. Elle a lieu quelques jours après la Pâque juive, Pessa’h que Jésus célébrait avec douze de ses amis lors de la fameuse Cène un jeudi soir. La suite, vous la connaissez : le vendredi, Jésus est crucifié, le dimanche, il ressuscite. La date de Pâques est donc liée à celle de la Pâque (sans s), juive célébrant, elle, la sortie d’Égypte du peuple hébreu. Le calendrier hébraïque étant un calendrier lunaire, Pessa’h est toujours célébrée le 15 du mois de Nissan (qui tombe généralement entre nos mois d’avril et de mai), c’est à dire le jour de la première pleine lune de l’équinoxe du printemps. 

C’est à ce moment-là que tout se complique ! 

Statut de l’empereur Constantin à York en Angleterre par le sculpteur écossais Philip Jackson

En 325, l’empereur romain Constantin décide de préciser la date de Pâques et la fixe au « dimanche qui suit le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après ». Avec cette affirmation, Constantin fait donc tomber l’équinoxe du printemps invariablement au 21 mars. Or, le calendrier de l’époque, le calendrier Julien, ordonné par Jules César comme son nom l’indique, comprend une erreur. Notre bon Jules avait calculé que la terre mettait 365,25 jours pour faire un tour complet autour du soleil alors qu’elle ne met que 365,2422*. Soit un décalage de 3 jours tous les 400 ans entre la réalité astronomique et le calendrier. À ce rythme là, comme le dit Bernard dans les Bronzés font du ski : « l’année prochaine, on skie au mois de juillet ». 

Portrait du pape Grégoire XIII par Lavinia Fontana

Pour remédier à ce décalage qui avait trop duré, le pape Grégoire XIII en 1582, propose pendant le concile de Trente une réforme du calendrier : il supprime certaines années bissextiles et pour rattraper tout le retard accumulé, le 4 octobre 1582 est suivi du… 15 octobre, dix jours qui n’ont jamais existé. La France, l’Espagne et l’Italie ainsi que la plupart des pays de la chrétienté suivent la décision du pape mais les pays protestants et orthodoxes européens ne comptent pas se plier à une décision de Rome, aussi valide soit-elle d’un point de vue mathématique. C’est pour cette raison que l’on dit que les « Églises d’Orient préfèrent ne pas être d’accord avec le soleil plutôt que de l’être avec la cour de Rome ». Si la plupart des pays ont petit à petit adopté ce nouveau calendrier, l’Église orthodoxe, elle, s’y est toujours refusée ! Cette rébellion explique pourquoi les dates de Pâques chez les catholiques et chez les orthodoxes diffèrent. 

* Rendons à César ce qui est à César : cette erreur de calcul ne doit pas occulter son génie. C’est lui qui, le premier, comprend qu’il est plus judicieux d’indexer le calendrier sur le soleil plutôt que sur la lune. Il décide donc d’abandonner le calendrier lunaire romain en 46 avant JC au profit du calendrier Julien. Pour se réaligner, l’année 46 avant JC dura donc… 445 jours au lieu de 365 et fut appelée, à juste titre il me semble, l’année de la confusion. 

Ma soeur, ma bataille

La mythologie grecque, bien plus que nos récits modernes il me semble, explore de nombreuses facettes de l’amour. L’amour romantique, qui unit par exemple Hélène et Paris, ou celui plus charnel entre Aphrodite et Arès,l’amour filial de Zeus pour Dyonisos qu’il porte dans sa cuisse, celui de Déméter pour sa fille Perspéhone ou encore l’amitié d’Achille pour Patrocle* qu’Homère utilise comme un élément déclencheur de la guerre de Troie, tous les visages de l’amour s’y côtoient et s’y mêlent. Plus encore, la mythologie ne semble pas établir de hiérarchie entre ces formes d’amour. 

À la lecture des mythes antiques, je suis souvent frappée par la récurrence du sentiment amoureux qui uni les frères et soeurs. Loin des cruelles et envieuses Javotte et Anastasie de Cendrillon, on y trouve des fratries aimantes, qui se complètent et s’entreaident. C’est le cas, par exemple, des jumeaux Artémis et Apollon. Tout juste arrivée sur terre, Artémis s’empresse d’aider sa mère Léto à accoucher de son jeune frère. Plus tard, elle l’assiste dans son combat avec le serpent Python et s’implique dans la guerre de Troie par pure solidarité fraternelle. 

Un autre mythe développe ce thème, c’est celui des soeurs Procné et Philomèle, et ayant moi-même deux soeurs, j’y suis particulièrement sensible. Il s’agit aussi un mythe étiologique, c’est-à-dire qu’il cherche à expliquer l’origine d’un phénomène naturel. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant mais je pense que vous ne regardez plus jamais les hirondelles de la même façon…

Avec son Philomèle et Progné de 1861, la peintre Elizabeth Jane Gardner Bouguereau nous présente la tendresse qui unit les deux soeurs. 

Procné et Philomèle sont les deux filles de Zeuxippe et Pandion, cinquième roi légendaire d’Athènes. L’ainée, Procné est mariée à Térée, roi de la lointaine Thrace** et de cette union est née un fils, Itys. Cinq ans plus tard, Athènes et sa famille lui manquent et elle exprime à son mari le désir de revoir sa soeur. Térée se rend donc à Athènes pour demander au roi Pandion l’autorisation d’amener la jeune Philomèle avec lui.  Mais dès qu’il aperçoit la princesse, il oublie toutes ses bonnes intentions et n’a plus qu’une idée en tête : posséder Philomèle coûte que coûte. Pour convaincre le roi de laisser partir sa fille chérie***, il redouble d’éloquence et, à sa voix, vient s’ajouter celle de Philomèle, très désireuse de revoir sa grande soeur adorée. Laissons Ovide nous décrire cette scène tragique dans ses Métamorphoses : 

Dieux d’en haut, quelle nuit noire aveugle les coeurs des hommes !
Les efforts mêmes de Térée pour perpétrer son crime
passent pour de la piété, et son forfait lui vaut des éloges.
Que dire de Philomèle dont le désir est le même ? Caressante, elle met
ses bras autour des épaules de son père, demande d’aller voir sa soeur :
son salut en dépend, prétend-elle, mais elle agit contre son propre salut.

Dès leur arrivée en Thrace, Térée met à exécution le crime odieux. Il emmène de force Philomèle dans une étable et abuse d’elle. Mais après l’effroi vient la colère et la jeune femme jure de se venger en allant dénoncer son viol devant toute la cité. Effrayé d’une mise en accusation sur la place publique, Térée lui coupe la langue avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme la mort de sa petite soeur. 
Un an passe, et alors que Procné, dans son palais de Thrace, porte le deuil de sa chère soeur, cette dernière, bien vivante, est toujours enfermée dans l’étable. Sans voix, elle ne peut hurler au monde sa rage mais comme le dit si bien Ovide : la douleur est très ingénieuse, et l’habileté naît du malheur.

Philomèle se met en effet au travail et tisse une superbe tapisserie. Derrière le motif innocent, elle brode avec un fil pourpre le récit de son calvaire. Elle confie l’ouvrage à une servante qui l’apporte à Procné. Grâce à ce subterfuge, celle-ci découvre enfin le sort de sa sœur. Le désir de vengeance s’empare à son tour de Procné. 

Elle attend le soir de la fête de Dionysos et feint d’être enivrée pour parvenir à se glisser jusqu’à la bergerie qui sert de geôle à sa soeur mutilée. Elle la libère et l’emmène avec elle au château. Enfin réunies, les deux soeurs décident de la plus terrible des vengeances : Procné tue son fils Itys dont les traits lui rappèlent trop son violeur de mari. Elle le frappe au coeur avec un poignard et bien que le coup fut fatal, sa soeur signe elle aussi le crime en lui tranchant la gorge. Les deux femmes cuisinent le corps d’Itys et le servent à Térée. Une fois le repas achevé, celui-ci demande à voir son fils. Les yeux brillants de haine, sa femme lui annonce : « celui que tu réclames, tu l’as à l’intérieur. ». Pour ne laisser aucun doute sur l’horreur qui vient d’être commise, Philomèle sort de sa cachette et lance la tête de l’enfant à son père. 
Rubens quant à lui, nous expose une vision beaucoup plus terrifiante du mythe avec son Térée voyant de la tête d’Itys de 1638. Son dégout pour les soeurs va jusqu’à les effacer du titre du tableau. 
Les soeurs se sauvent et c’est alors que les Dieux s’en mêlent. Émus par le destin tragique des deux soeurs, ils les transforment en oiseaux pour qu’elles échappent à une mort certaine. Philomèle, privée de sa voix, est métamorphosée en rossignol chanteur et Procné en hirondelle, dont les reflets rouges sur la gorge rappelle l’épouvantable infanticide. Térée est lui aussi changé en oiseau : il devient huppe, dont le bec démesuré évoque l’épée meurtrière. 
Le rossignol chanteur, l’hirondelle libre mais tachée de sang et la huppe au bec menaçant. 
L’Olympe réserve, cette fois-ci, un sort bien magnanime à un violeur et deux meurtrières.

* Je vois vos airs amusés 
** La Thrace est la région au nord est de la Grèce qui couvre l’actuelle Bulgarie et la partie européenne de la Turquie.  
***Comme Arianne, qui, à peine avait-elle quitté son père et la Crète pour vivre le grand amour avec Thésée, était abandonnée sur l’île de Naxos. Il ne fait pas bon quitter son père dans la mythologie.